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Ovide le loue dans des vers spirituels :
Carmina sublimis tum sunt peritura Lucreti,
Exitio terras cum dabit una dies.

Stace vante aussi la sublime fureur du poëte : Cedet musa rudis ferocis Enni, Et docti furor arduus Lucreti. Peut-être même ce vers est-il l'unique raison de la folie attribuée à Lucrèce ; des interprètes téméraires ayant pris pour l'emportement d'un véritable délire cette fougue d'inspiration, cette impétuosité de génie que le mot furor exprime.

Lucrèce n'a guère moins été admiré par les modernes.

Molière surtout aimait ce poëte, qui mêle souvent, comme lui, les railleries les plus fines à la morale la plus haute.

Il essaya, dit-on, de le traduire; mais il ne reste de son travail qu'une vive et piquante imitation, introduite dans le Misanthrope1. Voltaire, cet esprit

1 Voici les deux morceaux rapprochés. Le morceau latin a tiré un prix particulier de l'idée qu'a eue Lucrèce d'y encadrer les expressions grecques ridiculement affectées par les jeunes voluptueux de son époque.

La påle est aux jasmins en blancheur comparable;
La noire à faire peur, une brune adorable;

La maigre a de la taille et de la liberté;

La grasse est, dans son port, pleine de majesté;
La malpropre sur soi, de peu d'attraits chargée,
Est mise sous le nom de beauté négligée;
La géante paraît une déesse aux yeux;

La naine, un abrégé des merveilles des cieux;
L'orgueilleuse a le cœur digne d'une couronne,
La fourbe a de l'esprit, la sotte est toute bonne;
La trop grande parleuse est d'agréable humeur,
Et la muette garde une honnête pudeur.
C'est ainsi qu'un amant dont l'ardeur est extreme
Aime jusqu'aux défauts des personnes qu'il aime.
Acte II, sc. 5

si juste, et cet admirateur si vrai de tous les grands esprits, a des transports pour Lucrèce; et, dans une lettre de Memmius à Cicéron, il s'écrie, avec sa vivacité habituelle de langage: « Il y a là un admirable troisième chant, que je traduirai, ou je ne pourrai.» Malheureusement il n'a pu, ou n'a pas voulu.

Parmi les traductions en prose, d'ailleurs peu nombreuses, qui ont été faites de ce poëme, la plus remarquable (nous pourrions dire la seule remarquable) est celle de Lagrange. Mais ce travail, qui atteste une connaissance profonde des deux langues, a surtout pour objet de faire comprendre le fond de la doctrine épicurienne; et, pour nous montrer le philosophe, quelquefois elle fait disparaître le poëte. Peut-être est-ce rendre un hommage plus complet à Lucrèce, que d'employer toutes les ressources de la traduction à faire ressortir le poëte: car c'est bien beautés poétiques qui y sont répandues, que le poëme moins pour le fond que pour l'attrait des grandes de la Nature des choses aura toujours des lecteurs. C'est ce qu'on a tâché de faire dans cette traduction.

Nigra μελίχροος est; immunda ac fetida, ἄκοσμος;
Casia, Παλλάδιον nervosa et lignea, Δορκάς;
Parvola, pumilio, Xapítov ua, tota merum sal;
Magna atque immanis, xxτánλnķis, plenaque honoris,
Balba, loqui non quit? spavλíše:; muta, pudens est;
At flagrans, odiosa, loquacula, A¤μяáôtov fit;
Ἰσχνὸν ἐρωμένιον tum fit, quam vivere non quit
Præ macie; patvǹ vero est jam mortua tussi;
At gemina et mammosa, Ceres est ipsa ab Iaccho;
Simula, Σιληνή ac Σατύρα est ; labiosa, φίλημα.
Liv. IV,

V. 1156.

LUCRÈCE.

DE LA NATURE DES CHOSES.

LIVRE PREMIER

Mère des Romains, charme des dieux et des hommes, bienfaisante Vénus, c'est toi qui, fécondant ce monde placé sous les astres errants du ciel, peuples la mer chargée de navires, et la terre revêtue de moissons; c'est par toi que tous les êtres sont conçus, et ouvrent leurs yeux naissants à la lumière. Quand tu parais, ô déesse, le vent tombe, les nuages se dissipent ; la terre deploie sous tes pas ses riches tapis de fleurs; la surface des ondes te sourit, et les cieux apaisés versent un torrent de lumière resplendissante. Des que les jours nous offrent le doux aspect du printemps, dès que le zéphyr captif recouvre son haleine féconde, le chant des oiseaux que tes feux agitent annonce d'abord ta présence, puis, les troupeaux enflammés bondissent dans les gras pâturages et traversent les fleuves rapides: tant les êtres vivants, épris de tes charmes et saisis de ton attrait, aiment à te suivre partout où tu les entraînes! Enfin, dans les mers, sur les montagnes, au fond des torrents, et dans les demeures touffues des oiseaux, et dans les vertes campagnes, ta douce flamme pénètre tous les

T. LUCRETII CARI
DE RERUM NATURA.

cœurs, et fait que toutes les races brûlent de se perpétuer.

