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macutes; c'eft comme s'ils difoient fimplement trois, fix, dix. Le prix fe forme par la comparaison qu'ils font de toutes les mar chandises entr'elles; pour lors il n'y a point de monnoie particuliere, mais chaque portion de marchandise eft monnoie de l'autre..

Tranfportons pour un moment parmi nous cette maniere d'évaluer les chofes, & joignons-la avec la nôtre : Toutes les marchandises & denrées du monde, ou bien toutes les marchandises. ou denrées d'un Etat en particulier confideré comme féparé de tous les autres, vaudront un certain nombre de macutes ; & divifant l'argent de cet Etat en autant de parties qu'il y a de macutes, une partie divifée de cet argent fera le figne d'une macute..

Si l'on fuppofe que la quantité de l'argent d'un Etat double, ik faudra pour une macute le double de l'argent: mais fi en doublant l'argent, vous doublez auffi les macutes, la proportion reftera telle: qu'elle étoit avant l'un & l'autre doublement.

Si depuis la découverte des Indes, l'or & l'argent ont augmenté en Europe en raifon d'un à vingt, le prix des denrées & marchandises auroit dû monter en raison d'un à vingt : mais fi d'un autre côté, le nombre des marchandises a augmenté comme un à deux, il faudra que le prix de ces marchandises & denrées ait hauffé d'un côté en raifon d'un à vingt, & qu'il ait baiffé en raison d'un à deux, & qu'il ne foit par conféquent qu'en raifon d'un à dix.

La quantité de marchandises & denrées croît par une augmentation de commerce; l'augmentation de commerce, par une augmentation d'argent qui arrive fucceffivement, & par de nouvelles communications avec de nouvelles terres & de nouvelles mers qui nous donnent de nouvelles denrées & de nouvelles marchandifes.

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CHAPITRE IX.

De la rareté relative de l'or & de l'argent..

UTRE l'abondance & la rareté pofitive de l'or & de l'argent,il y a encore une abondance & une rare té relative ďun de ces métaux à l'autre.

L'avarice garde l'or & l'argent, parce que, comme elle ne veut pas confommer, elle aime des fignes qui ne fe détruisent point. Elle aime mieux garder l'or que l'argent, parce qu'elle craint toû→ jours de perdre, & qu'elle peut mieux cacher ce qui eft en plus

petit volume. L'or difparoît donc quand l'argent eft commun, parce que chacun en a pour le cacher: il reparoît quand l'argent eft rare, parce qu'on eft obligé de le retirer de fes retraites.

C'est donc une regle: l'or eft commun quand l'argent eft rare, & l'or eft rare quand l'argent eft commun. Cela fait fentir la différence de l'abondance & de la rareté relative d'avec l'abondance & la rareté réelle, chofe dont je vais beaucoup parler.

CHAPITRE X.
Du Change.

'EST l'abondance & la rareté relative des monnoies des di vers Pays, qui forment ce que l'on appelle le Change.

C'E

Le Change eft une fixation de la valeur actuelle & momentanées des Monnoies.

L'argent, comme métal, a une valeur comme toutes les autres marchandises; & il a encore une valeur qui vient de ce qu'il eft capable de devenir le figne des autres marchandifes: & s'il n'étoit qu'une fimple marchandise, il ne faut pas douter qu'il ne perdît beaucoup de fon prix.

L'argent, comme monnoie, a une valeur que le Prince peut fixer dans quelques rapports, & qu'il ne fçauroit fixer dans

d'autres.

Le Prince établit une proportion entre une quantité d'argent comme métal, & la même quantité comme monnoie. 2o. Il fixe celle qui eft entre divers métaux employés à la monnoie. 3o. Il établit le poids & le titre de chaque piece de monnoie. Enfin il donne à chaque piece cette valeur idéale dont j'ai parlé. J'appellerai la valeur de la monnoie dans ces quatre rapports Valeur pofitive, parce qu'elle peut être fixée par une loi.

