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» Et, près d'un vain tombeau consumant vos beaux jours, >> Fuir le doux nom de mère, et languir sans amours?

» Hôtes inanimés de la nuit éternelle,

>> Les morts s'informent-ils si vous êtes fidèle? Que mille adorateurs dans Sidon autrefois

» Aient brigué vainement l'honneur de votre choix; » Qu'larbe, redouté sur ce brûlant rivage,

» Vous ait lassée en vain de son superbe hommage;
» Qu'enfin, dans ces climats féconds en grands exploits,
» Tant de fameux guerriers et tant d'illustres rois,
>> Descendus pour Didon de leur char de victoire,
>> En vain aient à vos pieds mis leur sceptre et leur gloire;
>> Nul n'a pu dans votre ame effacer votre époux.
>> Mais pourquoi vous armer contre un penchant plus doux?
>> De vos états au moins que l'intérêt vous touche.
» Ici, le Maure altier, le Barcéen farouche,

>> Contre vos murs naissans frémit de toutes parts;
» Là, des sables déserts entourent vos remparts;
» Partout il faut lutter, sur ces affreux rivages,
» Contre un climat barbare et des peuples sauvages.
» Et ne craignez-vous point votre frère en courroux ?
>> Quels orages dans Tyr s'élèvent contre vous !

» Il n'en faut point douter, ces fiers enfans de Troie,
» C'est Junon, c'est le ciel, ma sœur, qui les envoie.
» Dieux! combien cet hymen vous promet de grandeur!
» Qu'llion de Carthage accroîtra la splendeur!
» Voyez vos murs peuplés, vos villes florissantes,
» Et la mer se courbant sous vos flottes puissantes.

Tu modò posce deos veniam; sacrisque litatis,

Indulge hospitio, causasque innecte morandi;
Dum pelago desævit hiems, et aquosus Orion,
Quassatæque rates, dum non tractabile coelum.

His dictis incensum animum inflammavit amore, (16 Spemque dedit dubiæ menti, solvitque pudorem. (17 Principio delubra adeunt, pacemque per aras Exquirunt : mactant lectas de more bidentes Legiferæ Cereri, Phocboque, patrique Lyæo; Junoni ante omnes, cui vincla jugalia curæ. Ipsa, tenens dextrâ pateram, pulcherrima Dido Candentis vaccæ media inter cornua fundit: Aut ante ora deûm pingues spatiatur ad aras, Instauratque diem donis, pecudumque reclusis (18 Pectoribus inhians, spirantia consulit exta.

Heu! vatum ignaræ mentes! quid vota furentem, Quid delubra juvant? est mollis flamma medullas (19

» Vous, seulement des dieux implorez la bonté;
» Par les soins caressans de l'hospitalité,

» Du Troyen dans ces lieux prolongez la présence:
>> Que l'amour naisse en lui de la reconnoissance;
>> Prétextez ses périls, les rigueurs de l'hiver,

» Ses nefs à réparer, l'inclémence de l'air,

>> Les torrens d'Orion suspendus sur nos têtes,

» Les menaces de l'onde, et l'horreur des tempêtes. >>
Ce discours rend l'espoir à sa timide ardeur,
Assoupit le remords, fait taire la pudeur;
Et l'amour plus brûlant se rallume en son ame.
Pour obtenir des dieux le succès de sa flamme,
On invoque Bacchus, on invoque Apollon,
Surtout le dieu d'hymen protégé par Junon.
Didon, leur présentant le vin du sacrifice,
En arrose le front d'une blanche génisse;
D'un pas majestueux fait le tour des autels,
Les charge tous les jours de présens solennels;
Tous les jours, au milieu des victimes mourantes,
Consulte avidement leurs fibres palpitantes.
Malheureuse! où l'égare une pieuse erreur?

La réponse des dieux est au fond de son cœur;
Leur nom est dans sa bouche, Énée est dans son ame:
Toute entière livrée à l'amour qui l'enflamme,
Que servent contre lui les prières, l'encens?
De ses douces fureurs elle enivre ses sens,
Aime en les combattant ses amoureuses peines:
L'amour vit dans son cœur et brûle dans ses veines.

Interea, et tacitum vivit sub pectore vulnus.
Uritur infelix Dido, totâque vagatur

Urbe furens: qualis conjectâ cerva sagittâ, (20
Quam procul incautam nemora inter Cresia fixit
Pastor agens telis, liquitque volatile ferrum
Nescius; illa fugâ silvas saltusque peragrat
Dictæos : hæret lateri letalis arundo.

Nunc media Ænean secum per moenia ducit, (21
Sidoniasque ostentat opes, urbemque paratam:
Incipit effari, mediâque in voce resistit. (22
Nunc eadem, labente die, convivia quærit, (23
Iliacosque iterum demens audire labores

Exposcit, pendetque iterum narrantis ab ore. (24
Post, ubi digressi, lumenque obscura vicissim
Luna premit, suadentque cadentia sidera somnos,
Sola domo moret vacuâ, stratisque relictis (25
Incubat: illum absens absentem auditque videtque;
Aut gremio Ascanium, genitoris imagine capta,

Detinet, infandum si fallere possit amorem.

L'œil égaré, l'air sombre, et les sens agités,
Elle porte au hasard ses pas précipités.

Ainsi, lorsqu'un chasseur a, de son trait rapide,
Atteint, sans le savoir, une biche timide,

En vain elle parcourt et les bois et les champs,
Le fer mortel la suit, et s'attache à ses flancs.
Le jour, Didon conduit son amant dans Carthage,
Lui montre la grandeur de son naissant ouvrage,
Ces murs déjà bâtis, cet asile tout prêt,
Veut lui parler, rougit, s'interrompt et se tait.
Le soir, entretenant le feu qui la dévore,
A de nouveaux festins elle l'entraîne encore,
Veut encor l'écouter, lui fait dire cent fois
Et les mêmes malheurs et les mêmes exploits,
Le suit dans Troie en cendre; et son ame éperdue
Aux lèvres du guerrier demeure suspendue.
Enfin, lorsque la nuit l'arrache à ce héros,
Lorsque l'ombre paisible invite au doux repos,
A son palais désert redemandant Énée,
Seule, dans le silence, elle erre abandonnée;
Au lieu qu'il occupoit revient souvent s'asseoir;
Absent croit lui parler, absente croit le voir;
Tantôt prenant Ascagne, et fixant son visage,
Du père dans le fils elle embrasse l'image;
Par ses soins caressans le retient dans sa cour,
Et cherche, s'il se peut, à tromper son amour.
Sa langueur cependant se répand autour d'elle:
Les plaisirs règnent seuls dans sa cité nouvelle;

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