Ainsi donc, puisque toi seule gouvernes la nature, puisque sans toi rien ne jaillit au séjour de la lumière, rien n'est beau ni aimable, sois la compagne de mes veilles, et me dicte ce poëme que je tente sur la Nature, pour instruire notre cher Memmius. Tu as voulu que, paré de mille dons, il brillât toujours en toutes choses: aussi, déesse, faut-il couronner mes vers de grâces immortelles.

Fais cependant que les fureurs de la guerre s'assoupissent, et laissent en repos la terre et l'onde. Toi seule peux rendre les mortels aux doux loisirs de la paix, puisque Mars gouverne les batailles, et que souvent, las de son farouche ministère, il se rejette dans tes bras, et là, vaincu par la blessure d'un éternel amour, il te contemple, la tête renversée sur ton sein; son regard, attaché sur ton visage, se repaît avidement de tes charmes, et son âme demeure suspendue à tes lèvres. Alors, ô déesse, quand il repose sur tes membres sacrés, et que, penchée sur lui, tu l'enveloppes de tes caresses, laisse tomber à son oreille quelques douces paroles,

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Denique per maria, ac monteis, fluviosque rapaceis,
Frundiferasque domos avium, camposque virenteis,
Omnibus incutiens blandum per pectora amorem,
Efficis, ut cupide generatim secla propagent.
Quæ quoniam rerum naturam sola gubernas,
Nec sine te quidquam dias in luminis oras
Exoritur, neque fit lætum neque amabile quidquam;
Te sociam studeo scribundeis versibus esse,
Quos ego de RERUM NATURA pangere conor
Memmiadæ nostro; quem tu, dea, tempore in omni
Omnibus ornatum voluisti excellere rebus :
Quo magis æternum da dicteis, diva, leporem.
Effice, ut interea fera mænera militiai,
Per maria ac terras omneis, sopita quiescant.
Nam tu sola potes tranquilla pace juvare
Mortaleis; quoniam belli fera mœnera Mavors
Armipotens regit, in gremium qui sæpe tuum se
Rejicit, æterno devictus volnere amoris :
Atque ita, suspiciens tereti cervice reposta,
Pascit amore avidos, inhians in te, dea, visus;
Eque tuo pendet resupini spiritus ore.
Hunc tu, diva, tuo recubantem corpore sancto
Circumfusa super, suaveis ex ore loquelas

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LIBER I.

Eneadum genetrix, hominum' divomque voluptas,
Alma Venus! cœli subter labentia signa
Quæ mare navigerum, quæ terras frugiferenteis
Concelebras; per te quoniam genus omne animantum
Concipitur, visitque exortum lumina solis :
Te, dea, te fugiunt ventei, te nubila cœli,
Adventumque tuum tibi suaveis dædala tellus
Submittit flores; tibi rident æquora ponti,
Placatumque nitet diffuso lumine cœlum.
Nam simul ac species patefacta est verna diei,
Et reserata viget genitabilis aura Favoni;
Aerie primum volucres te, diva, tuumque
Snificant initum, perculsæ corda tua vi.
lade feræ pecudes persultant pabula læta,
Et rapidos tranant amneis: ita, capta lepore,
[llecebrisque tuis, omnis natura animantum]
Te sequitur cupide, quo quamque inducere pergis.

LUCRECE.

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et demande-lui pour les Romains une paix tranquille. Car le malheureux état de la patrie nous ôte le calme que demande ce travail; et, dans ces tristes affaires, l'illustre sang des Memmius se doit au salut de l'Etat.

Ouvre pourtant les oreilles, cher Memmius! laisse làtes soucis, et abandonne-toi à la vérité. Ces dons, ces œuvres élaborées pour toi d'une main fidèle, ne les rejette point avec mépris avant de les connaître. Car je vais discuter les grandes lois qui gouvernent les cieux, les immortels, et te faire voir les principes dont la nature forme, nourrit, accroft toutes choses, et où elle les réduit toutes quand elles succombent. Pour rendre compte de ces éléments, nous avons coutume de les appeler matière, corps générateurs, semence des êtres; et même nous employons le mot de corps premiers, parce que tout vient de ces substances primitives.