Les monnoies de chaque Etat ont de plus une Valeur relative, dans le fens qu'on les compare avec les monnoies des autres pays; c'eft cette valeur relative que le Change établit. Elle dépend beaucoup de la valeur pofitive. Elle eft fixée par l'eftime la plus générale des Négocians, & ne peut peut l'être par l'ordonnance du Prince, parce qu'elle varie fans ceffe & dépend de mille circonftances. Pour fixer la valeur relative, les diverfes Nations fe regleront beaucoup fur celle qui a le plus d'argent. Si elle a autant d'argent

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que

que toutes les autres enfemble, il faudra bien que chacun aille fe mefurer avec elle; ce qui fera qu'elles fe regleront à-peu-près entr'elles comme elles fe font mefurées avec la Nation principale. Dans l'état actuel de l'Univers c'eft la (a) Hollande qui eft cette Nation dont nous parlons. Examinons le Change par rapport à elle.

Il y a en Hollande une monnoie qu'on appelle un florin ; le florin vaut vingt fous ou quarante demi-fous ou gros.Pour fimplifier les idées, imaginons qu'il n'y ait point de florins en Hollande, & qu'il n'y ait que des gros un homme qui aura mille florins aura quarante mille gros, ainfi du refte. Or le Change avec la Hollande confifte à fçavoir combien vaudra de gros chaque piece de monnoie des autres pays ; & comme l'on compte ordinairement en France par écu de 3. livres, le Change demandera combien un écu de trois livres vaudra de gros. Si le change eft à cinquante-quatre, l'écu de trois livres vaudra cinquante-quatre gros; s'il eft à foixante, il vaudra foixante gros; fi l'argent eft rare en France, l'écu de trois livres vaudra plus de gros; s'il eft en abondance, il vaudra moins de gros.

Cette rareté ou cette abondance d'où réfulte la mutation du Change, n'eft pas la rareté ou l'abondance réelle; c'est une rareté ou une abondance relative: par exemple, quand la France a plus befoin d'avoir des fonds en Hollande, que les Hollandois n'ont befoin d'en avoir en France, l'argent eft appellé commun en France, & rare en Hollande, & vice versa.

Suppofons que le Change avec la Hollande foit à cinquante-quatre. Si la France & la Hollande ne compofoient qu'une Ville, on feroit comme l'on fait quand on donne la monnoie d'un écu : le François tireroit de fa poche trois livres, & le Hollandois tireroit de la fienne cinquante-quatre gros. Mais comme il y a de la diftance entre Paris & Amfterdam, il faut que celui qui me donne pour mon écu de trois livres cinquante-quatre gros qu'il a en Hollande, me donne une lettre de change de cinquante-quatre gros fur la Hollande. Il n'eft plus ici queftion de cinquante-quatre gros, mais d'une lettre de cinquante-quatre gros: ainfi pour juger (b) de la rareté ou de l'abondance de l'argent, il faut fçavoir s'il y a en

(a) Les Hollandois reglent le Change de prefque toute l'Europe par une espece de délibération entr'eux, felon qu'il convient à leurs intérêts.

(b) Il y a beaucoup d'argent dans une Place, lorfqu'il y a plus d'argent que de papier ; il y en a peu, lorfqu'il y a plus de papier que d'argent.

France

la

par

France plus de lettres de cinquante-quatre gros deftinées pour France, qu'il n'y a d'écus deftinés pour la Hollande. S'il y a beaucoup de lettres offertes par les Hollandois & peu d'écus offerts les François, l'argent eft rare en France & commun en Hollande; & il faut que le Change hauffe, & que pour mon écu on me donne plus de cinquante-quatre gros, autrement je ne le donnerois pas ; & vice verfà.

On voit que les diverfes opérations du Change forment un compte de Recette & de Dépenfe qu'il faut toujours folder ; & qu'un Etat qui doit, ne s'acquitte pas plus avec les autres par le Change, qu'un particulier ne paye une dette en changeant de l'argent.

Je fuppofe qu'il n'y ait que trois Etats dans le monde, la France, l'Efpagne & la Hollande; que divers particuliers d'Espagne duffent en France la valeur de cent mille marcs d'argent, & que divers particuliers de France duffent en Efpagne cent dix mille marcs; & que quelque circonftance fit que chacun en Espagne & en France voulût tout-à-coup retirer fon argent : que feroient les opérations du Change? Elles acquitteroient réciproquement ces deux Nations de la fomme de cent mille marcs; mais la France devroit toûjours dix mille marcs en Efpagne, & les Efpagnols au-roient toûjours des lettres fur la France dix mille marcs, & pour la France n'en auroit point du tout fur l'Espagne.

