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Tous les Pères, tous les conciles crurent jusqu'au XIIe siècle que la vierge Marie fut conçue dans le péché originel; et à présent cette opinion n'est permise qu'aux seuls dominicains.

Il n'y a pas la plus légère trace de l'invocation publique des saints avant l'an 375. Il est donc clair que la sagesse de l'Église a proportionné la croyance, les rites, les usages, aux temps et aux lieux. Il n'y a point de sage gouvernement qui ne se soit conduit de la sorte.

L'auteur de l'Essai sur les mœurs, etc., a rapporté d'une manière impartiale les établissements introduits ou remis en vigueur par la prudence des pasteurs. Si ces pasteurs ont essuyé des schismes, si le sang a coulé pour des opinions, si le genre humain a été troublé, rendons grâces à Dieu de n'être pas nés dans ces temps horribles. Nous sommes assez heureux pour qu'il n'y ait aujourd'hui que des libelles.

XVIII SOTTISE DE NONOTTE, Sur Jeanne d'Arc. Que cet homme charitable insulte encore aux cendres de Jean Hus et de Jérôme de Prague, cela est digne de lui; qu'il veuille nous persuader que Jeanne d'Arc était inspirée, et que Dieu envoyait une petite fille au secours de Charles VII contre Henri VI, on pourra rire; mais il faut au moins relever la mauvaise foi avec laquelle il falsifie le procès-verbal de Jeanne d'Arc, que nous avons dans les actes de Rymer.

Interrogée en 1431, elle dit qu'elle est âgée de vingt-neuf ans; donc, quand elle alla trouver le roi en 1429, elle avait vingt-sept ans; donc le libelliste est un assez mauvais calculateur, quand il assure qu'elle n'en avait que dix-neuf. Il fallait douter.

Il convient de mettre le lecteur au fait de la véritable histoire de Jeanne d'Arc, surnommée la Pucelle. Les particularités de son aventure sont très-peu connues, et pourront faire plaisir au lecteur. PauJove dit que le courage des Français fut animé par cette fille, et se garde bien de la croire inspirée. Ni Robert Gaguin, ni Paul Émile, ni Polydore Virgile, ni Genebrard, ni Philippe de Bergame, ni Papire Masson, ni même Mariana, ne disent qu'elle était envoyée de Dieu; et quand Mariana le jésuite l'aurait dit, en vérité cela ne m'en imposerait pas.

Mézerai conte que le prince de la milice céleste lui apparut; j'en suis fâché pour Mézerai, et j'en demande pardon au prince de la milice céleste.

La plupart de nos historiens, qui se copient tous les uns les autres, supposent que la Pucelle fit des prédictions, et qu'elles s'accomplirent. On lui fait dire qu'elle chassera les Anglais hors du royaume, et ils y étaient encore cinq ans après sa mort. On lui fait écrire une longue lettre au roi d'Angleterre, et assurément elle ne savait ni lire ni écrire; on ne donnait pas cette éducation à une servante d'hôtellerie dans le Barois, et son procès porte qu'elle ne savait pas signer son nom.

Mais, dit-on, elle a trouvé une épée rouillée dont la lame portait cinq fleurs de lis d'or gravées, et cette épée était cachée dans l'église de Sainte-Catherine de Fierbois à Tours. Voilà certes un grand miralce !

La pauvre Jeanne d'Arc, ayant été prise par les Anglais, en dépit de ses prédictions et de ses miracles, soutint d'abord dans son interrogatoire que sainte Catherine et sainte Marguerite l'avaient honorée de beaucoup de révélations. Je m'étonne qu'elle n'ait rien dit de ses conversations avec le prince de la milice céleste. Apparemment que ces deux saintes aimaient plus à parler que saint Michel. Ses juges la crurent sorcière, et elle se crut inspirée. Ce serait là le cas de dire :

Ma foi, juge et plaideurs, il faudrait tout lier',

si l'on pouvait se permettre la plaisanterie sur de telles horreurs.

