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pape? encore moins; le pape n'y avait pas plus de droit que le grand lama. Par qui furent-ils donc institués? par eux-mêmes. Ce sont les sept premiers officiers de la couronne impériale, qui s'emparèrent au treizième siècle de ce droit négligé par les autres princes, et c'est ainsi que presque tous les droits s'établissent les lois et les temps les confirment, jusqu'à ce que d'autres temps et d'autres lois les changent.

III. On demande pourquoi les cardinaux, qui étaient originairement des curés primitifs de Rome, se crurent avec le temps supérieurs aux électeurs, à tous les princes, et égaux aux rois : c'est demander pourquoi les hommes sont inconséquents. Je trouve, dans plusieurs histoires d'Allemagne, que le dauphin de France, qui fut depuis le roi Charles V, alla à Metz implorer vainement le secours de l'empereur Charles IV. Il fut précédé par le cardinal d'Albe, qui était le cardinal de Périgord, arrière-vassal du roi son père; je dis arrière-vassal, car les Anglais avaient le Périgord. Ce cardinal passa avant le dauphin à la diète de Metz, où la seconde partie de la bulle d'or fut promulguée; il mangea seul à une table fort élevée avec l'empereur, ob reverentiam pontificis, comme dit Trithème dans sa Chronique du monastère d'Hirsauge. Cela prouve que les princes ne doivent guère voyager hors de chez eux, et qu'un cardinal, légat du pape, était alors au moins la troisième personne de l'univers, et se croyait la seconde.

IV. On a écrit beaucoup sur la loi salique, sur la pairie, sur les droits du parlement; on écrit encore tous les jours: c'est une preuve que ces origines sont fort obscures, comme toutes les origines le sont. L'usage tient lieu de tout, et la force change quelquefois l'usage. Chacun allègue ses anciennes prérogatives comme des droits sacrés; mais, si aujourd'hui le Châtelet de Paris faisait pendre un bedeau de l'Université qui aurait volé sur le grand chemin, cette université serait-elle bien reçue à exiger que le prévôt de Paris déterrât lui-même le corps de son bedeau, demandât pardon aux deux corps, c'est-à-dire à celui du bedeau et à celui de l'Université, baisât le premier à la bouche, et payât une amende au second, comme la chose arriva du temps de Charles VI, en 1408?

Serait-elle aussi en droit d'aller prendre le lieutenant civil, et de lui donner le fouet, culottes bas, dans les écoles publiques, en présence de tous les écoliers, comme elle le requit à Philippe Auguste?

V. Dans quel temps le parlement de Paris commença-t-il à entrer en connaissance des finances du roi, dont la chambre des comptes était seule autrefois chargée? Dans quelle année les barons, qui rendaient la justice dans le parlement de Paris, cessèrent-ils de s'y trouver, et abandonnèrent-ils la place aux hommes de loi?

VI. Toutes les coutumes de la France ne viennent-elles pas originairement d'Italie et d'Allemagne? A commencer par le sacre des rois de France, n'est-il pas évident que c'est une imitation du sacre des rois lombards?

VII. Y a-t-il en France un seul usage ecclésiastique qui ne soit venu d'Italie? et les lois féodales n'ont-elles pas été apportées par les peuples septentrionaux qui subjuguèrent les Gaules et l'Italie? On prétend que

la fête des fous, la fête de l'âne, et semblables facéties, sont d'origine française; mais ce ne sont point là des usages ecclésiastiques; ce sont des abus de quelques églises, et d'ailleurs, la fête de l'âne est originaire de Vérone, où l'on conserva l'âne qui était venu de Jérusalem, et dont on fit la fête.

VIII. Toute industrie en France n'a-t-elle pas été très-tardive? et depuis le jeu de cartes, reconnu originaire d'Espagne, par les noms de spadilles, de manilles, de codilles, jusqu'au compas de proportion et à la machine pneumatique, y a-t-il un seul art qui ne lui soit étranger? Les arts, les coutumes, les opinions, les usages, n'ont-ils pas fait le tour du monde?

