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jourd'hui des hypocrites de religion : c'est toujours un bal masqué; ils n'ont fait que changer de domino.

Page 229, vers 19 et 20.

Sifflets aigus, effrayantes huées:
On se croyait aux pièces de Nisas.

Le C. Carion de Nisas est jusqu'ici le seul grand poète que Pézenas ait donné à la France. Il a fait représenter, il y a deux ans, une tragédie intitulée: Montmorenci. On y voit le cardinal de Richelieu, qui, tout occupé des affaires de l'Europe, commence par observer qu'il a fait une grande pluie la nuit dernière. Il déclare ensuite à la reine qu'il est amoureux d'elle; que son mari, Louis XIII, ayant déja trente et un ans, ne peut manquer de mourir bientôt, et qu'alors il voudra bien épouser la veuve du roi, lui cardinal, qui n'a pas encore quarante-huit ans. Cette déclaration raisonnable est écoutée avec un grand calme; et la reine, quoique de la maison d'Autriche, Castillane, fille de Philippe III, belle-fille de Henri IV, femme de Louis XIII, et depuis mère de Louis XIV, a la politesse de ne pas faire jeter le cardinal par les fenêtres. Dans une autre scène, la reine et la princesse de Condé, toutes deux en puissance de mari, se content leurs petites aventures: l'une avoue sans bégueulisme son amour pour le duc de Montmorenci; l'autre répond avec naïveté qu'elle aimait beaucoup le feu roi Henri IV. Elles font toutes deux en faveur du duc une tentative auprès de Louis XIII. Le monarque, un peu embarrassé, prend le parti d'aller à la messe, pour implorer les lumières d'en-haut; mais il n'en est pas quitte à si bon marché. Le vieux duc d'Épernon ayant fait une battue dans les châteaux, dans les castels, dans les gentilhommières, arrive à la fin du cinquième acte. Il amène avec lui le ban et l'arrière-ban, les grands seigneurs, les hobereaux,

sans en excepter Carion, le trisaïeul de l'auteur. Tous viennent demander la grâce du gouverneur de la province. D'Épernon n'a pas encore parlé durant la pièce; aussi s'en donne-t-il à cœur joie. Le roi ne trouve d'autre moyen de terminer ce long bavardage que d'accorder ce qu'on lui demande; sur quoi le cardinal de Richelieu survient. Il conte succinctement comme quoi, n'ayant rien à faire dans son après-dînée, il s'est amusé à faire couper la tête de Montmorenci, en attendant de nouveaux ordres, Le roi comprend fort bien que c'est tout comme s'il n'avait rien accordé; et la toile se baisse, au grand contentement des spectateurs. Le style est constamment de la force de cette belle composition : ce qui n'est pas une médiocre difficulté vaincue. Le public a sifflé outrageusement cette facétieuse tragédie; mais il a eu la patience méritoire de la siffler jusqu'à la fin.

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CONTE.

1802.

LETTRE

DE M. L'ABBÉ MAUDUIT

A L'ÉDITEUR.

Bergerac, le premier juin, l'an de grâce 1802.

Vous habitez toujours la capitale, mon cher ami; veuillez y publier, je vous prie, un conte dévot que j'ai composé pour réjouir les fidèles, et convertir les philosophes. Nous n'avons pas un bon imprimeur à Bergerac; il s'en faut bien d'ailleurs qu'il y ait autant de philosophes qu'à Paris. J'avais quelque droit à m'exercer dans le genre des

pieuses narrations: vous n'avez pas oublié que je

descends en ligne directe de l'abbé de Choisy, célèbre par ses histoires édifiantes, et par l'habitude moins édifiante de s'habiller en femme. On

prétend que ce vêtement peu sacerdotal le brouilla avec les jésuites: calomnie pure, et calomnie maladroite. Les jésuites n'étaient pas dupes; ils se méfiaient des apparences, et ne jugeaient pas des hommes sur l'habit.

Cette prétendue brouillerie est si fausse que l'abbé de Choisy, sous-ambassadeur, fit un long voyage avec les jésuites, pour aller convertir le roi de Siam, au nom de Louis XIV. Il a écrit le journal de ce voyage. Il y rend justice, non-seulement au zèle ardent de M. Basset et de M. Vachet, missionnaires, mais encore à l'éloquence du P. Lecomte et à l'esprit du P. Gerbillon, tous les deux jésuites. Il pardonna même au P. Gerbillon de lui avoir gagné une partie d'échecs. Le roi de Siam ne se convertit pas; mais il chargea l'abbé de Choisy, qui repartait pour l'Europe, de faire ses complimens au pape et au cardinal de Bouillon. Malheureusement le cardinal de Bouillon, qui n'était pas disgracié à la cour de Siam, l'était alors à celle de Versailles; et le roi de Siam, qui n'en savait rien, jouait un tour cruel au sous-ambassadeur. Quelques jours avant de se rembarquer, l'abbé, ne sachant que faire à Siam, songea qu'ayant possédé toute sa vie de riches bénéfices il ne ferait peut-être pas mal de recevoir les ordres sacrés. Il avait alors quarante-deux ans. Il reçut les quatre mineurs le 7 décembre au

matin; il se dépêcha de recevoir les trois majeurs, et n'eut pas plus tôt le bonheur d'être prêtre, qu'il voulut se donner le plaisir de dire la messe, et même de prêcher. Il prêcha donc en pleine mer, comme il eût prêché pour son ami l'abbé de Dangeau, en beau français académique, à la grande satisfaction des matelots, qui n'entendaient que le bas-breton.

Votre amitié voudra bien excuser tous ces détails: on aime à parler de ses ancêtres. Je n'ajoute qu'un mot sur l'abbé de Choisy. Ce fut avant, après, ou durant son voyage à Siam, qu'il écrivit ses histoires édifiantes. Il n'aurait tenu qu'à lui de les appeler contes; car elles ne sont appuyées d'aucune autorité, d'aucun témoignage historique. Il n'en est pas ainsi du conte dévot que je vous envoie : j'aurais eu le droit de l'appeler histoire. Il est connu sous le nom des Gabs', vieux mot français qui veut dire gageures; on le trouvera dans les aventures authentiques de Guérin de Montglave et de Galien le restauré. Bernard de la Monnaie, dans la troisième partie du Ménagiana, raconte ces miracles, en les gâtant un peu.

1. Voyez ce que Chénier dit au sujet du mot Gabs dans sa Leçon sur les romans français, depuis le règne de Louis VII jusqu'au règne de François Ier, tom. IV, OEuvres anciennes.

OEuvres anciennes. III.

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