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le plus proche Agnat, fût mâle lui-même ou femelle, parce que les parens du coté maternel ne fuccédant point, quoiqu'une femme héritiere se mariât, les biens rentroient toûjours dans la famille dont ils étoient fortis. C'eft pour cela que l'on ne diftinguoit point dans la Loi des douze Tables, fi la perfonne (a) qui fuccédoit étoit mâle ou femelle.

Cela fit que, quoique les petits enfans par le fils fuccédaffent au grand pere, les petits enfans par la fille ne lui fuccéderent point: car, pour que les biens ne paffaffent pas dans une autre famille, les Agnats leur étoient préférés. Ainfi la fille fuccéda à fon pere, & non pas fes (b) enfans.

Ainfi, chez les premiers Romains, les femmes fuccédoient, lorfque cela s'accordoit avec la Loi de la division des terres ; & elles ne fuccédoient point, lorfque cela pouvoit la choquer.

Telles étoient les Loix des fucceffions chez les premiers Romains; & comme elles étoient une dépendance naturelle de la conftitution, & qu'elles dérivoient du partage des terres, on voit bien qu'elles n'eurent pas une origine étrangere, & ne furent point du nombre de celles que rapporterent les Députés que l'on envoya dans les villes Grecques.

Denis d'Halicarnaffe (c) nous dit que Servius - Tullius, trouvant les Loix de Romulus & de Numa fur le partage des terres abolies, il les rétablit, & en fit de nouvelles pour donner aux anciennes un nouveau poids. Ainfi on ne peut douter que les Loix dont nous venons de parler, faites en conféquence de ce partage, ne foient l'ouvrage de ces trois Législateurs de Rome.

L'ordre de fucceffion ayant été établi en conféquence d'une Loi politique, un Citoyen ne devoit pas le troubler par une volonté particuliere, c'est-à-dire que, dans les premiers tems de Rome, il ne devoit pas être permis de faire un teftament. Cependant il eût été dur qu'on eût été privé dans fes derniers momens du commerce des bienfaits.

On trouva un moyen de concilier à cet égard les Loix avec fa volonté des particuliers. Il fut permis de difpofer de ses biens dans une affemblée du Peuple; & chaque teftament fut en quelque façon un acte de la puiffance législative.

La Loi des douze Tables permit à celui qui faifoit fon teftade choisir pour fon héritier le Citoyen qu'il vouloit. La

ment,

(a) Paul, Liv. Iv. de Sent. tit. 8, §. 3. 4) Liv. Iv, pag. 276,

(b) Inftit. Liv. 111, §. 15.

çaison

raifon qui fit que les Loix Romaines reftreignirent fi fort le nombre de ceux qui pouvoient fuccéder ab inteflat, fut la Loi du partage des terres; & la raifon pourquoi elles étendirent fi fort la faculté de tefter, fut que le pere pouvant vendre (a) fes enfans, il pouvoit à plus forte raifon les priver de fes biens. C'étoient donc des effets différens, puifqu'ils couloient de principes divers; & c'eft l'efprit des Loix Romaines à cet égard.

Les anciennes Loix d'Athenes ne permirent point au Citoyen de faire de teftament. Solon (b) le permit, excepté à ceux qui avoient des enfans: & les Légiflateurs de Rome, pénétrés de l'idée de la puissance paternelle, permirent de tefter au préju dice même des enfans. Il faut avouer que les anciennes Loix d'Athenes furent plus conféquentes que les Loix de Rome. La permiffion indéfinie de tefter, accordée chez les Romains, ruina peu-à-peu la difpofition politique fur le partage des terres ; elle introduifit, plus que toute autre chofe, la funefte différence entre les richeffes & la pauvreté ; plusieurs partages furent affemblés fur une même tête; des Citoyens eurent trop, une infinité d'autres n'eurent rien. Auffi le Peuple, continuellement privé de fon partage, demanda - t'il fans ceffe une nouvelle diftribution des terres. Il la demanda dans le tems où la frugalité, la parcimonie & la pauvreté, faifoient le caractere diftinctif des Romains, comme dans les tems où leur luxe fut plus étonnant

encore.