Car il ne faut rien imputer aux dieux qui, par la force de leur nature, jouissent dans une paix profonde de leur immortalité, loin de nos affaires, loin de tout rapport avec les hommes. Aussi, exempts de douleur, exempts de péril, forts de leurs propres ressources et n'ayant aucun besoin de nous, la vertu ne les gagne point et la colère ne peut les toucher.

Jadis, quand on voyait les hommes traîner une vie rampante sous le faix honteux de la superstition, et que la tête du monstre, leur apparaissant à la cime des nues, les accablait de son regard épouvantable, un Grec, un simple

Funde, petens placidam Romaneis, incluta, pacem.

am neque nos agere hoc patriai tempore iniquo Possumus æquo animo; nec Memmi clara propago Talibus in rebus communi deesse saluti.

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mortel osa enfin lever les yeux, osa enfin lui résister en face. Rien ne l'arrête, ni la renommée des dieux, ni la foudre, ni les menaces du ciel qui gronde : loin d'ébranler son courage, les obstacles l'irritent, et il n'en est que plus ardent à rompre les barrières étroites de la nature. Aussi en vient-il à bout par son infatigable génie : il s'élance loin des bornes enflammées du monde, il parcourt l'infini sur les ailes de la pensée, il triomphe, et revient nous apprendre ce qui peut ou ne peut pas naître, et d'où vient que la puissance des corps est bornée et qu'il y a pour tous un terme infranchissable. La superstition fut donc abattue et foulée aux pieds à son tour, et sa défaite nous égala aux dieux.

Mais tu vas croire peut-être que je t'enseigne des doctrines impies, et qui sont un acheminement au crime; tandis que c'est la superstition, au contraire, qui jadis enfanta souvent des actions criminelles et sacriléges. Pourquoi l'élite des chefs de la Grèce, la fleur des guerriers, souillèrent-ils en Aulide l'autel de Diane du sang d'Iphigénie? Quand le bandeau fatal, enveloppant la belle chevelure de la jeune fille, flotta le long de ses joues en deux parties égales; quand elle vit son père debout et triste devant l'autel, et près de lui les ministres du sacrifice qui ca— chaient encore leur fer, et le peuple qui pleurait en la voyant; muette d'effroi, elle fléchit le genou, et se laissa aller à terre. Que lui servait alors, l'infortunée, d'être la première qui eût donné le nom de père au roi des Grecs? Elle fut enlevée par Primum Graius homo mortaleis tollere contra Est oculos ausus, primusque obsistere contra : Quem neque fama deum, nec fulmina, nec minitanti Murmure compressit cœlum; sed eo magis acrem Irritat virtutem animi, confringere ut arcta

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Naturæ primus portarum claustra cupiret.

Ergo vivida vis animi pervicit, et extra

Processit longe flammantia mœnia mundi;

Quod superest, vacuas aureis mihi, Memmius, et te, Semotum a curis, adhibe veram ad rationem : Ne mea dona, tibi studio disposta fideli, Intellecta prius quam sint, contemta relinquas. Nam tibi de summa cœli ratione deumque Disserere incipiam, et rerum primordia pandam; Unde omneis natura creet res, auctet, alatque; Quoque eadem rursum natura peremta resolvat : Quæ nos materiem et genitalia corpora rebus Reddunda in ratione vocare, et semina rerum Appellare suemus, et hæc eadem usurpare Corpora prima, quod ex illis sunt omnia primis. [Omnis enim per se divom natura, necesse est, Immortali ævo summa cum pace fruatur, Semota ab nostris rebus, sejunctaque longe; Nam privata dolore omni, privata periclis, Ipsa suis pollens opibus, nihil indiga nostri, Nec bene promeritis capitur, nec tangitur ira. ] Humana ante oculos fede quom vita jaceret In terris, oppressa gravi sub Religione, Quæ caput a cœli regionibus ostendebat, Horribili super aspectu mortalibus instans;

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Atque omne immensum peragravit mente animoque: 75 Unde refert nobis victor, quid possit oriri,

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Sensit, et hunc propter ferrum celare ministros, Aspectuque suo lacrumas effundere civeis;

des hommes qui l'emportèrent toute tremblante à l'antel, non pour lui former un cortège solennel après un brillant hymen, mais afin qu'elle tombât chaste victime sous des mains impures, à l'âge des amours, et fût immolée pleurante par son propre père, qui achetait ainsi l'heureux départ de sa flotte: tant la superstition a pu inspirer de barbarie aux hommes!

