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quels droits des rois franks et de la nation gallo-franke sont les droits naturels de tous les rois et de toutes les nations.

Tout le système de l'assemblée du clergé frank roule sur ces paroles de je ne sais quel papa transalpin, nommé Gélas :

«Deux puissances sont établies pour gouverner les hommes : l'autorité sacrée des pontifes', et celle des rois. »

Mes frères, notre obéissance aux lois de notre vaste empire, la vérité et l'humilité chrétienne, exigent que nous vous instruisions sur la nature de ces deux puissances, sur l'abus de ces mots inconnus dans toute notre Eglise, et que nous nous hâtions de vous prémunir contre ces erreurs pernicieuses, nées dans les ténèbres de l'Occident, comme disait notre grand patriarche Photius.

Des deux puissances.

Il faut d'abord, mes frères, savoir ce que c'est que puissance; car si on ne définit les mots, on ne s'entend jamais, et l'équivoque que les Grecs nomment logomachie est l'origine de toutes les disputes, et les disputes ont produit le trouble dans tous les temps.

Puissance, chez les hommes, signifie faculté convenue de faire des lois, et de les appuyer par la force.

Ainsi, depuis près de cinq mille ans, nos voisins les empereurs de la Chine ont eu légitimement la puissance; notre auguste impératrice jouit du même droit; le monarque frank a les mêmes prérogatives; le roi d'Angleterre jouit du même pouvoir quand il est d'accord avec ses états généraux, nommés parlement; mais jamais chez aucun peuple de l'antiquité, ni à la Chine, ni dans l'empire romain d'Orient ou d'Occident, on n'entendit parler de deux puissances dans un Etat : c'est une imagination pernicieuse, c'est une espèce de manichéisme, qui, établissant deux principes, livrerait l'univers à la discorde.

Pendant les premiers siècles du christianisme, cette distinction séditieuse de deux puissances fut entièrement ignorée, et par cela seul elle est condamnable. Il suffit d'avoir lu l'Evangile pour savoir que le royaume de Jésus-Christ n'est point de ce monde 2; que dans ce royaume il n'y a ni premier ni dernier3; que le fils de l'homme est venu, non pas pour être servi, mais pour servir“.

Ce sont, mes frères, les propres paroles émanées de la bouche de notre divin Sauveur, paroles sacrées dont le sens clair et naturel ne pourra jamais être perverti, ni par aucune usurpation, ni par aucune citation tronquée et captieuse d'un texte malignement interprété.

Notre Seigneur Jésus-Christ donna puissance à ses disciples: quelle fut cette puissance? Celle de chasser les démons des corps des possédés, de manier les serpents impunément, de parler plusieurs langues à la fois sans les avoir apprises, de guérir les malades, ou par leur ombre, ou en leur imposant les mains.

1. Il faut remarquer que les évêques sont nommés avant les rois, et que le mot sacrée n'est ici que pour eux, et non pas pour les rois, qui cependant sont très-sacrés.

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2. Jean, XVIII, 36. (ED.) 3. Matth., XIX, 30; xx, 16; Marc, x, 31; Luc, XIII, 30. (ED.) 4. Matth., xx, 28; Marc, x, 45. (ED.)

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Nos papas grecs, africains, égyptiens, qui fondèrent seuls l'Église chrétienne, qui seuls écrivaient dans les premiers siècles, qui seuls furent appelés Pères de l'Église, perdirent cette puissance, et ne prétendirent point la remplacer par des honneurs, par un crédit, par des richesses, par une ambition que la religion condamne, et que le monde abhorre.

Aucun évêque parmi nous ne s'intitula prince ou comte; aucun ne prétendit d'autre puissance que celle d'exhorter les pécheurs, et de prier Dieu pour eux. Quand quelque patriarche voulut abuser de sa place, et lutter contre le trône, il fut sévèrement puni, et tout l'empire approuva son châtiment.

