Page images
PDF
EPUB

Nation, que, fi le Juge trouve un voleur fameux, il le fera lier pour être envoyé devant le Roi, fi c'eft un Franc (Francus); mais fi c'est une perfonne plus foible (debilior perfona), il fera pendu fur le lieu. Selon M. l'Abbé Dubos, Francus eft un Homme libre, debilior perfona eft un Serf. J'ignorerai pour un moment ce que peut fignifier ici le mot Francus, & je commencerai par examiner ce qu'on peut entendre par ces mots une perfonne plus foible. Je dis que, dans quelle Langue que ce foit, tout comparatif fuppofe néceffairement trois termes, le plus grand, le moindre, & le plus petit. S'il n'étoit ici queftion que des Hommes libres & des Serfs, on auroit dit un Serf, & non pas un hom-me d'une moindre puiffance. Ainfi debilior perfona ne fignifie point là un Serf, mais une perfonne au-deffous de laquelle doit être le Serf. Cela fuppofé, Francus ne fignifiera pas une Homme libre, mais un Homme puiffant; & Francus eft pris ici dans cette acception, parce que, parmi les Francs étoient toûjours ceux qui avoient dans l'Etat une plus grande puiffance & qu'il étoit plus difficile au Juge ou au Comte de corriger; cette explication s'accorde avec un grand nombre de Capitulaires (a), qui donnent les cas dans lefquels les criminels pouvoient être renvoyés devant: le Roi, & ceux où ils ne le pouvoient pas.

On trouve dans la vie de Louis le Débonnaire (b) écrite par Te-gan, que les Evêques furent les principaux Aureurs de l'humilia-tion de cet Empereur, furtout ceux qui avoient été Serfs & ceux qui étoient nés parmi les Barbares. Tegan apoftrophe ainfi Hebon,, que ce Prince avoit tiré de la fervitude & avoit fait Archevêque de Rheims : « Quelle récompenfe (c) l'Empereur a t'il reçûe de.tant de bienfaits ? il t'a fait Libre, & non pas Noble; il « ne pouvoit pas te faire Noble, après t'avoir donné la Li-

[ocr errors]

berté. »

сс

Ce difcours, qui prouve fi formellement deux Ordres de Ci-toyens, n'embarraffe point M. l'Abbé Dubos. Il répond ainsi (d) : Ce paffage ne veut point dire que Louis le Débonnaire n'eût pas «c. pu faire entrer Hebon dans l'Ordre des Nobles. Hebon, comme Archevêque de Rheims, eût été du premier ordre, fupérieur: « à celui de la Noblesse. » Je laisse au Lecteur à décider fi ce paffa

(a) Voyez Liv. XXVIII. de cet Ouvrage, ch. 28; & le Liv. XXXI, chap. 8.(b) Chap. 43 & 44.

(e) O qualem remunerationem reddifti ei!

fecit te liberum, non nobilem, quod impoffi-bile eft poft libertatem. Ibid.

(d) Etabliffement de la Monarchie Fran goile, tom. 3. Liv, VI, ch. 4, p. 316.

ge

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

сс

ge ne le veut point dire; je lui laiffe à juger s'il eft ici question d'une préféance de Clergé fur la Nobleffe. « Ce paffage prouve feulement, continue (a) M. l'Abbé Dubos, que les Citoyens nés libres étoient qualifiés de Noble-hommes: dans l'usage du monde, Noble - homme, & Homme né libre, ont signifié long<«tems la même chose. » Quoi! fur ce que dans nos tems modernes, quelques Bourgeois ont pris la qualité de Noble-hommes, un paffage de la vie de Louis le Débonnaire s'appliquera à ces fortes de gens?« Peut-être auffi, ajoute . t'il (b) encore, qu'Hebon n'avoit point été efclave dans la Nation des Francs, mais dans la Na«tion Saxone, ou dans une autre Nation Germanique où les Ci<toyens étoient divifés en plufieurs Ordres. » Donc, à caufe du peut-être de M. l'Abbé Dubos, il n'y aura point eu de Noblesfe dans la Nation des Francs. Mais il n'a jamais plus mal appliqué de peut-être. On vient de voir que Tégan diftingue (c) les Evêques qui avoient été oppofés à Louis le Débonnaire dont les uns avoient été Serfs, & les autres étoient d'une nation Barbare. Hébon étoit des premiers, & non pas des feconds. D'ailleurs, je ne fçai comment on peut dire qu'un Serf tel qu'Hèbon, auroit été Saxon ou Germain: un Serf n'a point de famille ni par conféquent de Nation. Louis le Débonnaire affranchit Hébon; & comme les Serfs affranchis prenoient la Loi de leur Maître, Hébon devint Franc, & non pas Saxon ou Germain.

