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Lorsqu'on lit Procope sur les édifices de Justinien, et qu'on voit les places et les forts que ce prince fit élever partout, il vient toujours dans l'esprit une idée, mais bien fausse, d'un État florissant. D'abord les Romains n'avaient point de places: ils mettaient toute leur confiance dans leurs armées, qu'ils plaçaient le long des fleuves, où ils élevaient des tours de distance en distance pour loger les soldats.

Mais losqu'on n'eut plus que de mauvaises armées, que souvent même on n'en eut point du tout, la frontière ne défendant plus l'intérieur, il fallut le fortifier; et alors on eut plus de places et moins de forces, plus de retraites et moins de sûreté '. La campagne n'étant plus habitable qu'autour des places fortes, on en bâtit de toutes parts. Il en était comme de la France du temps des Normands, qui n'a jamais été si faible que lorsque tous ses villages étaient entourés de murs.

Ainsi toutes ces listes de noms des forts que Justinien fit bâtir, dont Procope couvre des pages entières, ne sont que des monuments de la faiblesse de l'empire.

CHAPITRE XXI.

Désordres de l'empire d'Orient.

Dans ce temps-là, les Perses étaient dans une situation plus heureuse que les Romains: ils craignaient peu les peuples du nord 3, parce qu'une partie du mont Taurus, entre la mer Caspienne et le Pont-Euxin, les en séparait, et qu'ils gardaient un passage fort étroit, fermé par une porte 4, qui était le seul endroit par où la cavalerie pouvait passer : partout ailleurs ces barbares étaient obligés de descendre par des précipices, et de quitter leurs chevaux, qui faisaient toute leur force, mais ils etaient encore arrêtés par l'Araxe, rivière profonde, qui coule de l'ouest à l'est, et dont on défendait aisement les passages 5.

De plus, les Perses étaient tranquilles du côté

Auguste avait établi neuf frontières ou marches: sous les empereurs suivants le nombre en augmenta. Les barbares se montraient là où ils n'avaient point encore paru. Et Dion, liv.LV, rapporte que de son temps, sous l'empire d'Alexandre, Il y en avait treize. On voit par la notice de l'empire, écrite de puts Arcadius et Honorius, que dans le seul empire d'Orient il y en avait quinze. Le nombre en augmenta toujours. La Famphylie, la Lycaonie, la Pisidie, devinrent des marches; et tout l'empire fut couvert de fortifications. Aurélien avait été

oge de fortifier Rome.

2 Et des Anglais.

3 Les Huns.

4 Les portes Caspiennes.

5 PROCOPE, Guerre des Perses, liv. I.

de l'orient; au midi, ils étaient bornés par la mer. Il leur était facile d'entretenir la division parmi les princes arabes, qui ne songeaient qu'à se piller les uns les autres. Il n'avaient donc proprement d'ennemis que les Romains. « Nous savons, disait un << ambassadeur de Hormisdas, que les Romains « sont occupés à plusieurs guerres, et ont à com<< battre contre presque toutes les nations; ils sa« vent au contraire que nous n'avons de guerre que

«< contre eux. »

<< Autant que les Romains avaient négligé l'art militaire, autant les Perses l'avaient-ils cultivé. « Les Perses, disait Bélisaire à ses soldats, ne << vous surpassent point en courage, ils n'ont sur << vous que l'avantage de la discipline. »

Ils prirent dans les négociations la même supériorité que dans la guerre. Sous prétexte qu'ils tenaient une garnison aux portes Caspiennes, ils demandaient un tribut aux Romains, comme si chaque peuple n'avait pas ses frontières à garder; ils se faisaient payer pour la paix, pour les trèves, pour les suspensions d'armes, pour le temps qu'on employait à négocier, pour celui qu'on avait passé à faire la guerre.

Les Avares ayant traversé le Danube, les Romains, qui la plupart du temps n'avaient point de troupes à leur opposer, occupés contre les Perses lorsqu'il aurait fallu combattre les Avares, et contre les Avares quand il aurait fallu arrêter les Perses, furent encore forcés de se soumettre à un tribut; et la majesté de l'empire fut flétrie chez toutes les nations.

