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fes mains les deux clefs des malheureux reftes du Royaume; on lui déféra une Couronne qu'il étoit feul en état de défendre. C'eft ainfi que depuis on a donné l'Empire à la Maison qui tient Let me que immobiles les frontieres des Turcs.

L'Empire étoit forti de la Maifon de Charle-Magne dans le tems que l'hérédité des Fiefs ne s'établiffoit que comme une condefcendance. Il paroît même qu'elle s'établit plus tard chez les Allemands que chez les François; cela fit que l'Empire, confidéré comme un Fief, fut électif. Au contraire, quand la Couronne de France fortit de la Maison de Charle-Magne, les Fiefs étoient réellement héréditaires dans ce Royaume; la Couronne, comme un grand Fief, le fut aussi.

Du refte, on a eu grand tort de rejetter fur le moment de cette révolution tous les changemens qui étoient arrivés, ou qui arriverent depuis. Tout fe réduifit à deux évenemens ; la famille régnante changea, & la Couronne fut unie à un grand Fief.

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CHAPITRE XXXII.

Quelques conféquences de la perpétuité des Fiefs.

L fuivit de la perpétuité des Fiefs, que le droit d'aîneffe ou de point dans la premiere Race (a), la Couronne fe partageoit entre les freres, les Alleux fe divifoient de même ; & les Fiefs amovibles ou à vie n'étant pas un objet de fucceffion, ne pouvoient pas être un objet de partage.

Dans la feconde Race, le titre d'Empereur qu'avoit Louis le Débonnaire & dont il honora Lothaire fon fils aîné, lui fit imaginer de donner à ce Prince une espece de primauté fur fes cadets. Les deux Rois (b) devoient aller trouver l'Empereur chaque année, lui porter des préfens, & en recevoir de lui de plus grands; ils devoient conférer avec lui fur les affaires communes. C'est ce qui donna à Lothaire ces prétentions qui lui réuffirent fi mal. Quand Agobart (c) écrivit pour ce Prince, il allégua la difpofition de 'Empereur même, qui avoit affocié Lothaire à l'Empire, après

(a) Voy. la Loi Salique & la Loi des Ripuaires, au titre des Alleux.

(b) Voy. le Capitulaire de l'an 817, qui contient le premier partage que Louis le Dé

bonnaire fit entre les enfans.

(c) Voy. fes deux Lettres à ce sujet, dont l'une a pour titre de divifione Imperii.

que,

que, par trois jours de jeûne & par la célébration des faints Sacrifices, par des prieres & des aumônes, Dieu avoit été confulté, que la Nation lui avoit prêté ferment, qu'elle ne pouvoit point fe parjurer, qu'il avoit envoyé Lothaire à Rome pour être confirmé par le Pape. Il pefe fur tout ceci, & non pas fur le droit d'aîneffe. Il dit bien que l'Empereur avoit défigné un partage aux cadets, & qu'il avoit préféré l'aîné: mais en difant qu'il avoit préféré l'aîné, c'étoit dire en même- tems qu'il auroit pû préférer les cadets.

Mais quand les Fiefs furent héréditaires, le droit d'aîneffe s'établit dans la fucceffion des Fiefs, & par la même raifon dans celle de la Couronne qui étoit le grand Fief. La Loi ancienne qui formoit des partages ne fubfifta plus : les Fiefs étant chargés d'un fervice, il falloit que le poffeffeur füt en état de le remplir. On établit un droit de primogéniture; & la raifon de la Loi Féodale força celle de la Loi Politique ou Civile.

Les Fiefs paffant aux enfans du poffeffeur, les Seigneurs perdoient la liberté d'en difpofer; & pour s'en dédommager, ils établirent un droit qu'on appella le droit de Rachat, dont parlent nos Coûtumes, qui fe paya d'abord en ligne directe, & qui par ufage ne fe paya plus qu'en ligne collatérale.

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Bien-tôt les Fiefs purent être tranfportés aux étrangers, comme un bien patrimonial. Cela fit naître le droit de lods & ventes établi dans prefque tout le Royaume. Ces droits furent d'abord arbitraires mais quand la pratique d'accorder ces permissions devint générale, on les fixa dans chaque contrée.

Le droit de Rachat devoit fe payer à chaque mutation d'héritier, & fe paya même d'abord en ligne directe ( a ). La coûtume la plus générale l'avoit fixé à une année du revenu. Cela étoit onéreux & incommode au Vaffal, & affectoit, pour ainfi dire, le Fief. Il obtint (b) fouvent dans l'acte d'Hommage que le Seigneur ne demanderoit plus pour le Rachat qu'une certaine fomme d'argent, laquelle, par les changemens arrivés aux Monnoies, eft devenue de nulle importance: ainfi le droit de Rachat fe trouve aujourd'hui prefque réduit à rien, tandis que celui de Lods & ventes a fubfifté dans toute fon étendue. Ce droit ne con

(a) Voy. l'Ordonnance de Philippe Augufte, de l'an 1209, fur les Fiefs.