ככ

[ocr errors]

Je viens d'attaquer; il faut que je me défende. On medira que le corps des Antruftions formoit bien dans l'Etat un Ordre diftingué de celui des Hommes libres: mais que, comme les Fiefs furent d'abord amovibles, & enfuite à vie, cela ne pouvoit pas former une Nobleffe d'origine, puifque les prérogatives n'étoient point attachées à un Fief héréditaire. C'eft cette objection qui a fans doute fait penfer à M. de Valois qu'il n'y avoit qu'un feul Ordre de Citoyens chez les Francs: fentiment que M. l'Abbé Dubos a pris de lui, & qu'il a abfolument gâté à force de mauvaises preuves. Quoi qu'il en foit, ce n'eft point M. l'Abbé Dubos qui auroit pû faire cette objection. Car ayant donné trois Ordres de Noblesse Romaine, & la qualité de Convive du Roi pour le premier, il n'auroit pas pû dire que ce titre marquât plus une Nobleffe d'origine que celui d'Antruftion. Mais il faut une réponse

(a) Ibid. (b) Ibid. (c) Omnes Epifcopi molefti fuerunt Ludovico, & maximè ii quos è fervili conditione

honoratos habebat, cùm his qui ex Berbaris Nationibus ad hoc faftigium fèrduðli funt. De Gellis Ludovici Fii, chap. 43 & 44.

directe.

directe. Les Antruftions ou Fideles n'étoient pas tels parce qu'ils avoient un Fief, mais on leur donnoit un Fief parce qu'ils étoient Antruftions ou Fideles. On fe reffouvient de ce que j'ai dit dans les premiers Chapitres de ce Livre : ils n'avoient pas pour lors, comme ils eurent dans la fuite, le même Fief; mais s'ils n'avoient pas celui-là, ils en avoient un autre, & parce que les Fiefs fe donnoient à la naiffance, & parce qu'ils fe donnoient souvent dans les Affemblées de la Nation, & enfin parce que, comme il étoit de l'intérêt des Nobles d'en avoir, il étoit auffi de l'intérêt du Roi de leur en donner. Ces familles étoient diftinguées par leur dignité de Fideles, & par là prérogative de pouvoir fe recommander pour un Fief. Je ferai voir dans le Livre (a) fuivant comment, par les circonftances des tems, il y eut des Hommes libres qui furent admis à jouir de cette grande prérogative, & par conféquent à entrer dans l'Ordre de la Nobleffe. Cela n'étoit point ainfi du tems de Gontran & de Childebert fon neveu; & cela étoit ainfi du tems de Charle-Magne. Mais quoique dès le tems de ce Prince les Hommes libres ne fuffent pas incapables de pofféder des Fiefs, il paroît, par le paffage de Tegan rapporté ci- deffus que les Serfs affranchis en étoient abfolument exclus. M. l'Abbé Dubos (b) qui va en Turquie pour nous donner une idée de ce qu'étoit l'ancienne Nobleffe Françoife, nous dira t'il qu'on fe foit jamais plaint en Turquie de ce qu'on y élevoit aux honneurs & aux dignités des gens de baffe naiffance, comme on s'en plaignoit fous les Regnes de Louis le Débonnaire & de Charles le Chauve? On ne s'en plaignoit pas du tems de Charle-Magne, parce que ce Prince diftingua toûjours les anciennes familles d'avec les nouvelles; ce que Louis le Débonnaire & Charles le Chauve ne firent pas.

Le Public ne doit pas oublier qu'il eft redevable à M. l'Abbé Dubos de plufieurs Compofitions excellentes. C'eft fur ces beaux Ouvrages qu'il doit le juger, & non pas fur celui ci. M. l'Abbé Dubos y est tombé dans de grandes fautes, parce qu'il a plus eu devant les yeux M. le Comte de Boulainvilliers, que fon fujet. Je ne tirerai de toutes mes critiques que cette réflexion: Si un fi grand homme a erré, que ne dois - je pas craindre ?