Les teftamens étant proprement une Loi faite dans l'affemblée du Peuple, ceux qui étoient à l'armée fe trouvoient privés de la faculté de tefter. Le Peuple donna aux foldats le pouvoir (c) de faire, devant quelques-uns de leurs compagnons, les difpofitions (d) qu'ils auroient faites devant lui.

Les grandes affemblées du Peuple ne fe faifoient que deux fois l'an; d'ailleurs, le Peuple s'étoit augmenté & les affaires auffi on jugea qu'il convenoir de permettre à tous les Citoyens de faire (e) leur teftament devant quelques Citoyens Romains

(a) Denis d'Halic. prouve, par une Loi de Numa, que la Loi qui permettoit au pere de vendre fon fils trois fois étoit une Loi de Romulus, non pas des Décemvirs, Liv. II.

(b) Voy. Plutarque, vie de Solon. (c) Ce teftament, appellé in procinétu, étoit différent de celui que l'onappella militaire, qui ne fut établi que par les Conftitutions des Empereurs; leg. 1, ff. de militari Part. II.

Teftamento; ce fut une de leurs cajoleries envers les foldats.

(d) Ce teftament n'étoit point écrit, & étoit fans formalités, fine libra tabulis > comme dit Ciceron, Liv. 1, de l'Orateur.

(e) Inftit. Liv. ¡I, tit. 10, §. 1: Aulugelle, Liv. xv, ch, 27. On appella cette for me de teftament per æs & libram.

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puberes,

puberes, qui repréfentaffent le corps du Peuple; on prit cinq (e) Citoyens, devant lefquels l'héritier (b) achetoit du teftateur fa famille, c'est-à-dire, fon hérédité; un autre Citoyen portoir une balance pour en pefer le prix; car les Romains (c) n'avoient point encore de monnoie.

Il y a apparence que ces cinq Citoyens repréfentoient les cinq claffes du Peuple ; & qu'on ne comptoit pas la sixieme, compofée de gens qui n'avoient rien.

Il ne faut pas dire, avec Juftinien, que ces ventes étoient imaginaires; elles le devinrent: mais au commencement elles ne l'étoient pas. La plupart des Loix qui réglerent dans la suite les teftamens, tirent leur origine de la réalité de ces ventes; on en trouve bien la preuve dans les fragmens d'Ulpien (d). Le fourd, le muet, le prodigue, ne pouvoient point faire de teftament; le fourd, parce qu'il ne pouvoit pas entendre les paroles. de l'acheteur de la famille; le muet, parce qu'il ne pouvoit pas prononcer les termes de la nomination; le prodigue, parce que, toute geftion d'affaires lui étant interdite, il ne pouvoit pas vendre fa famille. Je paffe les autres exemples.

Les teftamens fe faisant dans l'assemblée du Peuple, ils étoient plutôt des actes du Droit politique que du Droit civil, du Droit public plutôt que du Droit privé: de-là il fuivit, que le pere ne pouvoit permettre à fon fils qui étoit dans fa puiffance, de faire

un teftament.

Chez la plupart des Peuples, les teftamens ne font pas foûmis à de plus grandes formalités que les contrats ordinaires, parce que les uns & les autres ne font que des expreffions de la volonté de celui qui contracte, qui appartiennent également au Droit privé. Mais chez les Romains, où les teftamens dérivoient du Droit public, ils eurent de plus grandes formalités (e) que les autres actes; & cela fubfifte encore aujourd'hui dans les pays de France qui fe régiffent par le Droit Romain.

Les teftamens étant, comme je l'ai dit, une Loi du Peuple,. ils devoient être faits avec la force du commandement, & par des paroles que l'on appella directes & impératives. De-là il fe forma une regle, que l'on ne pourroit donner ni tranfmettre fon hérédité que par des paroles de commandement (f): d'où il fui

(a) Ulp. tit. 10, §. 2.

(b) Theophile, Inftit. Liv. II, tit. 10. (c) Tite-Live, Liv. IV, nundum argentum fignatum erat, il parle du tems du fiége

de Veïes.

(d) Tit. 20, S. 13.
(e) Inftit. Liv. II, tit. 10, §. I.
(f) Titius foit mon héritier,

vit que l'on pouvoit bien, dans de certains cas, faire une fubftitution (a), & ordonner que l'hérédité passât à un autre héritier; mais qu'on ne pouvoit jamais faire des fidéicommis (b), c'est-àdire, charger quelqu'un, en forme de priere, de remettre à un autre l'hérédité ou une partie de l'hérédité.

