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feconde Race, prefque toutes les terres devenues des Fiefs, des arriere-Fiefs, ou des dépendances de l'un ou de l'autre : mais cela a eu des caufes particulieres qu'on expliquera dans la suite.

La conféquence qu'on en voudroit tirer, que les Barbares firent un Réglement général pour établir par tout la fervitude de la Glébe, n'eft pas moins fauffe que le principe. Si dans un tems où les Fiefs étoient amovibles, toutes les terres du Royaume avoient été des Fiefs ou des dépendances des Fiefs, & tous les hommes du Royaume des Vaffaux ou des Serfs qui dépendoient d'eux ; comme celui qui a les biens a toûjours auffi la puiffance, le Roi, qui auroit difpofé continuellement des Fiefs, c'est-à-dire, de l'unique propriété, auroit eu une puiffance auffi arbitraire que celle du Sultan l'eft en Turquie ; ce qui renverfe toute l'Hiftoire.

CHAPITRE VI.

Des Goths, des Bourguignons, & des Francs.

Es Gaules furent envahies par les Nations Germaines. Les

LiGothes forent envat la Narbonnoife of prefque tout le

Midi; les Bourguignons s'établirent dans la partie qui regarde l'Orient; & les Francs conquirent à peu près le refte.

Il ne faut pas douter que ces Barbares n'aient confervé dans leurs conquêtes les mœurs, les inclinations & les ufages qu'ils avoient dans leur pays; parce qu'une Nation ne change pas dans un instant de maniere de penfer & d'agir. Ces Peuples dans la Ger-manie cultivoient peu les terres. Il paroît par Tacite & Céfar qu'ils s'appliquoient beaucoup à la vie pastorale : auffi les difpofitions des Codes des Loix des Barbares, roulent-elles prefque toutes fur les troupeaux. Roricon, qui écrivoit l'Hiftoire chez les Francs,. étoit pasteur.

CHAPITRE VII.

Différentes manieres de partager les terres.

Es Goths & les Bourguignons ayant pénétré fous divers prétextes dans l'intérieur de l'Empire, les Romains pour arrêter leurs dévastations, furent obligés de pourvoir à leur fubfiftance..

fiftance. D'abord ils leur donnoient (a) du bled; dans la fuite ils aimerent mieux leur donner des terres. Les Empereurs, ou fous leur nom les Magiftrats (b) Romains, firent des conventions avec eux fur le partage du pays, comme on le voit dans les Chroniques & dans les Codes des Wifigoths (c) & des Bourguignons (d).

Les Francs ne fuivirent pas le même plan. On ne trouve dans les Loix Saliques & Ripuaires aucune trace d'un tel partage de terres; ils avoient conquis, ils prirent ce qu'ils voulurent, & ne firent de Réglemens qu'entr'eux.

Diftinguons donc le procédé des Bourguignons & des Wifigoths dans la Gaule, de ces mêmes Wifigoths en Espagne; des Soldats (e) auxiliaires fous Auguftule & Odoacer en Italie, d'avec celui des Francs dans les Gaules & des Vandales (f) en Afrique. Les premiers firent des conventions avec les anciens habitans, & en conféquence un partage de terres avec eux; les feconds ne firent rien de tout cela.

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E qui donne l'idée d'une grande ufurpation des terres des Romains par les Barbares, c'eft qu'on trouve dans les Loix des Wifigoths & des Bourguignons que ces deux Peuples eurent les deux tiers des terres; mais ces deux tiers ne furent pris que dans de certains quartiers qu'on leur affigna.

Gondebaud (g) dit dans la Loi des Bourguignons, que fon Peuple, dans fon établiffement, reçut les deux tiers des terres; & il eft dit dans le fecond Supplément (h) à cette Loi, qu'on n'en donneroit plus que la moitié à ceux qui viendroient dans

(a) Les Romains s'y obligerent par des Traités.

(b) Burgundiones partem Galliæ occuparunt, terrafque cùm Gallicis Senatoribus diviferunt, Chroniq. de Marius, fur l'an 456.

(c) Liv. x, tit. 1, §. 8, 9 & 16. (d) Ch. 54, §. 1 & 2 ; & ce partage fubfifoit du tems de Lois le Débonnaire, comme il paroît par fon Capitulaire de l'an 829, qui a été inféré dans la Loi des Bourguignons,

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le pays. Toutes les terres n'avoient donc pas d'abord été partagées entre les Romains & les Bourguignons.

On trouve dans les textes de ces deux Reglemens les mêmes expreffions; ils s'expliquent donc l'un & l'autre : & comme on ne peut pas entendre le fecond d'un partage univerfel des terres on ne peut pas non plus donner cette fignification au pre

mier.

Les Francs agirent avec la même modération que les Bourguignons ; ils ne dépouillerent pas les Romains dans toute l'étendue de leurs Conquêtes. Qu'auroient-ils fait de tant de terres ? Ils prirent celles qui leur convinrent, & laifferent le refte.

CHAPITRE I X.

Jufte application de la Loi des Bourguignons & de celle des Wifigoths fur le partage des terres.

I

par

L faut confidérer que ces partages ne furent point faits un efprit tyrannique, mais dans l'idée de fubvenir aux befoins mutuels des deux Peuples qui devoient habiter le même pays.

La Loi des Bourguignons veut que chaque Bourguignon foit reçû en qualité d'hôte chez un Romain. Cela eft conforme aux mœurs des Germains, qui, au rapport de Tacite (a), étoient le peuple de la terre qui aimoit le plus à exercer l'hofpitalité.