(b) On trouve dans les Chartres plufieurs de ces conventions, comme dans le Cartu

laire de Vendôme & celui de l'Abbaye de StCyprien en Poitou, dont M, Galland, p. 55. a donné des extraits...

cernant

cernant ni le Vaffal ni fes héritiers, mais étant un cas fortuit qu'on ne devoit ni prévoir ni attendre, on ne fit point ces fortes de ftipulations, & on continua à payer une certaine portion du prix.

Lorfque les Fiefs étoient à vie, on ne pouvoit pas donner une partie de fon Fief pour le tenir pour toûjours en arriere-Fief; il eur été abfurde qu'un fimple ufufruitier eût difpofé de la propriété de la chofe. Mais lorsqu'ils devinrent perpétuels, cela fut (a) permis, avec de certaines reftrictions que mirent les Coûtumes (b), ce qu'on appella fe jouer de fon Fief.

La perpétuité des Fiefs ayant fait établir le droit de Rachat les filles purent fuccéder à un Fief au défaut des mâles. Car le Seigneur donnant le Fiefà la fille, il multiplioit les cas de fon droit de Rachat, parce que le mari devoit le payer comme la femme (c). Cette difpofition ne pouvoit avoir lieu pour la Couronne; car comme elle ne relevoit de perfonne, il ne pouvoit point y avoir de droit de Rachat fur elle.

parut

La fille de Guillaume V, Comte de Touloufe, ne fuccéda pas à la Comté. Dans la fuite, Alienor fuccéda à l'Aquitaine, & Mathilde à la Normandie; & le droit de la fucceffion des filles dans ces tems-là si bien établi, que Louis le Jeune, après la diffolution de fon mariage avec Alienor, ne fit aucune difficulté de lui rendre la Guyenne. Comme ces deux derniers exemples fuivirent de très-près le premier, il faut que la Loi générale qui appelloit les femmes à la fucceffion des Fiefs, fe foit introduite plus tard (d) dans la Comté de Toulouse, que dans les autres Provinces du Royaume.

La Conftitution de divers Royaumes de l'Europe a fuivi l'état actuel où étoient les Fiefs dans le tems que ces Royaumes ont été fondés. Les femmes ne fuccéderent ni à la Couronne de France ni à l'Empire, parce que, dans l'établissement de ces deux Monarchies, les femmes ne pouvoient fuccéder aux Fiefs: mais elles fuccéderent dans les Royaumes dont l'établissement suivit celui de la perpétuité des Fiefs, tels que ceux qui furent fondés par les Conquêtes des Normands, ceux qui le furent par les Conquêtes faites fur les Maures; d'autres enfin, qui, au-delà des li

(a) Mais on ne pouvoit pas abréger le Fief, c'est-à-dire, en éteindre une portion. (b) Elles fixerent la portion dont on pouvoit fe jouer.

(c) C'est pour cela que le Seigneur con

traignoit la veuve de se remarier.

(d) La plupart des grandes Maifons avoient leurs Loix de fucceffion particuliere. Voy. ce que M. de la Thaumaffiere nous dit fur les Maifons du Berry.

mites de l'Allemagne & dans des tems affez modernes, prirent en quelque façon une feconde naiffance par l'établissement du Chriftianifme.

Quand les Fiefs étoient amovibles, on les donnoit à des gens qui étoient en état de les fervir, & il n'étoit point queftion des mineurs: mais (a) quand ils furent perpétuels, les Seigneurs prirent le Fief jufqu'à la majorité, foit pour augmenter leurs profits, foit pour faire élever le pupille dans l'exercice des Armes. C'eft ce que nos Coûtumes appellent la Garde-noble, laquelle eft fon dée fur d'autres principes que ceux de la tutelle, & en eft entie rement diftincte.