Une grande preuve que les capitaines de Charles VII employaient le merveilleux pour encourager les soldats dans l'état déplorable où la France était réduite, c'est que Saintrailles avait son berger, comme le comte de Dunois avait sa bergère. Ce berger faisait des prédictions d'un côté, tandis que la bergère les faisait de l'autre.

Mais malheureusement la prophétesse du comte de Dunois fut prise au siége de Compiègne par un bâtard de Vendôme, et le prophète de Saintrailles fut pris par Talbot. Le brave Talbot n'eut garde de faire brûler le berger. Ce Talbot était un de ces vrais Anglais qui dédaignent les superstitions, et qui n'ont pas le fanatisme de punir les fanatiques.

Voilà, ce me semble, ce que les historiens auraient dû observer, et ce qu'ils ont négligé.

La Pucelle fut amenée à Jean de Luxembourg, comte de Ligny. On l'enferma dans la forteresse de Beaulieu, ensuite dans celle de Beaurevoir, et de là dans celle du Crotoi en Picardie.

D'abord Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, qui était du parti du roi d'Angleterre contre son roi légitime, revendique la Pucelle comme une sorcière arrêtée sur les limites de sa métropole. Il veut la juger en qualité de sorcière. Il appuyait son prétendu droit d'un insigne mensonge. Jeanne avait été prise sur le territoire de l'évêché de Noyon; et ni l'évêque de Beauvais, ni l'évêque de Noyon, n'avaient assurément le droit de condamner personne, et encore moins de livrer à la mort une sujette du duc de Lorraine, et une guerrière à la solde du roi de France.

Il y avait alors (qui le croirait?) un vicaire général de l'inquisition en France, nommé frère Martin. C'était bien là un des plus horribles effets de la subversion totale de ce malheureux pays. Frère Martin réclama la prisonnière comme « sentant l'hérésie, » odorantem hæresim. Il somma le duc de Bourgogne et le comte de Ligny, « par le droit de son office, et de l'autorité à lui commise par le saint-siége, de livrer Jeanne à la sainte inquisition. >>

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La Sorbonne se hâta de seconder frère Martin; elle écrivit au duc de Bourgogne et à Jean de Luxembourg : "Vous avez employé votre noble puissance à appréhender icelle femme qui se dit la Pucelle, au moyen de laquelle l'honneur de Dieu a été sans mesure offensé, la foi

1, Racine, Plaideurs, acte I, scène VIII. (ED.)

excessivement blessée, et l'Eglise trop fortement déshonorée; car, par son occasion, idolâtrie, erreurs, mauvaise doctrine, et autres maux inestimables, se sont ensuivis en ce royaume....; mais peu de chose serait avoir fait telle prinse, si ne s'ensuivait ce qu'il appartient pour satisfaire l'offense par elle perpétrée contre notre doux Créateur et sa foi, et sa sainte Église, avec ses autres méfaits innumérables....; et si, serait intolérable offense contre la majesté divine s'il arrivait qu'icelle femme fût délivrée '. »

Enfin la Pucelle fut adjugée à Pierre Cauchon, qu'on appelait l'indigne évêque, l'indigne Français et l'indigne homme. Jean de Luxembourg vendit la Pucelle à Cauchon et aux Anglais pour dix mille livres, et le duc de Bedford les paya. La Sorbonne, l'évêque, et frère Martin, présentèrent alors une nouvelle requête ce duc de Bedford, régent de France, « en l'honneur de notre Seigneur et Sauveur JésusChrist, pour qu'icelle Jeanne fût brièvement mise ès mains de la justice de l'Église. » Jeanne fut conduite à Rouen. L'archevêché était alors vacant, et le chapitre permit à l'évêque de Beauvais de besogner dans la ville (c'est le terme dont on se servit). Il choisit pour ses assesseurs neuf docteurs de Sorbonne, avec trente-cinq autres assistants abbés ou moines. Le vicaire de l'inquisition, Martin, présidait avec Cauchon; et, comme il n'était que vicaire, il n'eut que la seconde place.