La Loi veut que le Bourguignon ait les deux tiers des terres, & le tiers des Serfs. Elle fuivoit le génie des deux peuples, & fe conformoit à la maniere dont ils fe procuroient leur fubfistance. Le Bourguignon, qui faifoit paître des troupeaux, avoit besoin de beaucoup de terres & de peu de Serfs ; & le grand travail de la culture de la terre exigeoit que le Romain eût moins de glebe & un plus grand nombre de Serfs. Les bois étoient partagés par moitié, parce que les befoins à cet égard étoient les mêmes. On voit dans le Code (b) des Bourguignons, que chaque Barbare fut placé chez chaque Romain. Le partage ne fut donc pas général : mais le nombre des Romains qui donnerent le partage, fut égal à celui des Bourguignons qui le reçurent. Le Romain fut lésé le moins qu'il fut poffible: le Bourguignon guerrier, chas

(a) De morib. German.

Part. II.

(b) Et dans celui des Wifigoths.
LI

feur

fear & pafteur, ne dédaignoit pas de prendre des friches; le Ro main gardoit les terres les plus propres à la culture; les troupeaux du Bourguignon engraiffoient le champ du Romain.

CHAPITRE X.

Des Servitudes.

Left dit dans la Loi (a) des Bourguignons, que quand ces Peuples s'établirent dans les Gaules, ils reçurent les deux tiers des terres, & le tiers des Serfs. La fervitude de la glebe étoit donc (b) établie dans cette partie de la Gaule avant l'entrée des Bourguignons.

La Loi des Bourguignons ftatuant fur les deux Nations, diftingue (c) formellement dans l'une & dans l'autre, les Nobles, les Ingénus & les Serfs. La Servitude n'étoit donc point une chofe particuliere aux Romains, ni la Liberté & la Nobleffe une chofe particuliere aux Barbares.

Cette même Loi dit (d) que fi un affranchi Bourguignon n'avoit point donné une certaine fomme à son maître, ni reçu une portion tierce d'un Romain, il étoit toûjours cenfé de la famille de fon maître. Le Romain propriétaire étoit donc libre, puifqu'il n'étoit point dans la famille d'un autre ; il étoit libre, puifque fa portion tierce étoit un figne de liberté.

Il n'y a qu'à ouvrir les Loix Saliques & Ripuaires, pour voir que les Romains ne vivoient pas plus dans la fervitude chez les Francs, que chez les autres Conquérans de la Gaule.

M. Le Comte de Boulainvilliers a manqué le point capital de fon fyftème; il n'a point prouvé que les Francs aient fait un Regle ment général qui mît les Romains dans une espece de fervitude.

Comme fon Ouvrage est écrit fans aucun art, & qu'il y parle avec cette fimplicité, cette franchise & cette ingénuité de l'ancienne Nobleffe dont il étoit forti, tout le monde eft capable de juger, & des belles chofes qu'il dit, & des erreurs dans lefquel-les il tombe. Ainfi je ne l'examinerai point; je dirai feulement

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Romano Nobili excuferit, tit, 16, §. 1, &
Si Mediocribus Perfonis ingenuis tam Burgun
dionibus quàm Romanis, ibid. §. 2,
(d) Tit. 57.

qu'il avoit plus d'efprit que de lumieres, plus de lumieres que de fçavoir; mais ce fçavoir n'étoit point méprifable, parce que de notre hiftoire & de nos Loix il fçavoit très-bien les grandes

chofes.

M. Le Comte de Boulainvilliers & M. l'Abbé Dubos ont fait chacun un fyftème, dont l'un femble être une conjuration contre le Tiers-Etat, & l'autre une conjuration contre la Nobleffe. Lorfque le Soleil donna à Phaëton fon Char à conduire, il lui dit : Si vous montez trop haut, vous brûlerez la demeure célefte; fi vous defcendez trop bas, vous réduirez en cendres la terre: n'allez point trop à droite, vous tomberiez dans la conftellation « du Serpent; n'allez point trop à gauche, vous iriez dans celle de l'Autel: tenez-vous entre les deux (a). »

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CHAPITRE X I.

Continuation du même fujet.

E qui a donné l'idée d'un Reglement général fait dans le tems de la Conquête, c'est qu'on a vû en France un prodigieux nombre de fervitudes vers le commencement de la troifieme Race; & comme on ne s'eft pas apperçu de la progreffion continuelle qui fe fit de ces fervitudes, on a imaginé dans un tems obfcur une Loi générale qui ne fut jamais.

Dans le commencement de la premiere Race, on voit un nombre infini d'hommes libres, foit parmi les Francs, foit parmi les Romains: mais le nombre des Serfs augmenta tellement, qu'au commencement de la troifieme tous les laboureurs & prefque tous les habitans (b) des Villes fe trouverent Serfs: & au lieu que, dans le commencement de la pre

(a) Nec preme, nec fummum molire per athera currum.
Altius egreffus, cæleftia tecta cremabis ;

Inferius, terras: medio tutiffimus ibis.

Neu te dexterior tortum declinet ad Anguem,
Neve finifterior preffam rota ducat ad Aram ;
Inter utrumque tene.....

(b) Pendant que la Gaule étoit fous la domination des Romains, ils formoient des

Ovid Métamorph. Liv. H.

Corps particuliers, c'étoient ordinairement des Affranchis ou delcendans d'Affranchis. Li 2

miere

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