(a) Chapitre 23. (b) Hiftoire de l'Etabliffement de la Monarc. Franç tome 111. Liv. vi. ch. 4, P. 302.

Part. II.

Q q

LIVRE

**

00000000000

LIVRE

TRENTE-UNIEME.

Théorie des Loix Féodales chez les Francs, dans le Rapport qu'elles ont avec les Révolutions de leur Monarchie.

CHAPITRE PREMIER.

Changemens dans les Offices & les Fiefs des Maires du Palais

Abord les Comtes n'étoient envoyés dans leurs diftricts que pour un an; bientôt ils acheterent la continuation de leurs Offices. On en trouve un exemple dès le regne des petits-enfans. de Clovis. Un certain Peonius (a) étoit Comte dans la ville d'Auxerre ; il envoya fon fils Mummolus porter de l'argent à Gontram pour être continué dans fon emploi; le fils donna l'argent pour luimême, & obtint la place du pere. Les Rois avoient déja commen cé à corrompre leurs propres graces..

Quoique, par la Loi du Royaume, les Fiefs fuffent amovibles, ils ne fe donnoient pourtant ni ne s'ôtoient d'une maniere capricieuse & arbitraire ; & c'étoit ordinairement une des principales. chofes qui fe traitoient dans les Affemblées de la Nation. On peut bien penfer que la corruption fe gliffa dans ce point, comme elle s'étoit gliffée dans l'autre ; & que l'on continua la poffeffion des Fiefs pour de l'argent, comme on continuoit la poffeffion des Comtés.

Je ferai voir dans la fuite de ce Livre (b), qu'indépendamment des dons que les Princes firent pour un tems, il y en eut d'autres qu'ils firent pour toûjours. Il arriva que la Cour voulut révoquer les dons qui avoient été faits; cela mit un mécontentement général dans la Nation, & l'on en vit bientôt naître cette révolution fa(b) Chap. 7.

(a) Greg. de Tours, liv. 1v, ch. 42.

meufe

meufe dans l'hiftoire de France, dont la premiere époque fut le fpectacle étonnant du fupplice de Brunehault.

Il paroît d'abord extraordinaire que cette Reine, fille, fœur, mere de tant de Rois, fameufe encore aujourd'hui par des ouvrages dignes d'un Edile ou d'un Proconful Romain, née avec un génie admirable pour les affaires, douée de qualités qui avoient été fi long-tems refpectées, fe foit vûe (a) tout à coup expofée à des fupplices fi longs, fi honteux, fi cruels, par (b) un Roi dont l'autorité étoit affez mal affermie dans fa Nation, fi elle n'étoit tombée par quelque caufe particuliere dans la difgrace de cette Nation. Clotaire lui reprocha (c) la mort de dix Rois, mais il y en avoit deux qu'il fit mourir lui-même; la mort de quelques autres fut le crime du fort ou de la méchanceté d'une autre Reine; & une Nation qui avoit laiffé mourir Fredegunde dans fon lit, qui s'étoit même oppofée (d) à la punition de fes épouvantables crimes, devoit être bien froide fur ceux de Brunehault.

Elle fut mife fur un chameau, & on la promena dans toute l'armée; marque certaine qu'elle étoit tombée dans la difgrace de cette armée. Fredegaire dit que Protaire (e), favori de Brunehault prenoit le bien des Seigneurs & en gorgeoit le fifc, qu'il humilioit la Nobleffe, & que perfonne ne pouvoit être fûr de garder le pofte qu'il avoit. L'armée conjura contre lui, on le poignarda dans fa tente; & Brunehault, foit par les vengeances (f) qu'elle tira de cette mort, foit par la pourfuite du même plan, devint tous les jours plus odieuse (g) à la Nation.

Clotaire ambitieux de régner feul, & plein de la plus affreuse vengeance, fûr de périr fi les enfans de Brunehault avoient le deffus, entra dans une conjuration contre lui-même;&foit qu'il fût mal-habile ou qu'il fût forcé par les circonftances, il fe rendit accufateur de Brunehault, & fit faire de cette Reine un exemple terrible. Warnachaire avoit été l'ame de la Conjuration contre Brunehault ; il fut fait Maire de Bourgogne ; il exigea (h) de Clotaire

[merged small][merged small][ocr errors][merged small]
« PreviousContinue »