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sonnages des histoires qu'ils ont apprises; l'un sera Abraham et l'autre Isaac; ces représentations les charmeront plus que d'autres jeux, les accoutumeront à penser et à dire des choses sérieuses avec plaisir, et rendront ces histoires ineffaçables dans leur mémoire.

Il faut tâcher de leur donner plus de goût pour les histoires saintes, non en leur disant qu'elles sont plus belles, ce qu'ils ne croiroient peut-être pas, mais en le leur faisant sentir sans le dire. Faites-leur remarquer combien elles sont importantes, singulières, merveilleuses, pleines de peintures naturelles et d'une noble vivacité. Celle de la création, de la chute d'Adam, du déluge, de la vocation d'Abraham, du sacrifice d'Isaac, des aventures de Joseph que nous avons touchées, de la naissance et de la fuite de Moïse, ne sont pas seulement propres à réveiller la curiosité des enfants; mais en leur découvrant l'origine de la religion, elles en posent les fondements dans leur esprit. Il faut ignorer profondément l'essentiel de la religion, pour ne pas voir qu'elle est toute historique : c'est par un tissu de faits merveilleux que nous trouvons son établissement, sa perpétuité, et tout ce qui doit nous la faire pratiquer et croire. Il ne faut pas s'imaginer qu'on veuille engager les gens à s'enfoncer dans la science, quand on leur propose toutes ces histoires; elles sont courtes, variées, propres à plaire aux gens les plus grossiers. Dieu, qui connoît mieux que personne l'esprit de l'homme, qu'il a formé, a mis la religion dans des faits populaires, qui, bien loin de surcharger les simples, leur aident à concevoir et à retenir les mystères. Par exemple, dites à un enfant qu'en Dieu trois personnes égales ne sont qu'une seule nature: à force d'entendre et de répéter ces termes, il les retiendra dans sa mémoire; mais je doute qu'il en conçoive le sens. Racontez-lui que Jésus-Christ sortant des eaux du Jourdain, le Père fit entendre cette voix du ciel : « C'est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis ma complaisance, écoutez-le; » ajoutez que le Saint-Esprit descendit sur le Sauveur en forme de colombe: vous lui, faites sensiblement trouver la Trinité dans une histoire qu'il n'oubliera point. Voilà trois

personnes qu'il distinguera toujours par la différence de leurs actions vous n'aurez plus qu'à lui apprendre que toutes ensemble elles ne font qu'un seul Dieu. Cet exemple suffit pour montrer l'utilité des histoires: quoiqu'elles semblent allonger l'instruction, elles l'abrégent beaucoup, et lui ôtent la sécheresse des catéchismes, où les mystères sont détachés des faits; aussi voyons-nous qu'anciennement on instruisoit par les histoires. La manière admirable dont saint Augustin veut qu'on instruise tous les ignorants n'étoit point une méthode que ce Père eût seul introduite, c'étoit la méthode et la pratique universelle de l'Église. Elle consistoit à montrer, par la suite de l'histoire, la religion aussi ancienne que le monde, Jésus-Christ attendu dans l'Ancien Testament, et Jésus-Christ régnant dans le Nouveau : c'est le fond de l'instruction chrétienne.

Cela demande un peu plus de temps et de soin que l'instruction à laquelle beaucoup de gens se bornent: mais aussi on sait véritablement la religion, quand on sait ce détail; au lieu que, quand on l'ignore, on n'a que des idées confuses sur Jésus-Christ, sur l'Évangile, sur l'Église, sur la nécessité de se soumettre absolument à ses décisions, et sur le fond des vertus que le nom chrétien doit nous inspirer. Le Catéchisme historique, imprimé depuis peu de temps, qui est un livre simple, court et bien plus clair que les catéchismes ordinaires, renferme tout ce qu'il faut savoir là-dessus; ainsi on ne peut pas dire qu'on demande beaucoup d'étude. Ce dessein est même celui du concile de Trente; avec cette circonstance que le Catéchisme du concile est un peu trop mêlé de termes, théologiques pour les personnes simples.

Joignons donc aux histoires que j'ai remarquées le passage de la mer Rouge, et le séjour du peuple au désert, où il mangeoit un pain qui tomboit du ciel, et buvoit une eau que Moïse faisoit couler d'un rocher en le frappant avec sa verge. Représentez la conquête miraculeuse de la terre promise, où les eaux du Jourdain remontent vers leur source, et les murailles d'une ville tombent d'elles-mêmes à la vue des assiégeants. Peignez au na

turel les combats de Saül et de David; montrez celui-ci dès sa jeunesse, sans armes et avec son habit de berger, vainqueur du fier géant Goliath. N'oubliez pas la gloire et la sagesse de Salomon; faites-le décider entre les deux femmes qui se disputent un enfant mais montrez-le tombant du haut de cette sagesse, et se déshonorant par la mollesse, suite presque inévitable d'une trop grande prospérité.