Justin, Tibère et Maurice, travaillèrent avec soin à défendre l'empire. Ce dernier avait des vertus; mais elles étaient ternies par une avarice presque inconcevable dans un grand prince.

Le roi des Avares offrit à Maurice de lui rendre

les prisonniers qu'il avait faits, moyennant une demi-pièce d'argent par tête; sur son refus, il les fit égorger. L'armée romaine, indignée, se révolta; et les verts s'étant soulevés en même temps, un centenier, nommé Phocas, fut élevé à l'empire, et fit tuer Maurice et ses enfants.

L'histoire de l'empire grec, c'est ainsi que nous nommerons dorénavant l'empire romain, n'est plus qu'un tissu de révoltes, de séditions et de perfidies. Les sujets n'avaient pas seulement l'idée de la fidélité que l'on doit aux princes; et la succession des empereurs fut si interrompue, que le titre de porphyrogénète, c'est-à-dire né dans l'appartement

1 Ambassades de Ménandre.

2 Ce mot, dérivé du grec, signifie né dans la pourpre. (P.)

où accouchaient les impératrices, fut un titre dis- I guère, l'astrologie judiciaire et l'art de prédire

tinctif que peu de princes des diverses familles im

périales purent porter.

Toutes les voies furent bonnes pour parvenir à l'empire on y alla par les soldats, par le clergé, par le sénat, par les paysans, par le peuple de Constantinople, par celui des autres villes.

par les objets vus dans l'eau d'un bassin avaient succédé, chez les chrétiens, aux divinations par les entrailles des victimes ou le vol des oiseaux, abolies avec le paganisme. Des promesses vaines furent le motif de la plupart des entreprises téméraires des particuliers, comme elles devinrent la sagesse du conseil des princes.

Les malheurs de l'empire croissant tous les jours, on fut naturellement porté à attribuer les mauvais succès dans la guerre, et les traités honteux dans la paix, à la mauvaise conduite de ceux qui gouvernaient.

La religion chrétienne étant devenue dominante dans l'empire, il s'éleva successivement plusieurs hérésies qu'il fallut condamner. Arius ayant nié la divinité du Verbe; les Macédoniens, celle du Saint-Esprit ; Nestorius, l'unité de la personne de Jésus-Christ; Eutychès, ses deux natures; les monothélites, ses deux volontés, il fallut assembler des conciles contre eux; mais les décisions n'en ayant pas été d'abord universellement reçues, plusieurs empereurs séduits revinrent aux erreurs condamnées. Et, comme il n'y a jamais eu de nation qui ait porté une haine si violente aux hérétiques que les Grecs, qui se croyaient souillés lorsqu'ils parlaient à un hérétique, ou habitaient avec lui, il arriva que plusieurs empereurs perdirent l'affec- Plusieurs exemples reçus dans la nation en fortion de leurs sujets; et les peuples s'accoutumè-mèrent l'esprit général, et firent les mœurs, qui rent à penser que des princes si souvent rebelles à Dieu n'avaient pu être choisis par la providence pour les gouverner.

Une certaine opinion, prise de cette idée qu'il ne fallait pas répandre le sang des chrétiens, laquelle s'établit de plus en plus lorsque les Mahométans eurent paru, fit que les crimes qui n'intéressaient pas directement la religion furent faiblement punis on se contenta de crever les yeux, ou de couper le nez ou les cheveux, ou de mutiler de quelque manière ceux qui avaient excité quelque révolte, ou attenté à la personne du prince ; des actions pareilles purent se commettre sans danger, et même sans courage.

Un certain respect pour les ornements impériaux fit que l'on jeta d'abord les yeux sur ceux qui osèrent s'en revêtir. C'était un crime de porter ou d'avoir chez soi des étoffes de pourpre; mais dès qu'un homme s'en vêtissait 2, il était d'abord suivi, parce que le respect était plus attaché à l'habit qu'à la personne.

L'ambition était encore irritée par l'étrange manie de ces temps-là, n'y ayant guère d'homme considérable qui n'eût par devers lui quelque prédiction qui lui promettait l'empire.