On sait qu'il n'en fut pas ainsi dans l'Église d'Occident; elle ne s'était formée que très-longtemps après la nôtre : nos Évangiles grecs, écrits dans Alexandrie et dans Antioche, furent à peine connus de ces barbares; ils en firent enfin une assez mauvaise traduction dans le temps de la décadence de la langue latine; mais d'ailleurs, comme nous l'avons déjà remarqué, il n'y eut aucun Père de l'Église né à Rome.

Ils suppléèrent à leur ignorance par des contes absurdes, qu'ils firent croire aisément à des peuples aussi absurdes qu'eux. Ne pouvant se faire valoir par leur science, ils supposèrent que l'apôtre Pierre, dont la mission était uniquement pour les Juifs, avait trahi sa vocation pour aller à Rome.

Voyez, mes frères, sur quels fondements ils bâtirent cette fable. Il y eut, disent-ils, dès le 1er siècle, un nommé Abdias qui prétendit être évêque secret des premiers chrétiens à Babylone, quoiqu'il soit avéré que ce ne fut qu'au e siècle qu'il y eut de véritables évêques attachés à un troupeau, et qu'on vit une hiérarchie certaine établie cet Abdias passa pour avoir écrit en hébreu une Histoire des douze apôtres, et Jules Africain la traduisit depuis, ou du moins quelqu'un prit le nom de Jules Africain.

C'est cet Abdias qui le premier écrivit que Pierre avait fait le voyage de la Syrie à Rome; qu'il rencontra, à la cour de Néron, Simon le Magicien, avec lequel il fit assaut de miracles. Un jeune seigneur, parent de Néron, mourut. Simon et Pierre disputèrent à qui lui rendrait la vie: Simon ne le ressuscita qu'à moitié; mais Pierre le ressuscita tout à fait, et gagna le prix. Simon voulut prendre sa revanche; il envoya un chien à Pierre lui faire des compliments de sa part, et le défier à qui volerait le plus haut dans les airs en présence de l'empereur. Le chien de Simon s'acquitta parfaitement de sa commission. Pierre aussitôt envoya son chien chez Simon pour le complimenter à son tour et pour accepter le défi : les deux champions comparurent; Simon vola; Pierre pria Dieu avec tant de larmes, que Dieu, touché de pitié, fit tomber Simon, qui se cassa les jambes; et Néron irrité fit crucifier Pierre la tête en bas. Hégésippe et Marcel racontent la même histoire; ce sont là les Pères de l'Église de Rome.

Cette Eglise prétend que Pierre fut vingt-cinq ans évêque de la capitale, ce qui ne s'accorde nullement avec la chronologie; mais les La

tins ne s'effrayent pas pour si peu de chose; ils ont eu le front d'assurer que Pierre avait écrit une lettre de Babylone où il était avec Abdias; ce mot Babylone signifiait Rome; et voilà en vérité toute la preuve qu'ils apportent du prétendu épiscopat de Pierre. Nous savons que plusieurs Pères adoptèrent ces contes longtemps après; mais nous savons aussi par quelles raisons victorieuses Spanheim et Laroque les ont réfutés. C'est donc sur cette fable et sur un ou deux passages de l'Evangile, interprétés d'une étrange manière, que les Latins ont établi l'empire du pape, et sa domination sur tous les rois.

Jamais l'Église grecque ne se souilla par des entrepises si criminelles; elle fut toujours soumise à ses souverains, suivant la parole de Jésus-Christ même; mais l'Eglise romaine s'emporta jusqu'à une rébellion ouverte sur la fin du viIIe siècle; et enfin au commencement de l'année 800, un pape, nommé Léon III, osa transférer l'empire d'Occident à Charlemagne.