Il y eut quatorze interrogatoires; ils sont singuliers. Elle dit qu'elle a vu sainte Catherine et sainte Marguerite à Poitiers. Le docteur Beaupère lui demanda à quoi elle a reconnu les deux saintes : elle répond que c'est à leur manière de faire la révérence. Beaupère lui demanda si elles sont bien jaseuses : « Allez, dit-elle, le voir sur le registre. Beaupère lui demanda si, quand elle a vu saint Michel, il était tout nu; elle répond: « Pensez-vous que notre Seigneur n'eût de quoi le vêtir? »

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Les curieux observeront ici soigneusement que Jeanne avait été longtemps dirigée, avec quelques autres dévotes de la populace, par un fripon nommé Richard, qui faisait des miracles, et qui apprenait à ces filles à en faire. Il donna un jour la communion trois fois de suite à Jeanne, à l'honneur de la Trinité. C'était alors l'usage dans les grandes affaires et dans les grands périls. Les chevaliers faisaient dire trois messes, et communiaient trois fois quand ils allaient en bonne fortune, ou quand ils s'allaient battre en duel. C'est ce qu'on a remarqué du bon chevalier Bayard.

Les faiseuses de miracles, compagnes de Jeanne 2, et soumises à frère. Richard, se nommaient Pierrone et Catherine. Pierrone affirmait qu'elle avait vu que Dieu apparaissait à elle en humanité comme ami fait à ami; Dieu était « long vêtu de robe blanche avec huque vermeil dessous, etc. >>

Voilà le ridicule, voici l'horrible.

1. C'est une traduction du latin de la Sorbonne, faite longtemps après. 2. Mémoires pour servir à l'histoire de France et de Bourgogne, t. I.

Un de ses juges, docteur en théologie et prêtre, nommé Nicolas L'Oiseleur, vient la confesser dans la prison. Il abuse du sacrement jusqu'au point de cacher derrière un morceau de serge deux prêtres qui transcrivent la confession de Jeanne d'Arc. Ainsi les juges employèrent le sacrilége pour être homicides. Et une malheureuse idiote, qui avait eu assez de courage pour rendre de très-grands services au roi et à la patrie, fut condamnée à être brûlée par quarante-quatre prêtres français qui l'immolaient à la faction de l'Angleterre.

On sait assez comment on eut la bassesse artificieuse de mettre auprès d'elle un habit d'homme pour la tenter de reprendre cet habit, et avec quelle absurde barbarie on prétexta cette prétendue transgression pour la condamner aux flammes, comme si c'était dans une fille guerrière un crime digne du feu de mettre une culotte au lieu d'une jupe. Tout cela déchire le cœur, et fait frémir le sens commun. On ne conçoit pas comment nous osons, après les horreurs sans nombre dont nous avons été coupables, appeler aucun peuple du nom de barbare.

La plupart de nos historiens, plus amateurs des prétendus embellissements de l'histoire que de la vérité, disent que Jeanne alla au supplice avec intrépidité; mais, comme le portent les chroniques du temps, et comme l'avoue M. de Villaret, elle reçut son arrêt avec des cris et avec des larmes: faiblesse pardonnable à son sexe, peut-être au nôtre, et très-compatible avec le courage que cette fille avait déployé dans les dangers de la guerre; car on peut être hardi dans les combats, et sensible sur l'échafaud.

Je dois ajouter ici que plusieurs personnes ont cru, sans aucun examen, que la pucelle d'Orléans n'avait point été brûlée à Rouen, quoique nous avons le procès-verbal de son exécution. Elles ont été trompées par la relation que nous avons encore d'une aventurière qui prit le nom de la Pucelle, trompa les frères de Jeanne d'Arc, et, à la faveur de cette imposture, épousa en Lorraine un gentilhomme de la maison des Armoises. Il y eut deux autres friponnes qui se firent aussi passer pour la pucelle d'Orléans. Toutes les trois prétendirent qu'on n'avait point brûlé Jeanne, et qu'on lui avait substitué une autre femme; de tels contes ne peuvent être admis que par ceux qui veulent être trompés.