Comme les maladies de l'esprit ne se guérissent

1 Zénon contribua beaucoup à établir ce relâchement. Voyez Malchus, Histoire byzantine, dans l'Extrait des ambassades. 2 On dit aujourd'hui vélait.

Les révolutions mêmes firent les révolutions, et l'effet devint lui-même la cause. Comme les Grecs avaient vu passer successivement tant de diverses familles sur le trône, ils n'étaient attachés à aucune; et la fortune ayant pris des empcreurs dans toutes les conditions, il n'y avait pas de naissance assez basse ni de mérite si mince qui pût ôter l'espérance.

règnent aussi impérieusement que les lois.

Il semble que les grandes entreprises soient parmi nous plus difficiles à mener que chez les anciens. On ne peut guère les cacher, parce que la communication est telle aujourd'hui entre les nations que chaque prince a des ministres dans toutes les cours, et peut avoir des traîtres dans tous les cabinets. L'invention des postes fait que les nouvelles volent et arrivent de toutes parts.

Comme les grandes entreprises ne peuvent se faire sans argent, et que depuis l'invention des lettres de change les négociants en sont les maîtres, leurs affaires sont très-souvent liées avec les secrets de l'État; et ils ne négligent rien pour les pénétrer.

Des variations dans le change, sans une cause connue, font que bien des gens la cherchent, et

la trouvent à la fin.

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les secrets particuliers sont dans le pouvoir du pu- | Valens, les Goths ne pouvaient leur résister 1; enfin blic. ils étaient dans ces temps-là la meilleure cavalerie du monde.

Les princes peuvent agir avec promptitude, parce qu'ils ont les forces de l'État dans leurs mains : les conspirateurs sont obligés d'agir lentement, parce que tout leur manque; mais, à présent que tout s'éclaircit avec plus de facilité et de promptitude, pour peu que ceux-ci perdent de temps à s'arranger, ils sont découverts.

CHAPITRE XXII.

Faiblesse de l'empire d'Orient.

Phocas, dans la confusion des choses, étant mal affermi, Héraclius vint d'Afrique, et le fit mourir; il trouva les provinces envahies et les légions détruites.

A peine avait-il donné quelque remède à ces maux, que les Arabes sortirent de leur pays, pour étendre la religion et l'empire que Mahomet avait fondés d'une même main.

Jamais on ne vit des progrès si rapides : ils conquirent d'abord la Syrie, la Palestine, l'Égypte, l'Afrique, et envahirent la Perse.

Dieu permit que sa religion cessât en tant de lieux d'être dominante, non pas qu'il l'eût abandonnée, mais parce que, qu'elle soit dans la gloire ou dans T'humiliation extérieure, elle est toujours également propre à produire son effet naturel, qui est de

sanctifier.

La prospérité de la religion est différente de celle des empires. Un auteur célèbre disait qu'il était bien aise d'être malade, parce que la maladie est le vrai état du chrétien. On pourrait dire de même que les humiliations de l'Église, sa dispersion, la destruction de ses temples, les souffrances de ses martyrs, sont le temps de sa gloire; et que, lorsqu'aux yeux du monde elle paraît triompher, c'est le temps

ordinaire de son abaissement.

Pour expliquer cet événement fameux de la conquête de tant de pays par les Arabes, il ne faut pas avoir recours au seul enthousiasme. Les Sarrasins étaient, depuis longtemps, distingués parmi les auxiliaires des Romains et des Perses; les Osroéniens et eux étaient les meilleurs hommes de trait qu'il y eût au monde; Alexandre Sévère et Maximin en avaient engagé à leur service autant qu'ils avaient pu, et s'en étaient servis avec un grand succès contre les Germains, qu'ils désolaient de loin; sous

Nous avons dit que, chez les Romains, les légions d'Europe valaient mieux que celles d'Asie; c'était tout le contraire pour la cavalerie: je parle de celle des Parthes, des Osroéniens et des Sarrasins; et c'est ce qui arrêta les conquêtes des Romains, parce que, depuis Antiochus, un nouveau peuple tartare, dont la cavalerie était la meilleure du monde, s'empara de la haute Asie.