Toi-même, cher Memmius, ébranlé par ces effrayants récits de tous les apôtres du fanatisme, tu vas sans doute t'éloigner de moi. Pourtant ce sont là de vains songes; et combien n'en pourrais-je pas forger à mon tour qui bouleverseraient ton plan de vie, et empoisonneraient ton bonheur par la crainte! Et ce ne serait pas sans raisou; car pour que les hommes eussent quel que moyen de résister à la superstition et aux menaces des fanatiques, il faudrait qu'ils entrevissent le terme de leurs misères : et la résistance n'est ni sensée, ni possible, puisqu'ils craignent apres la mort des peines éternelles. C'est qu'ils ignorent ce que c'est que l'âme; si elle naît avec le corps, ou s'y insinue quand il vient de naître; si elle meurt avec lui, enveloppée dans sa ruine, ou si elle va voir les sombres bords et les vastes marais de l'Orcus; ou enfin si une loi divine la transmet à un autre corps, ainsi que le chante votre grand Ennius, le premier qu'une couronne du feuillage eternel, apportée du riant Hélicon, immortalisa chez les races italiennes. Toutefois il explique dans des vers impérissa

Muta metu, terram, genibus submissa, petebat :
Nec miseræ prodesse in tali tempore quibat,
Quod patrio princeps donarat nomine regem:
Nam sublata virum manibus, tremebundaque ad aras
Deducta est; non ut, solemni more sacrorum
Perfecto, posset claro comitari hymenæo :
Sed casta inceste, nubendi tempore in ipso,
Hostia concideret mactatu mosta parentis,
Exitus ut classi felix faustusque daretur.
Tantum Religio potuit suadere malorum!
Tutemet a nobis jam quovis tempore, vatum
Terriloquis victus dictis, desciscere quæres.

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Quippe etenim quam multa tibi jam fingere possum 105
Somnia, quæ vitæ rationes vortere possint,
Fortunasque tuas omneis turbare timore.

bles qu'il y a un enfer, où ne pénètrent ni des corps ni des âmes, mais seulement des ombres à forme humaine, et d'une pâleur étrange; et il raconte que le fantôme d'Homère, brillant d'une éternelle jeunesse, lui apparut en ces lieux, mit à verser des larmes amères, et lui déroula ensuite toute la nature.

se

Ainsi donc,si on gagne à se rendre compte des affaires célestes, des causes qui engendrent le mouvement du soleil et de la lune, des influences qui opèrent tout ici-bas, à plus forte raison faut-il examiner avec les lumières de la raison en quoi consistent l'esprit et l'âme des hommes, et comment les objets qui les frappent, alors qu'ils veillent, les épouvantent encore, quand ils sont ensevelis dans le sommeil ou tourmentés par une maladie; de telle sorte qu'il leur semble voir et entendre ces morts dont la terre recouvre les ossements.

Je sais que dans un poëme latin il est difficile de mettre bien en lumière les découvertes obscures des Grecs, et que j'aurai souvent des termes à créer, tant la langue est pauvre et la matière nouvelle. Mais ton mérite, cher Memmius, et le plaisir que j'attends d'une si douce amitié, m'excitent et m'endurcissent au travail, et font que je veille dans le calme des nuits, cherchant des tours heureux et des images poétiques qui puissent répandre la clarté dans ton âme, et te découvrir le fond des choses.

Or, pour dissiper les terreurs et la nuit des

Per genteis Italas hominum quæ clara clueret :
Etsi præterea tamen esse Acherusia templa
Ennius æternis exponit versibus edens,

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Quo neque permanent animæ, neque corpora nostra;
Sed quædam simulacra, modis pallentia miris :
Unde sibi exortam semper florentis Homeri
Commemorat speciem lacrumas effundere salsas
Cœpisse, et rerum naturam expandere dictis.
Quapropter, bene quom superis de rebus habenda
Nobis est ratio, solis lunæque meatus
Qua fiant ratione, et qua vi quæque gerantur
In terris; tunc cum primis ratione sagaci,
Unde anima atque animi constet natura, videndum :
Et quæ res, nobis vigilantibus obvia, menteis
Terrificet morbo affecteis, somnoque sepulteis;
Cernere uti videamur eos, audireque coram,
Morte obita quorum tellus amplectitur ossa.