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Mon confrère Jean-Georges du Puy a voulu vous instruire par un gros volume, Vous savez que la vérité est au fond du Puy, mais vous ne savez pas encore si Jean-Georges l'en a tirée. Vous vous êtes récriés d'abord en voyant les armoiries de Jean-Georges en taille rude à la tête de son ouvrage. Cet écusson représente un homme monté sur un quadrupède; vous doutez si cet animal est la monture de Balaam, ou celle du chevalier que Cervantes a rendu fameux. L'un était un prophète, et l'autre un redresseur de torts; vous ignorez qui des deux est le patron de mon cher confrère. Vous êtes étonnés que son humilité ne l'empêche pas de s'intituler Monseigneur; mais il n'a pas craint que sa vertu se démentit dans son cœur par ce titre fastueux. Les Pères de l'Eglise ne mettaient pas ces enseignes de la vanité à la tête de leurs

1. Le frère de M. de Pompignan se trouvait par hasard évêque du Puy en Velay: il avait fait ces Questions sur l'incredulité, où il prouve qu'il n'y a pas d'incrédules, et ensuite que les incrédules sont dangereux. Il avait essayé de réconcilier la dévotion avec l'esprit, et ils n'ont jamais été plus brouilles que depuis son livre. Il crut donc, en qualité d'évêque et de bel esprit, devoir défendre son frère contre M. de Voltaire, et donner à ses brebis, dans une instruction pastorale, des leçons de théologie et de bon goût. Cette instruction lui attira les réponses suivantes de la part d'un quaker et d'un évêque schismatique. Pour l'en consoler, le cardinal de La Roche-Aimon, si connu de toute l'Europe pour la profondeur de ses lumières en théologie, l'a fait archevêque de Vienne; et en cette qualité il a écrit à ses diocesains de ne point souscrire à cette nouvelle édition des OEuvres de M. de Voltaire, dans laquelle il se doutait qu'on aurait la malice de se moquer un peu de lui. (Ed. de Kehl.)-M. de Pompignan, archevêque de Vienne, fut membre del'Assemblée constituante. (ED.)

ouvrages; nous ne voyons pas même que les évangiles aient été écrits par Mgr Matthieu et par Mgr Luc. Mais aussi, mes chers frères, considérez que les ouvrages de Mgr Jean-Georges ne sont pas paroles d'évangile.

Il a soin de nous avertir que de plus il s'appelle Pompignan; nous avons vu à ce grand nom les fronts les plus sévères se dérider, et la joie répandue sur tous les visages, jusqu'au moment où la lecture des premières pages a changé absolument toutes les physionomies, et plongé les esprits dans un doux repos. Et bientôt on a demandé dans la petite ville du Puy s'il était vrai que monseigneur était auteur à Paris, et on a demandé dans Paris si cet évêque avait imprimé au Puy un ouvrage.

J'avoue que tous nos confrères ont trouvé mauvais qu'on prostituât ainsi la dignité du saint ministère; que sous prétexte de faire un mandement dans un petit diocèse, on imprimât en effet un livre qui n'est pas fait pour ce diocèce, et qu'on affectât de parler de Newton et de Locke aux habitants du Puy en Velay. Nous en sommes d'autant plus surpris que les ouvrages de ces Anglais ne sont pas plus connus des habitants du Velay que de monseigneur. Enfin, nous avouons qu'après le péché mortel, ce qu'un évêque doit le plus éviter, c'est le ridicule. Comme notre diocèse est extrêmement éloigné du sien, nous nous servons, à son exemple, de la voie de l'impression pour lui faire une correction fraternelle, que tous les bons chrétiens se doivent les uns aux autres; devoir dont ils se sont fidèlement acquittés dans tous les temps.