Cette cavalerie était pesante', et celle d'Europe était légère c'est aujourd'hui tout le contraire. La Hollande et la Frise n'étaient point pour ainsi dire encore faites, et l'Allemagne était pleine de bois, de lacs et de marais, où la cavalerie servait peu.

Depuis qu'on a donné un cours aux grands fleuves, ces marais se sont dissipés, et l'Allemagne a changé de face. Les ouvrages de Valentinien sur le Necker et ceux des Romains sur le Rhin 4 ont fait bien des changements; et, le commerce s'étant établi, des pays qui ne produisaient point de chevaux en ont donné, et on en a fait usage.

Constantin, fils d'Héraclius, ayant été empoi sonné, et son fils Constantin tué en Sicile, Constantin le Barbu, son fils aîné, lui succéda 7. Les grands des provinces d'Orient s'étant assemblés, ils voulurent couronner ses deux autres frères, soutenant que, comme il faut croire en la Trinité, aussi était-il raisonnable d'avoir trois empereurs.

L'histoire grecque est pleine de traits pareils; et la nation, il n'y eut plus de sagesse dans les enle petit esprit étant parvenu à faire le caractère de treprises, et l'on vit des troubles sans cause et des

révolutions sans motifs.

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Voyez ce que dit Zosime, liv. I, sur la cavalerie d'Aurélien et celle de Palmyre; voyez aussi Ammien Marcellin, sur la cavalerie des Perses.

3 C'étaient, pour la plupart, des terres submergées que l'art a rendues propres à être la demeure des hommes. 4 Voyez Ammien Marcellin, liv. XXVII.

5 Le climat n'y est plus aussi froid que le disaient les anciens. 6 César dit que les chevaux des Germains étaient vilains et petits. (Guerre des Gaules, liv. IV, ch. it.) Et Tacite, des Maurs des Germains, dit: Germania pecorum fœcunda, sed pleraque improcera.

7 ZONARAS, Vie de Constantin le Barbu.

qui, étant près de donner une bataille, se mit à pleurer, dans la considération du grand nombre de gens qui allaient être tués1.

Ce sont bien d'autres larmes, celles de ces Arabes, qui pleurèrent de douleur de ce que leur général avait fait une trêve qui les empêchait de répandre le sang des chrétiens 2.

C'est que la différence est totale entre une armée fanatique et une armée bigote. On le vit dans nos temps modernes, dans une révolution fameuse, lorsque l'armée de Cromwell était comme celle des Arabes, et les armées d'Irlande et d'Écosse comme celle des Grecs.

Une superstition grossière, qui abaisse l'esprit autant que la religion l'élève, plaça toute la vertu et toute la confiance des hommes dans une ignorante stupidité pour les images, et l'on vit des généraux lever un siége3 et perdre une ville 4 pour avoir une relique.

La religion chrétienne dégénéra sous l'empire grec, au point où elle était de nos jours chez les Moscovites, avant que le czar Pierre Ier eût fait renaître cette nation, et introduit plus de changements dans un État qu'il gouvernait, que les conquérants n'en font dans ceux qu'ils usurpent.

On peut aisément croire que les Grecs tombèrent dans une espèce d'idolâtrie. On ne soupçonnera pas les Italiens ni les Allemands de ces temps-là d'avoir été peu attachés au culte extérieur; cependant, lorsque les historiens grecs parlent du mépris des premiers pour les reliques et les images, on dirait que ce sont nos controversistes qui s'échauffent contre Calvin. Quand les Allemands passèrent pour aller dans la terre sainte, Nicétas dit que les Arméniens les recurent comme amis, parce qu'ils n'adoraient pas les images. Or si, dans la manière de penser des Grecs, les Italiens et les Allemands ne rendaient pas assez de culte aux images, quelle devait être l'énormité du leur ?

Il pensa bien y avoir en Orient à peu près la même révolution qui arriva, il y a environ deux siècles, en Occident, lorsqu'au renouvellement des lettres, comme on commença à sentir les abus et les déréglements où l'on était tombé, tout le monde cherchant un remède au mal, des gens hardis et trop peu dociles déchirèrent l'Église au lieu de la réformer.