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Et merito: nam, si certam finem esse viderent
Erumnarum homines, aliqua ratione valerent
Religionibus atque minis obsistere vatum :
Nunc ratio nulla est restandi, nulla facultas;
Eternas quoniam pœnas in morte timendum.
Ignoratur enim, quæ sit natura animai;
Xata sit, an contra nascentibus insinuetur;
il simul intereat nobiscum, morte diremta,
An tenebras Orci visat, vastasque lacunas;
An pecudes alias divinitus insinuet se,
Lanius ut noster cecinit, qui primus amœno
Detalit ex Helicone perenni frunde coronam,

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âmes, c'est trop peu des rayons du soleil ou des traits éblouissants du jour; il faut la raison, et un examen lumineux de la nature. Voici donc le premier axiome qui nous servira de base: Rien ne sort du néant, fût-ce même sous une main divine. Ce qui rend les hommes esclaves de la peur, c'est que, témoins de mille faits accomplis dans le ciel et sur la terre, mais incapables d'en apercevoir les causes, ils les imputent à une puissance divine. Aussi, dès que nous aurons vu que rien ne se fait de rien, déjà nous distinguerons mieux le but de nos poursuites, et la source d'où jaillissent tous les êtres, et la manière dont ils se forment, sans que les dieux y aident.

puisque chaque corps a la vertu de créer un être distinct.

D'ailleurs, pourquoi la rose s'ouvre-t-elle au printemps, pourquoi le blé mûrit-il aux feux de l'été, et la vigne sous la rosée de l'automne, sinon parce que les germes s'amassent à temps fixe, et que tout se développe dans la bonne saison, et alors que la terre féconde ne craint pas d'exposer au jour ses productions encore tendres? Si ces productions étaient tirées du néant, elles naîtraient tout à coup, à des époques incertaines et dans les saisons ennemies, puisqu'il n'y aurait pas de germes dont le temps contraire pût empêcher les féconds assemblages.

D'autre part, si le néant engendrait les êtres, une fois leurs éléments réunis, il ne leur faudrait pas un long espace de temps pour croître les enfants deviendraient aussitôt des hommes, et l'arbuste ne sortirait de terre que pour s'élancer au ciel. Et pourtant rien de tout cela n'arrive; les

puisqu'ils ont un germe déterminé), et en grandissant ils ne changent pas d'espèce; ce qui prouve que tous les corps s'accroissent et s'alimentent de leur substance première.

Si le néant les eût enfantés, tous les corps seraient à même de produire toutes les espèces, et aucun n'aurait besoin de germe. Les hommes naîtraient de l'onde, les oiseaux et les poissons de la terre; les troupeaux s'élanceraient du ciel ; et les bêtes féroces, enfants du hasard, habite-êtres grandissent insensiblement (ce qui doit être, raient sans choix les lieux cultivés ou les déserts. Les mêmes fruits ne naîtraient pas toujours sur les mêmes arbres, mais ils varieraient sans cesse tous les arbres porteraient tous les fruits. Car si les corps étaient privés de germes, se pourrait-il qu'ils eussent constamment une même source? Mais, au contraire, comme tous les êtres se forment d'un élément invariable, chacun d'eux ne vient au monde que là où se trouve sa substance propre, son principe générateur; et ainsi tout ne peut pas naître de tout,

Hunc igitur terrorem animi tenebrasque necesse est
Non radiei solis, neque lucida tela diei
Discutiant, sed Naturæ species, Ratioque :
Quojus principium hinc nobis exordia sumet,
Nullam rem e nihilo gigni divinitus unquam.
Quippe ita formido mortaleis continet omneis,
Quod multa in terris fieri coloque tuentur,
Quorum operum causas nulla ratione videre
Possunt; ac fieri divino numine rentur.
Quas ob res, ubi viderimus nil posse creari
De nihilo, tum, quod sequimur, jam rectius inde
l'erspiciemus; et unde queat res quæque creari,
Et quo quæque modo fiant opera sine divom.
Nam, si de nihilo fierent, ex omnibu' rebus
Omne genus nasci posset; nil semine egeret.
E mare primum homines, e terra posset oriri
Squamigerum genus, et volucres; erumpere cœlo
Armenta, atque aliæ pecudes: genus omne ferarum
Incerto partu culta ac deserta tenerent:

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J'ajoute que, sans les pluies qui l'arrosent à point fixe, la terre n'enfanterait pas ses productions bienfaisantes, et que les animaux, privés de nourriture, ne pourraient multiplier leur espèce ni soutenir leur vie de sorte qu'il vaut mieux admettre l'existence de plusieurs éléments qui se combinent pour former plusieurs êtres,

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