Faites parler les prophètes aux rois de la part de Dieu; qu'ils lisent dans l'avenir comme dans un livre; qu'ils paroissent humbles, austères et souffrant de continuelles persécutions pour avoir dit la vérité. Mettez en sa place la première ruine de Jérusalem; faites voir le temple brûlé, et la ville sainte ruinée pour les péchés du peuple. Racontez la captivité de Babylone, où les Juifs pleuroient leur chère Sion. Avant leur retour, montrez en passant les aventures délicieuses de Tobie et de Judith, d'Esther et de Daniel. Il ne seroit pas même inutile de faire déclarer les enfants sur les différents caractères de ces saints, pour savoir ceux qu'ils goûtent le plus. L'un préféreroit Esther, l'autre Judith, et cela exciteroit entre eux une petite contention, qui imprimeroit plus fortement dans leurs esprits ces histoires, et formeroit leur jugement. Puis ramenez le peuple à Jérusalem, et faites-lui réparer ses ruines; faites une peinture riante de sa paix et de son bonheur. Bientôt après un portrait du cruel et impie Antiochus, qui meurt dans une fausse pénitence; montrez sous ce persécuteur les victoires des Macchabées, et le martyre des sept frères du même nom. Venez à la naissance miraculeuse de saint Jean. Racontez plus en détail celle de JésusChrist; après quoi il faut choisir dans l'Évangile tous les endroits les plus éclatants de sa vie, sa prédication dans le temple à l'âge de douze ans, son baptême, sa retraite au désert et sa tentation; la vocation de ses apôtres; la multiplication des pains, la conversion de la pécheresse qui oignit les pieds du Sauveur d'un parfum, les lava de ses larmes et les essuya avec ses cheveux. Représentez encore la Samaritaine instruite, l'aveugle-né guéri, Lazare ressuscité, Jésus-Christ qui entre triomphant à

Jérusalem; faites voir sa passion; peignez-le sortant du tombeau. Ensuite il faut marquer la familiarité avec laquelle il fut quarante jours avec ses disciples, jusqu'à ce qu'ils le virent monter au ciel; la descente du Saint-Esprit, la lapidation de saint Étienne, la conversion de saint Paul, la vocation du centenier Corneille. Les voyages des apôtres, et particulièrement de saint Paul, sont encore très-agréables. Choisissez les plus merveilleuses des histoires des martyrs, et quelque chose en gros de la vie céleste des premiers chrétiens; mêlez-y le courage des jeunes vierges, les plus étonnantes austérités des solitaires, la conversion des empereurs et de l'empire, l'aveuglement des Juifs et leur punition terrible qui dure encore.

Toutes ces histoires, ménagées discrètement, feroient entrer avec plaisir dans l'imagination des enfants, vive et tendre, toute une suite de religion, depuis la création du monde jusqu'à nous, qui leur en donneroit de très-nobles idées et qui ne s'effaceroit jamais. Ils verroient même, dans cette histoire, la main de Dieu toujours levée pour délivrer les justes et pour confondre les impies. Ils s'accoutumeroient à voir Dieu faisant tout en toutes choses, et menant secrètement à ses desseins les créatures qui paroissent le plus s'en éloigner. Mais il faudroit recueillir dans ces histoires tout ce qui donne les images les plus riantes et les plus magnifiques, parce qu'il faut employer tout pour faire en sorte que les enfants trouvent la religion belle, aimable et auguste, au lieu qu'ils se la représentent d'ordinaire comme quelque chose de triste et de languissant.

Outre l'avantage inestimable d'enseigner ainsi la religion aux enfants, ce fonds d'histoires agréables qu'on jette de bonne heure dans leur mémoire éveille leur curiosité pour les choses sérieuses, les rend sensibles aux plaisirs de l'esprit, fait qu'ils s'intéressent à ce qu'ils entendent dire des autres histoires qui ont quelque liaison avec celles qu'ils savent déjà. Mais, encore une fois, il faut bien se garder de leur faire jamais une loi d'écouter ni de retenir ces histoires, encore moins d'en faire des leçons réglées; il faut que le plaisir fasse tout. Ne les pressez

pas, vous en viendrez à bout, même pour les esprits communs; il n'y a qu'à ne les point trop charger, et laisser venir leur curiosité peu à peu. Mais, direz-vous, comment leur raconter ces histoires d'une manière vive, courte, naturelle et agréable? Où sont les gouvernantes qui le savent faire? A cela je réponds que je ne le propose qu'afin qu'on tâche de choisir des personnes de bon esprit pour gouverner les enfants, et qu'on leur inspire autant qu'on pourra cette méthode d'enseigner chaque gouvernante en prendra selon la mesure de son talent. Mais enfin, si peu qu'elles aient d'ouverture d'esprit, la chose ira moins mal quand on les formera à cette manière, qui est naturelle et simple.

Elles peuvent ajouter à leurs discours la vue des estampes ou des tableaux qui représentent agréablement les histoires saintes. Les estampes peuvent suffire, et il faut s'en servir pour l'usage ordinaire mais quand on aura la commodité de montrer aux enfants de bons tableaux, il ne faut pas le négliger; car la force des couleurs, avec la grandeur des figures au naturel, frapperont bien davantage leur imagination.

CHAPITRE VII

Comment il faut faire entrer dans l'esprit des enfants les premiers principes de la religion.

Nous avons remarqué que le premier âge des enfants n'est pas propre à raisonner; non qu'ils n'aient déjà toutes les idées et tous les principes généraux de raison qu'ils auront dans la suite, mais parce que, faute de connoître beaucoup de faits, ils ne peuvent appliquer leur raison, et que d'ailleurs l'agitation de leur cerveau les empêche de suivre leurs pensées et de les lier.

Il faut pourtant, sans les presser, tourner doucement le premier usage de leur raison à connoître Dieu. Persuadez-les des vérités chrétiennes, sans leur donner des sujets de doute. Ils voient mourir quelqu'un ; ils savent qu'on l'enterre; dites-leur:

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