Ce n'est pas que nous voulions contester à Jean-Georges ses prétentions épiscopales au bel esprit; ce n'est pas que nous ne sachions estimer son zèle ardent qui, dans la crainte d'omettre les choses utiles, se répand presque toujours sur celles qui ne le sont pas. Nous convenons de son éloquence abondante qui n'est jamais étouffée sous les pensées; nous admirons sa charité chrétienne qui devine les plus secrets sentiments de tous ses contemporains, et qui les empoisonne, de peur que leurs sentiments n'empoisonnent le siècle.

Mais, en rendant justice à toutes les grandes qualités de Jean-Georges, nous tremblons, mes chers frères, qu'il n'ait fait une bévue dans son instruction pastorale, laquelle plusieurs malins d'entre vous disent n'être ni d'un homme instruit ni d'un pasteur. Cette bévue consiste à regarder les plus grands génies comme des incrédules; il met dans cette classe Montaigne, Charron, Fontenelle, et tous les auteurs de nos jours, sans parler de la prière du Déiste de monsieur son frère aîné, que Dieu absolve.

C'est une entreprise un peu trop forte d'écrire contre tout son siècle, et ce n'est peut-être pas avoir un zèle selon la science, que de dire : << Mes frères, tous les gens d'esprit et tous les savants pensent autrement que moi, tous se moquent de moi; croyez donc tout ce que je vais vous dire. » Ce tour ne nous a pas paru assez habile.

On dit aussi qu'il y a dans l'in-4° de mon confrère Jean-Georges un long chapitre contre la tolérance, malgré la parole de Jésus-Christ et des apôtres, qui nous ordonne de nous supporter les uns les autres.

Mes frères, je vous exhorte, selon cette parole, à supporter JeanGeorges. Vous avez beau dire que son livre est insupportable; ce n'est pas une raison pour rompre les liens de la charité. Si son ouvrage vous a paru trop gros, je dois vous dire, pour vous rassurer, que mon relieur m'a promis qu'il serait fort plat, quand il aurait été battu.

Nous demeurons donc unis à Jean-Georges, et même à Jean-Jacques, quoique nous pensions différemment d'eux sur quelques articles. Ce qui nous console, c'est qu'on nous assure de tous côtés que l'œuvre de notre confrère du Puy est comme l'arche du Seigneur : elle est sainte, elle est exposée en public, et personne n'approche d'elle. Bonsoir, mes frères.

L'HUMBLE ÉVÊQUE D'ALÉTOPOLIS.

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LETTRE D'UN QUAKER,

A JEAN-GEORGES LE FRANC DE POMPIGNAN,

ÉVÊQUE DU PUY EN VELAY, ETC., ETC.,

DIGNE FRÈRE DE SIMON LE FRANC DE POMPIGNAN.

(1763.)

AMI JEAN-GEORGES, je suis venu de Philadelphie en la ville de Paris pour recueillir trois millions cinq cent mille livres, que les fermiers généraux payent tous les ans à nos frères de Pensylvanie et Maryland pour les nez de la France.

L'ami Chaubert, honnête libraire, quai des Augustins, lequel me devait quelques deniers, me dit qu'il était dans l'impuissance de me payer, attendu qu'il avait imprimé une instruction dite pastorale, de ta façon, en trois cent huit pages, par monseigneur Cortiat', secrétaire. Il m'offrit en payement une grande cargaison d'exemplaires, lesquels il assurait que je pourrais vendre en Canada.

