ment à Neptune, magno murmure..., emissam hiemem sensit, imis stagna refusa vadis: graviter commotus annonce dignement son courroux, le courroux du dieu, que nous voyons aussitôt s'élever majestueusement sur les flots, avec ce front calme que la passion ne défigure pas comme le visage de l'homme, et alto prospiciens, summa placidum caput... Ce qui caractérise l'expression du courroux dans le discours de Neptune, c'est celle du mépris qui s'y joint partout: 1° tantane fiducia generis vestri; 2o au milieu de toutes ces idées de grandeur et de puissance, cœlum, terram, tantas tollere moles, ce mot seul à la fin du vers, venti; 3o maturate fugam; 4o le parallèle entre les deux dieux, d'un côté l'emphase de imperium pelagi, sævumque tridentem, sed mihi sorte datum, de l'autre, et d'abord dans le même vers, ces mots sans noblesse, tenet, ille, immania saxa, ensuite ce nouveau trait lancé contre les vents, vestras, Eure, domos, enfin cette ironie, illâ in aulâ, se jactet, carcere regnet: on sent l'importance de clauso. —Le trait le plus remarquable de ce discours est cette réticence devenue si célèbre, Quos ego... L'énergie même du son convient à l'expression du courroux; mettez vos, une partie de l'effet disparaît : mais la beauté résulte surtout de l'accusatif désignant les vents comme objet de l'action; on croit les voir sous le trident prêt à les anéantir. La traduction de Delille, Je devrais..., est loin de rendre le latin; parce que le mot même qui doit faire trembler, annonce que la menace ne sera pas accomplie. Dans son style burlesque, Scarron est plus heureux, Par la mort...! Neptune ramène le calme. La brièveté de la description répond Interea magno misceri murmure pontum, Eurum ad se Zephyrumque vocat; dehinc talia fatur : Quos ego... Sed motos præstat componere fluctus. à la rapidité de l'action: grâce au choix et à l'ordre des idées, elle est complète en deux vers, dicto citiùs..... Ne sentez-vous pas les efforts réunis des divinités inférieures, simùl, adnixus, detrudunt naves? Neptune touche à peine les vaisseaux, levat ipse tridenti... Après ce vers, image sensible de la course légère du dieu sur la surface unie des ondes, atque rotis summas levibus perlabitur undas, le calme paraît complétement rétabli, et la description pourrait se terminer là; mais l'étendue de ce tableau et dų dénouement ne serait pas en rapport avec les autres parties de l'action. Au lieu de remplir son cadre de détails insignifiants, le poëte a recours à une comparaison; et tel est en général le but des comparaisons de Virgile : ce n'est pas de rendre la pensée plus claire, mais de frapper l'imagination, et souvent, comme ici, d'éviter la sécheresse, et de mettre une partie du récit ou du tableau en harmonie avec les autres. Celle-ci était bien choisie pour les Romains accoutumés aux spectacles tumultueux du Forum. On voit dans les trois premiers vers l'importance de la sédition, et sa gradation successive, jusqu'à l'approche des derniers excès, magno in populo..., sævitque animis... jamque faces...: tout à coup, tùm, paraît un homme que quem ainsi placé montre seul en face de la foule; à sa vue le calme renaît, conspexére, silent..., à sa voix la fureur s'apaise, ille regit dictis...: observez la netteté avec laquelle chaque vers présente chaque circonstance. La comparaison amène encore un tableau plus complet du résultat : le calme subit des flots, cunctus pelagi cecidit fragor, la sérénité du ciel, cœlo... aperto, et le dieu dont l'aspect domine la scène animée par son action, prospiciens... flectit equos, curruque..., cette réunion d'images et de vers harmonieux termine admirablement le récit merveilleux de la tempête. Sic ait, et dicto citiùs tumida æquora placat, Le tableau de la situation déplorable où la tempête soulevée par la haine de Junon a réduit les Troyens, devient le complément naturel et nécessaire du récit précédent. La poésie vit d'images et de contrastes. A la fureur des flots succède la description d'un lieu et d'une onde toujours calmes. Les premiers mots offrent l'idée principale, est in secessu longo locus; les détails viennent ensuite. On aperçoit d'abord l'île contre laquelle se brisent les flots, insula objectu laterum... quibus...; des deux côtés, hìnc atque hinc, la masse et la hauteur des rochers, qui mettent ce lieu à l'abri du vent, vastæ rupes..., minantur in cœlum scopuli; au-dessous des rochers, le calme de la