I THEOPHILACTE, liv. II, chap. m; Histoire de l'empereur Maurice.

2 Histoire de la conquête de la Syrie, de la Perse et de l'Egypte par les Sarrasins, par M. Ockley,

3 ZONARAS, Vie de Romain Lacapene. 4 NICETAS, Vie de Jean Comnène.

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Léon l'Isaurien, Constantin Copronyme, Léon son fils, firent la guerre aux images; et après que le culte en eut été rétabli par l'impératrice Irène, Léon l'Arménien, Michel le Bègue et Théophile, les abolirent encore. Ces princes crurent n'en pouvoir modérer le culte qu'en le détruisant; ils firent la guerre aux moines qui incommodaient l'État1; et prenant toujours les voies extrêmes, ils voulurent les exterminer par le glaive, au lieu de chercher à les régler.

Les moines, accusés d'idolâtrie par les partisans des nouvelles opinions, leur donnèrent le change en les accusant à leur tour de magie3; et, montrant au peuple les églises dénuées d'images et de tout ce qui avait fait jusque-là l'objet de sa vénération, ils ne lui laissèrent point imaginer qu'elles pussent servir à d'autre usage qu'à sacrifier aux démons.

Ce qui rendait la querelle sur les images si vive, et fit que dans la suite les gens sensés ne pouvaient pas proposer un culte modéré, c'est qu'elle était liée à des choses bien tendres: il était question do la puissance; et les moines l'ayant usurpée, ils ne pouvaient l'augmenter ou la soutenir qu'en ajoutant sans cesse au culte extérieur dont ils faisaient euxmêmes partie. Voilà pourquoi les guerres contre les images furent toujours des guerres contre eux, et que quand ils eurent gagné ce point, leur pouvoir n'eut plus de bornes.

Il arriva pour lors ce que l'on vit, quelques siècles après, dans la querelle qu'eurent Barlaam et Acindyne contre les moines, et qui tourmenta cet empire jusqu'à sa destruction. On disputait si la lumière qui apparut autour de Jésus-Christ sur le Thabor était créée ou incréée. Dans le fond, les moines ne se souciaient pas plus qu'elle fût l'un que l'autre; mais mêmes, il fallait nécessairement que cette lumière comme Barlaam les attaquait directement euxfut incréée.

La guerre que les empereurs iconoclastes déclarèrent aux moines fit que l'on reprit un peu les principes du gouvernement, que l'on employa en faveur du public les revenus publics, et qu'enfin on ôta au corps de l'État ses entraves.

Longtemps avant, Valens avait fait une loi pour les obliger d'aller à la guerre, et fit tuer tous ceux qui n'obéirent pas. (JORNANDÈS, de Regn. success.; et la loi XXVI, cod. de Decur.)

2 Tout ce qu'on verra ici sur les moines grecs ne porte point sur leur état; car on ne peut pas dire qu'une chose ne soit pas bonne, parce que dans de certains temps, ou dans quelques pays, on en a abusé.

3 LÉON LE GRAMMAIRIEN, Vie de Léon l'Arménien, Vie de Théophile. Voyez Suidas, à l'article Constantin, fils de Léon.

Quand je pense à l'ignorance profonde dans laquelle le clergé grec plongea les laïques, je ne puis m'empêcher de le comparer à ces Scythes dont parle Hérodote, qui crevaient les yeux à leurs esclaves, afin que rien ne pût les distraire et les empêcher de battre leur lait.

L'impératrice Théodora rétablit les images, et les moines recommencèrent à abuser de la piété publique; ils parvinrent jusqu'à opprimer le clergé séculier même; ils occupèrent tous les grands siéges, et exclurent peu à peu tous les ecclésiastiques de l'épiscopat: c'est ce qui rendit ce clergé intolérable; et si l'on en fait le parallèle avec le clergé latin, si l'on compare la conduite des papes avec celle des patriarches de Constantinople, on verra des gens aussi sages que les autres étaient peu

sensés.