AMI JEAN-GEORGES, j'ouvris ton livre; je fus fâché de voir comme tu traites Newton et Locke, qu'un Français plus juste que toi appelle les précepteurs du genre humain. Peux-tu être assez barbare pour dire (page 33) qu'on ne trouve point d'idée positive de Dieu dans ce sage Locke, auteur du Christianisme raisonnable, et législateur d'une province entière? Pourquoi es-tu calomniateur? Ton libraire, Chaubert, m'a certifié que tu avais travaillé avec un homme qu'on appelle en France abbé, à l'apologie de la révocation de l'édit de Nantes, et que,

1. Le secrétaire de Pompignan s'appelait Cortial. (ÉD.)

2. Voltaire lui-même. (ED.)

3. L'abbé de Caveyrac, condamné au carcan et au bannissement perpétuel, mais par contumace, comme auteur de l'Appel à la raison, en faveur des jésuites. (ED.)

dans cette apologie, tu dis que les Anglais recueillent le mépris des nations. Ah! frère, cela n'est pas bien : nous ne sommes pas si méprisables que tu le dis; demande à nos amiraux.

De quoi t'avises-tu, dans une instruction dite pastorale, adressée aux laboureurs, vignerons, et merciers du Puy en Velay, de dire (page 38) que le système de la gravitation est menacé de décadence? Qu'a de commun la théorie des forces centripètes et centrifuges avec la religion et avec les habitants du Puy en Velay? Vois combien il est ridicule de parler de ce qu'on n'entend point, et de vouloir faire le bel esprit chez Chaubert, quai des Augustins, sous prétexte d'enseigner ton catéchisme à tes paysans. Apprends, l'ami, que la théorie démontrée de la gravitation n'est point un système; que tous les corps gravitent les uns vers les autres en raison directe de la masse, et en raison inverse du carré de la distance; que c'est une loi invariable de la nature, mathématiquement calculée; et souviens-toi qu'on ne doit pas en parler dans une homélie: Non erat hic locus.

AMI JEAN-GEORGES, si tu calomnies la Grande-Bretagne, je ne suis pas surpris que tu outrages les gens de ton pays (page 18.); tu as tort de remuer les cendres de Fontenelle, et de dire que son Histoire des oracles est remplie de venin. Cette histoire n'est point de lui : elle est du savant Van-Dale; Fontenelle n'a fait que l'embellir. Le sage ministre Basnage, le judicieux Dumarsais, les meilleurs journalistes, tous ont soutenu cette histoire que tu veux décrier.

Comme je t'écrivais ces choses avec naïveté, je vis le carrosse d'une dame fort aimable s'arrêter devant la boutique de Chaubert. « Est-il vrai, dit-elle, que vous avez imprimé un mauvais livre, où le président de Montesquieu, le bienfaiteur des hommes, est traité d'impie? voyons un peu ce livre. » Elle se fit donner ta pastorale; on lui avait indiqué la page (page 208); elle lut et rendit l'ouvrage. « Quel est le polisson qui a fait cette rapsodie? dit-elle. C'est Mgr Cortiat, secrétaire,» répondit Chaubert. Je lui dis : « Belle femme, qui es-tu ? » Elle m'apprit qu'elle était la bru du célèbre Montesquieu. « Consoletoi, lui dis-je; quiconque insulte tant de grands hommes est sûr du mépris et de la haine du public. >

Elle partit consolée; je continuai à te feuilleter: tu parles (page 18) d'un Perrault, d'un La Motte, d'un Terrasson, et d'un Boindin auquel tu donnes l'épithète d'athée. Je demandai à Chaubert qui étaient ces gens-là, et si Boindin a fait quelque écrit d'athéisme, comme ton frère, Simon Le Franc, en a fait un de déisme. Il me dit que ce Boindin était un magistrat, qui avait fait quelques comédies, et que ni lui, ni Terrasson, ni La Motte, ni Perrault, n'avaient jamais rien écrit sur la religion. J'avoue que je me mis alors en colère, et que je dis: Pox on the mad man; la peste soit du... j'en demande pardon à Dieu, et je t'en demande pardon, mon cher frère.

AMI JEAN-GEORGES, tu vas de Boindin à Salomon, et tu affirmes (page 44) que l'auteur de l'Ecclésiaste a dit dans son dernier chapitre : Tout ce qui vient de la terre, tout ce qui doit y retourner, est vanité.

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