Quand les Fiefs étoient à vie, on fe recommandoit pour un Fief; & la tradition réelle qui fe faifoit par le Sceptre conftatoit le Fief, comme fait aujourd'hui l'Hommage. Nous ne voyons pas que les Comtes, ou même les Envoyés du Roi reçuffent les Hommages dans les Provinces ; & certe fonction ne fe trouve pas dans les Commiffions de ces Officiers qui nous ont été confervées dans les Capitulaires. Ils faifoient bien quelquefois prêter le ferment de Fidélité (b) à tous les Sujets ; mais ce ferment étoit fi peu un Hommage de la nature de ceux qu'on établit depuis, que dans ces derniers le ferment de Fidélité étoit une action (c) jointe à l'Hommage, qui tantôt fuivoit & tantôt précédoit l'Hommage, qui n'avoit point lieu dans tous les Hommages, qui fut moins folemnelle que l'Hommage & en étoit entierement diftincte.

Les Comtes & les Envoyés du Roi faifoient encore dans les occafions donner (d) aux Vaffaux dont la fidélité étoit fufpecte une Affûrance qu'on appelloit Firmitas; mais cette Affûrance ne pouvoit être un Hommage, puifque les Rois (e) fe la donnoient

entr'eux.

(a) On voit dans le Capitulaire de l'année 877, apud Carifiacum, art. 3, édition de Baluze, tom. II, pag. 269, le moment où les Rois firent adminiltrer les Fiefs, pour les conferver aux mineurs; exemple qui fut fuivi par les Seigneurs, & donna l'origine à ce que nous avons appellé la Garde-noble.

(b) On en trouve la Formule dans le Capitulaire 2 de l'an 802. Voy. auffi celui de l'an 854, art. 13, & autres.

(c) M. Du Cange, au mot Hominium, p. 163, & au mor Fidelitas, p. 474, cite les Chartres des anciens Hommages, où ces différences le trouvent, & grand nombre d'auPart. II,

torités qu'on peut voir. Dans l'Hommage, le Vaflal mettoit fa main dans celle du Seigneur, & juroit; le ferment de Fidélité se faifoit en jurant (ur les Evangiles: l'Homma ge fe faifoit à genoux, le ferment de fidélité debout: il n'y avoit que le Seigneur qui pût recevoir l'Hommage; mais fes Officiers pouvoient prendre le ferment de Fidélité. Voy. Litleson, fe&. 91 & 92. Foi & Hommage, c'eft Fidelité & Hommage.

(d) Capitulaire de Charles le Chauve de l'an 860, poft reditum à Confluentibus, art.3, édition de Bauze, pag. 145.

(e) Ibid. art. 1.

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Que fi l'Abbé Suger (a) parle d'une Chaire de Dagobert, où felon le rapport de l'antiquité, les Rois de France avoient-coû tume de recevoir les Hommages des Seigneurs, il eft clair qu'il emploie ici les idées & le langage de fon tems. I

Lorfque les Fiefs pafferent aux héritiers, la Reconnoiffance du Vaffal, qui n'étoit dans les premiers tems qu'une chofe occafionnelle, devint une action regiée; elle fut faite d'une maniere plus éclatante, elle fut remplie de plus de formalités, parce qu'elle devoit porter la mémoire des devoirs réciproques du Seigneur & du Vaffal dans tous les âges.

Je pourrois croire que les Hommages commencerent à s'établir du tems du Roi Pepin, qui eft le tems où j'ai dit que plufieurs Bénéfices furent donnés à perpétuité; mais je le croirois avec précaution, & dans la fuppofition feule que les Auteurs des Annales. anciennes (b) des Francs n'aient pas éré des ignorans, qui décrivant les cérémonies de l'acte de Fidélité que Taffillon Duc de Baviere fit à Pepin, aient parlé (c) suivant les ufages qu'ils voyoient pratiquer de leur tems.

AP.

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UAND les Fiefs étoient amovibles ou à vie, ils n'appartenoient guere qu'aux Loix Politiques; c'eft pour cela que dans les Loix Civiles de ces tems-là, il eft fait fi peu de mention des Loix des Fiefs. Mais lorfqu'ils devinrent héréditaires, qu'ils purent fe donner, fe vendre, fe léguer, ils appartinrent & auxLoixPolitiques & auxLoixCiviles.Le Fief confidéré comme une obligation au fervice militaire, tenoit au Droit Politique; confidéré comme un genre de bien qui étoit dans le commerce il tenoit au Droit Civil. Cela donna naissance aux Loix Civiles fur les Fiefs.

Les Fiefs étant devenus héréditaires, les Loix concernant l'or

(a) Lib. de administratione fuâ. (b) Anno 757, ch. 17.

(c) Tallillo venit in vaffatico fe commendans, per manus Sacramenta juravit multa & innumerabilia, Reliquiis Sanctorum manus

imponens, & Fidelitatem promifit Regi Pippino. Il fembleroit qu'il y auroit là un Hommage & un ferment de Fidélité. Voy. àla pag précédente la Note ( c ).

dre

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