Dès ce moment, quelle foule d'usurpations, de meurtres, de sacriléges, et de guerres civiles! Est-il un royaume, depuis le Danemark jusqu'au Portugal, dont les papes n'aient prétendu disposer plus d'une fois? Qui ne sait que l'empereur Henri IV fut forcé de demander pardon, pieds nus et à genoux, à l'évêque de Rome Grégoire VIII; qu'il mourut détrôné et réduit à l'indigence; que son fils Henri V fit déterrer le corps de son père comme celui d'un excommunié, et qu'ayant osé enfin soutenir ses droits contre Rome, il fut obligé de céder, de peur d'être traité comme son père?

Les malheurs des empereurs Frédéric-Barberousse et Frédéric II sont connus de toute la terre. Sept rois de France excommuniés, deux morts assassinés, sont d'effroyables exemples qui doivent instruire tous les princes. Un des meilleurs rois qu'aient eus les Francs est Louis XII; que n'essuya-t-il pas de ce pape Alexandre VI, de ce vicaire en Jésus-Christ, qui, environné de sa maîtresse et de ses cinq bâtards, faisait mourir par le poison, par le poignard, ou par la corde, vingt seigneurs dont il ravissait le patrimoine, et leur donnait encore l'absolution à l'article de la mort!

Nous faisons gloire de n'être pas d'une communion souillée de tant de crimes. Dieu nous préserve surtout de nous élever jamais contre la jurisprudence de notre chère patrie et contre le trône! Nous regardons comme notre premier devoir d'être entièrement soumis à nos augustes souverains: ces seuls mots, les deux puissances, nous paraissent le cri de rébellion.

Nous adhérons aux maximes du parlement de France, qui, comme notre sénat, ne reconnaît qu'une seule puissance fondée sur les lois. Nous plaignons les malheurs et les troubles intestins où la France a été plongée depuis près de soixante ans par trois moines jésuites. Nous sommes assez instruits de l'histoire de nos alliés les Franks pour savoir que ces trois jésuites, Le Tellier, Doucin et Lallemand, fabriquèrent dans Paris, au collège de Louis-le-Grand, une bulle dans laquelle le pape devait condamner cent trois passages tirés pour la plupart de nos saints Pères, et surtout de saint Augustin l'Africain. et de saint

Paul de Tarsis, apôtre de Jésus. Nous savons que l'évêque de Rome et son consistoire, pour faire accroire qu'ils avaient jugé en connaissance de cause, retranchèrent deux propositions condamnées, et réduisirent le tout à cent et un anathèmes.

Nous n'ignorons pas que le nonce qui fit recevoir cette bulle en France', malgré les cris de toute la nation indignée, prit pour maîtresse une actrice de l'Opéra, qu'on appela la Constitution, et qu'il en eut une fille qu'on appela la Légende.

Nous savons que presque toutes les affaires ecclésiastiques se sont ainsi traitées, et que quand le scandale des mauvaises mœurs ne s'est pas joint aux erreurs de cette Église latine, le fanatisme, mille fois plus dangereux que les filles de l'Opéra, a fait naître plus de troubles que tous les bâtards des papes et des nonces n'en ont jamais produit. Nous avons été instruits de tout le mal qui a résulté de la détestable invention des billets de confession, et de tout le bien qu'a fait la chrétienne et vigoureuse résistance du parlement de Paris. Quoique nous ne soyons pas de la communion de l'Église gallicane, cependant, en qualité de chrétien indépendant de l'usurpation romaine, nous nous unissons à cette Eglise gallicane pour l'exhorter à nous imiter, à soutenir ses libertés, à ne pas souffrir que jamais un évêque transalpin ose déléguer des juges chez elle.

Puissent ses évêques ne plus s'avilir jusqu'à s'intituler évêques par la grâce d'un évêque transalpin, ne plus payer en tribut à cet Italien la première année d'un revenu qu'ils ne tiennent que de la libéralité de leur monarque!