mer, æquora tuta silent; au-dessus, la forêt qui défend encore le port, et cette ombre profonde, qui s'accorde si bien avec l'idée du repos, silvis scena coruscis, horrenti umbrâ, atrum nemus imminet; dans l'enfoncement, fronte sub adversa, un antre et ces idées opposées à celles de la mer et du trouble, aquæ dulces, sedilia, nympharum domus. Enfin la description se joint au récit par deux images, dont le tour négatif, avec la répétition de non, présente pour les vaisseaux l'idée d'un calme parfait, non vincula naves ulla tenent, non alligat anchora morsu. L'expression générale de la détresse et de l'accablement d'Énée et des Troyens pourraient suffire à la prose. La poésie va tout peindre et tout animer. D'abord l'expression même, septem collectis navibus, omni ex numero, fait ressortir le petit nombre des vaisseaux sauvés et la grandeur du désastre. Il n'est pas jusqu'au simple débarquement, où le cœur ne soit mis en action par le sentiment naturel aux marins, surtout après une tempête, magno telluris amore, optatá arena, potiuntur. Dans cette situation, sale Defessi Æneadæ, quæ proxima, littora cursu Nympharum domus. Hic fessas non vincula naves tabentes artus..., quel est le premier besoin des Troyens? c'est du feu. Le moyen de s'en procurer, si commun dans une circonstance ordinaire, devient assez important pour permettre les petits détails de ces trois vers, ac primùm silici scintillam; admirons l'harmonie imitative du premier, la netteté de chaque fait, et l'ordre exact des idées. En second lieu, les Troyens ont besoin de réparer leurs forces: l'état des vivres, Cererem corruptam undis, la fatigue et la longueur du travail nécessaire, fessi rerum, torrere parant, et frangere saxo, rendront plus agréable le soulagement que va leur procurer Enée lui-même. Le héros ne s'occupe pas des détails précédents : de plus nobles soins l'agitent. Voyez-le sur ce rocher, d'où la place et l'harmonie des mots semblent porter si loin ses regards, et omnem prospectum latè pelago petit. L'image négative, navem in conspectu nullam, devient encore plus frappante par son opposition avec l'image réelle, tres littore cervos. Proportionnée à l'ensemble, cette chasse n'occupe que quelques vers. Pour la vraisemblance du succès, Virgile insiste sur le nombre des cerfs, tota armenta, longum agmen, vulgus, omnem turbam. L'intention d'Énée et le résultat rattachent naturellement cette partie de l'action à la circonstance principale, nec priùs absistit, quàm septem..., et numerum cum navibus æquet. Le héros voulant ranimer le courage de ses com Ac primùm silici scintillam excudit Achates, Eneas scopulum interea conscendit, et omnem « O socii (neque enim ignari sumus antè malorum), pagnons, les vivres qu'il rapporte et le vin qu'il distribue préparent l'effet de son discours. Quel naturel dans la simplicité, le désordre même et les repos des deux premiers vers, 6 socii, neque enim ignari..., o passi graviora...! La pensée est ensuite développée avec l'énergie et la pompe d'expression propres à rappeler la grandeur des dangers passés, Scyllæam rabiem, penitusque sonantes scopulos, Cyclopea saxa. Combien il est vrai ce vers de sentiment, forsan et hæc olim meminisse juvabit, ce juvabit si incroyable d'abord, et qu'après les souvenirs précédents on entrevoit déjà comme possible! Au terme de tant de travaux, per varios casus, per tot discrimina rerum, Énée leur montre le repos qui les attend, sedes quietas, et cette espérance si douce pour des cœurs troyens, illic fas regna resurgere Troja. La perspective de cet heureux avenir, récompense de leur courage, durate, est l'idée sur laquelle les derniers mots arrêtent leur esprit, vosmet rebus servate secundis. — Rien ne marque mieux la situation désespérée des Troyens que l'état d'Énée après ce discours, curis ingentibus æger, spem vultu simulat, premit altum corde dolorem. Dans Homère, les descriptions des repas sont beaucoup plus longues : les héros en font eux-mêmes les préparatifs. Ici la vérité et l'ordre des circonstances dispensent de beaucoup de détails, que supposent les faits énoncés, tergora deripiunt..., pars in frusta secant, verubusque..., littore ahena locant alii... Ce n'est qu'après avoir satisfait à leurs premiers besoins, que les Troyens s'occupent du sort de leurs compagnons absents: telle est la marche de la nature, postquàm exempta fames... L'effet O passi graviora, dabit deus his quoque finem. |