Voici une étrange contradiction de l'esprit humain. Les ministres de la religion chez les premiers Romains n'étant pas exclus des charges et de la société civile, s'embarrassèrent peu de ses affaires; lorsque la religion chrétienne fut établie, les ecclésiastiques, qui étaient plus séparés des affaires du monde, s'en mêlèrent avec modération; mais lorsque dans la décadence de l'empire, les moines furent le seul clergé, ces gens, destinés par une profession plus particulière à fuir et à craindre les affaires, embrassèrent toutes les occasions qui purent leur y donner part; ils ne cessèrent de faire du bruit par tout et d'agiter ce monde qu'ils avaient quitté.

Aucune affaire d'État, aucune paix, aucune guerre, aucune trève, aucune négociation, aucun mariage ne se traita que par le ministère des moines: les conseils du prince en furent remplis, et les assemblées de la nation presque toutes composées.

On ne saurait croire quel mal il en résulta. Ils affaiblirent l'esprit des princes, et leur firent faire imprudemment même les choses bonnes. Pendant que Basile occupait les soldats de son armée de mer à bâtir une église à saint Michel, il laissa piller la Sicile par les Sarrasins, et prendre Syracuse; et Léon, son successeur, qui employa sa flotte au même usage, leur laissa occuper Tauroménie et l'ile

de Lemnos 3.

Andronic Paléologue abandonna la marine, parce qu'on l'assura que Dieu était si content de son zèle pour la paix de l'Église que ses ennemis n'oseraient l'attaquer. Le même craignait que Dieu ne lui demandat compte du temps qu'il employait à gouver

* Liv. IV.

2 Voyez Pachymère, liv. VIII.

3 ZONARAS et NICEPHORE, Vie de Basile et de Léon,

ner son État, et qu'il dérobait aux affaires spirituelles.

Les Grecs, grands parleurs, grands disputeurs, naturellement sophistes, ne cessèrent d'embrouiller la religion par des controverses. Comme les moines avaient un grand crédit à la cour, toujours d'autant plus faible qu'elle était plus corrompue, il arrivait que les moines et la cour se corrompaient réciproquement, et que le mal était dans tous les deux : d'où il suivait que toute l'attention des empereurs était occupée quelquefois à calmer, souvent à irriter des disputes théologiques qu'on a toujours remarquées devenir frivoles à mesure qu'elles sont plus vives.

Michel Paléologue, dont le règne fut tant agité par des disputes sur la religion, voyant les affreux ravages des Turcs dans l'Asie, disait en soupirant que le zèle téméraire de certaines personnes qui, en décriant sa conduite, avaient soulevé ses sujets contre lui, l'avait obligé d'appliquer tous ses soins à sa propre conservation, et de négliger la ruine des provinces. « Je me suis contenté, disait-il, de

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pourvoir à ces parties éloignées par le ministère « des gouverneurs, qui m'en ont dissimulé les be« soins, soit qu'ils fussent gagnés par argent, soit << qu'ils appréhendassent d'être punis 2. »

Les patriarches de Constantinople avaient un pouvoir immense. Comme dans les tumultes populaires les empereurs et les grands de l'État se retiraient dans les églises, que le patriarche était maître de les livrer ou non, et exerçait ce droit à sa fantaisie, il se trouvait toujours, quoique indirectement, arbitre de toutes les affaires publiques.

Lorsque le vieux Andronic 3 fit dire au patriarche qu'il se mêlât des affaires de l'Église, et le laissåt gouverner celles de l'empire : « C'est, lui répon<< dit le patriarche, comme si le corps disait à l'âme : « Je ne prétends avoir rien de commun avec vous, « et je n'ai que faire de votre secours pour exercer << mes fonctions. »

De si monstrueuses prétentions étant insupportables aux princes, les patriarches furent trèssouvent chassés de leurs siéges. Mais chez une nation superstitieuse, où l'on croyait abominables toutes les fonctions ecclésiastiques qu'avait pu faire un patriarche qu'on croyait intrus, cela produisit des schismes continuels : chaque patriarche. l'an

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