Que fi la Hollande étoit dans un cas contraire avec la France, & que pour folde elle lui dût 10000 marcs, la France pourroit payer l'Espagne de deux manieres, ou en donnant à fes créanciers en Efdes lettres fur fes débiteurs de Hollande pour 10000 marcs, pagne ou bien en envoyant 10000 marcs d'argent en efpeces en Espagne. Il fuit de-là que quand un Etat a befoin de remettre une fomme d'argent dans un autre pays, il eft indifférent par la nature de la chofe, que l'on y voiture de l'argent, ou que l'on prenne des lettres de change. L'avantage de ces deux manieres de payer dépend uniquement des circonftances actuelles: il faudra voir ce qui dans ce moment donnera plus de gros en Hollande, ou l'argent porté en efpeces (a) ou une lettre fur la Hollande de pareille fomme

Lorfque même titre & même poids d'argent en France me rel dent même poids & même titre d'argent en Hollande, on dit que le Change eft au pair. Dans l'état actuel des monnoies ( b) le pair eft à peu-près à cinquante-quatre gros par écu: lorfque le Change fera au deffus de cinquante-quatre gros, on dira qu'il eft haut; lorsqu'il fera au deffous on dira qu'il eft bas.

(a) Les frais de la voiture & de l'affûrance déduits. (b) en 1744.

Pour

Pour fçavoir fi dans une certaine fituation du Change l'Etat gagne ou perd, il faut le considérer comme débiteur, comme créancier, comme vendeur, comme acheteur. Lorfque le Change eft plus bas que le pair, il perd comme débiteur, il gagne comme créancier, il perd comme acheteur, & il gagne comme vendeur. On fent bien qu'il perd comme débiteur: par-exemple, la France devant à la Hollande un certain nombre de gros, moins fon écu vaudra de gros, plus il lui faudra d'écus pour payer: au contraire fi la France est créanciere d'un certain nombre de gros, moins chaque écu vaudra de gros, plus elle recevra d'écus. L'Etat perd encore comme acheteur; car il faut toûjours le même nombre de gros pour acheter la même quantité de marchandifes; & lorfque le Change baiffe, chaque écu de France donne moins de gros. Par la même raifon, l'Etat gagne comme vendeur: je vends ma marchandise en Hollande, le même nombre de gros que je la vendois ; j'aurai donc plus d'écus en France lorfqu'avec cinquante gros je me procurerai un écu, que lorsqu'il m'en faudra cinquante-quatre pour avoir ce même écu: le contraire de tout ceci arrivera à l'autre Etat. Si la Hollande doit un certain nombre d'écus, elle gagnera; & fi on les lui doit, elle perdra ; fi elle vend, elle perdra; fi elle achete, elle gagnera.

Il faut pourtant fuivre ceci : lorfque le Change eft au-deffous du pair, par exemple, s'il eft à cinquante au lieu d'être à cinquantequatre, il devroit arriver que la France envoyant par le Change cinquante-quatre mille écus en Hollande, n'acheteroit de marchandifes que pour cinquante mille; & que d'un autre côté la Hollande envoyant la valeur de cinquante mille écus en France, en acheteroit pour cinquante-quatre mille; ce qui feroit une différence de huit cinquante-quatriemes, c'eft-à-dire de plus d'un feptieme de perte pour la France; de forte qu'il faudroit envoyer en Hollande un feptieme de plus en argent ou en marchandifes, qu'on ne faifoit lorsque le Change étoit au pair: & le mal augmentant toûjours,parce qu'une pareille dette feroit encore diminuer le Change, la France feroit à la fin ruinée: Il femble, dis-je, que cela devroit Are; & cela n'eft pas, à caufe du principe que j'ai déja établi ailleurs (a), qui eft que les Etats tendent toûjours à fe mettre dans la balance, & à fe procurer leur libération; ainfi ils n'empruntent qu'à proportion de ce qu'ils peuvent payer, & n'achetent qu'à mefure qu'ils vendent, & en prenant l'exemple ci-deffus: fi le Change tom

(a) Voy. le Liv. xx, Chap. 21,

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