Apprends, Nonotte, comme il faut étudier l'histoire quand on ose en parler.

XIX SOTTISE DE NONOTTE.

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Sur Rapin-Thoyras. Il attaque, page 185, l'exact et judicieux Rapin-Thoyras; il dit qu'il n'était ni de son goût, ni sûr pour lui, de se déclarer pour la pucelle d'Orléans. Ne voilà-t-il pas un homme bien instruit des mœurs de l'Angleterre! Un auteur y écrit assurément tout ce qu'il veut, et avec la plus entière liberté et d'ailleurs le gentilhomme que ce libelliste insulte ne composa point son histoire en Angleterre, mais à Vesel, où il a fini sa vie.

Il faut ajouter ici un mot sur l'aventure miraculeuse de Jeanne d'Arc. Ce serait un plaisant miracle que celui d'envoyer exprès une

petite fille au secours des Français contre les Anglais, pour la faire brûler ensuite.

XX SOTTISE DE NONOTTE.

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Sur Mahomet II, et la prise de Constantinople. L'auteur du libelle renouvelle le beau conte de Mahomet II, qui coupa la tête à sa maîtresse Irène pour faire plaisir à ses janissaires. Ce conte est assez réfuté par les annales turques, et par les mœurs du sérail, qui n'ont jamais permis que le secret de l'empereur fût exposé aux raisonnements de la milice.

Il nie que la moitié de la ville de Constantinople ait été prise par composition; mais les annales turques, rédigées par le prince Cantemir, et les églises grecques qui subsistèrent, sont d'assez bonnes preuves que le libelliste ne connaît pas plus l'histoire des Turcs que la nôtre.

XXI SOTTISE DE NONOTTE.-Sur la taxe des péchés. - L'auteur du libelle demande où est cette licence déshonorante, cette taxe honteuse, ces prix faits, etc., qui avaient passé en coutume, en droit et en loi. » Qu'il lise donc la taxe de la chancellerie romaine, imprimée à Rome, en 1514, chez Marcel Silbert, au champ de Flore, et, l'année d'après, à Cologne, chez Gosvinus Colinius; enfin à Paris, en 1520, chez Toussaint Denys, rue Saint-Jacques. Le premier titre est, De causis matrimonialibus.

<< In causis matrimonialibus, pro contractu quarti gradus, taxa est << turonenses septem, ducatus unus, carlini sex. >>

Faut-il que ce pauvre homme nous oblige ici de dire que, dans le titre 18, on donne l'absolution pour cinq carlins à celui qui a connu sa mère? que pour un père et une mère qui auront tué leur fils il n'en coûte que six tournois et deux ducats? et si on demande l'absolution du péché de sodomie et de bestialité, avec la clause inhibitoire, il n'en coûte que trente-six tournois et neuf ducats. Après de telles preuves, que ce libelliste se taise ou qu'il paye pour ses péchés.

XXII SOTTISE DE NONOTTE.-Sur le droit des séculiers de confesser.— Il demande où l'historien a pris que les séculiers, et les femmes mêmes, avaient droit de confesser. Où, mon pauvre ignorant? dans saint Thomas, page 255 de la III partie, édition de Lyon, 1738. << Confessio ex defectu sacerdotis laïco facta sacramentalis est quodam« modo. » Ignorez-vous combien d'abbesses confessèrent leurs religieuses? On ne peut mieux faire que de rapporter ici une partie d'une lettre d'un très-savant homme, datée de Valence, du 1er février 1769, concernant cet usage, que Nonotte ignore.

L'auteur demande si on pourrait lui citer quelque abbesse qui ait confessé ses religieuses.

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On lui répondra, avec M. l'abbé Fleury, liv. LXXVI, tome XVI, page 246 de l'Histoire ecclésiastique, qu'il y avait en Espagne des abbesses qui donnaient la bénédiction à leurs religieuses, entendaient leurs confessions, et prêchaient publiquement lisant l'Evan

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