Grand Dieu! seriez-vous descendu sur la terre, y auriez-vous vécu dans la pauvreté, l'auriez-vous recommandée à vos apôtres, l'auraientils embrassée, pour qu'un de leurs successeurs traitât ses confrères en tributaires, et marchât sur les têtes des princes à qui vous obéissiez, vous, mon Dieu! quand vous étiez en Judée?

Nous reconnaissons que le parlement de Paris, et tous ceux du pays des Franks, se sont toujours opposés à ces innovations odieuses, à ces simonies transalpines, qui ont leur source dans le fatal système des deux puissances.

Nous devons d'autant plus, mes frères, vous donner un préservatif contre ces opinions détestables, que nous sommes instruits des fréquents voyages que nos seigneurs russes font dans la capitale des Franks; ils pourraient nous apporter la mode des deux puissances et des billets de confession, avec les autres modes.

Nous vous exhortons à ne vous laisser séduire par aucune nouveauté, à demeurer fidèlement attachés à notre ancienne Eglise grecque, mère de la latine, et mère d'une fille dénaturée; et dans cette espérance nous vous donnons notre sainte bénédiction, au nom du Père qui a engendré le Fils, au nom du Fils qui n'a pas la puissance d'engendrer, et au nom du Saint-Esprit qui procède uniquement du Père.

1. Le cardinal Bentivoglio. (ED.)

Le tout, avec la permission de notre auguste impératrice Catherine II, sans laquelle nous ne pouvons ni ne devons donner aucune instruction pastorale.

Signé ALEXIS.

Permis d'imprimer, CHRISTOPHE BORKEROI, lieutenant
de police de Novogorod-la-Grande.

DES PAIENS ET DES SOUS-FERMIERS.

(1765.)

Un jour le cardinal de Fleuri, en présentant au roi les fermiers généraux qui venaient de signer un bail: « Voilà, dit-il, sire, les quarante colonnes de l'État'. >>

Quelques jours après, un sous-fermier, nommé Blaise Rabau (car il y avait alors des sous-fermiers), alla le dimanche au sermon de la paroisse dans sa terre près de Beaugenci, pour édifier ses vassaux; le prédicateur avait pris pour texte : « Qui n'écoute pas l'Eglise soit regardé comme un païen ou comme un publicain?! »

M. Rabau, accompagné de ses amis, sortit en colère, et emmena sa compagnie, aussi indignée que lui. Le prédicateur du village, qui n'y entendait point finesse, alla se présenter à souper chez son seigneur, selon sa coutume: « Vous êtes bien insolent, lui dit M. Rabau, de m'insulter en chaire et de m'appeler païen! je vous ferai condamner par la chambre de Valence. Apprenez que si les fermiers sont les colonnes de l'Etat, j'en suis au moins un chapiteau. Où avez-vous pêché, s'il vous plaît, les injures que vous me dites?

Monseigneur, répliqua le prédicateur, je vous demande pardon, ce n'est pas ma faute, le texte est de l'Écriture. Qu'on la réforme, dit M. Rabau; je vous en charge, et vous en répondrez à mes commis. >>

Le prédicateur restait muet et confus. Un énorme receveur des tailles, qui était assis auprès du seigneur, prit alors la parole, et dit: « Je ne lis jamais que les édits du roi sur les finances; je ne sais ce que c'est que païen et publicain; s'il y a en effet un livre où il soit mal parlé des receveurs des tailles, c'est un livre contre l'État et les bonnes mœurs; j'en parlerai à monsieur l'intendant, qui certainement fera condamner le livre au premier concile. » Toute la compagnie parla avec la même énergie.

« Quoi! disait M. Blaise Rabau, je vous paye pour venir prêcher dans ma paroisse, et votre texte me dit des injures! Quel rapport, s'il vous plaît, entre un païen et un fermier des aides et gabelles? Ne

1. « Oui, dit le marquis de Souvré, ils soutiennent l'Etat comme la corde soutient le pendu. » (ED.),

2. Matthieu, XVIII, 17. (ÉD.)

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