Lorfque le pere n'inftituoit ni exhérédoit fon fils, le teftament étoit rompu; mais il étoit valable, quoiqu'il n'exhérédât ni inftituât fa fille. J'en vois la raifon : Quand il n'inftituoit ni exhérédoit fon fils, il faifoit tort à son petit-fils, qui auroit succédé ab inteftat à fon pere: mais en n'inftituant ni exhérédant fa fille, il ne faifoit aucun tort aux enfans de fa fille, qui n'auroient point fuccédé ab inteftat à leur mere (c), parce qu'ils n'étoient Héritiers-fiens ni Agnats.

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Les Loix des premiers Romains fur les fucceffions n'ayant pensé qu'à fuivre l'efprit du partage des terres, elles ne reftreignirent pas affez les richeffes des femmes, & laifferent par-là une porte ouverte au luxe, qui eft toûjours inféparable de ces richeffes. Entre la feconde & la troifieme guerre Punique, on commença à fentir le mal; on fit la Loi Voconienne (d); & comme de très-grandes confidérations la firent faire, qu'il ne nous en refte que peu de monumens, & qu'on n'en a jufqu'ici parlé que d'une maniere très-confufe, je vais l'éclaircir.

Ciceron nous en a confervé un fragment, qui défend d'inftituer une femme (e) héritiere, foit qu'elle fût mariée, foit qu'elle ne le fût pas.

L'Epitome de Tite - Live où il eft parlé de cette Loi, n'en dit (f) pas davantage; il paroît par Ciceron (g) & par Saint Auguftin (g), que la fille, & même la fille unique, étoient comprifes dans la prohibition.

Caton l'ancien (i) contribua de tout fon pouvoir à faire recevoir cette Loi. Aulugelle cite un fragment (k) de la harangue qu'il fit dans cette occafion. En empêchant les femmes de fucLiv. XL, il faut lire Voconius, au lieu de Volumnius.

(a) La Vulgaire, la Pupillaire, l'Exemplaire

(b) Augufte, par des raifons particulieres, commença a autori.er les Fideicommis. Inftit. Liv. II, tit. 23, in præmio.

(c) Ad liberos matris inieftatæ hæreditas, L. XII. Tab non pertinebat quia fæminæ fuos hæredes non habent; Ulp. frag. tit. 26, §. 7.

(d) Quinius Voconius,ribun du Peup. la propola; voy. Ciceron, feconde Harang. contre Verrès. Dans l'Epitom. de Tite-Live

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céder, il voulut prévenir les caufes du luxe; comme en prenant la défense de la Loi Oppienne, il voulut arrêter le luxe même. Dans les Inftituts de Juftinien (a) & de Théophile (b), on parle d'un chapitre de la Loi Voconienne qui reftreignoit la faculté de léguer. En lifant ces auteurs, il n'y a perfonne qui ne pense que ce chapitre fût fait pour éviter que la fucceffion fût tellement épuifée par des legs, que l'héritier refufât de l'accepter. Mais ce n'étoit point là l'efprit de la Loi Voconienne. Nous venons de voir qu'elle avoit pour objet d'empêcher les femmes de recevoir aucune fucceffion. Le chapitre de cette Loi qui mettoit des bornes à la faculté de léguer, entroit dans cet objet: car fi on avoit pû léguer autant que l'on auroit voulu, les femmes auroient pû recevoir comme legs ce qu'elles ne pouvoient obtenir

comme fucceffion.

La Loi Voconienne fut faite pour prévenir les trop grandes richeffes des femmes; ce fut donc des grandes fucceflions qu'il fallut les priver, & non pas de celles qui ne pouvoient entretenir le luxe. Auffi trouvons-nous dans Ciceron, que les femmes n'étoient exclues que de la fucceffion (c) de ceux dont les biens étoient dans le Cens (d).

Les guerres civiles firent périr un nombre infini de Citoyens. Rome, fous Augufte, fe trouva prefque déferte ; il falloit la repeupler. On fit les Loix Pappiennes, où l'on n'obmit rien de ce qui pouvoit encourager (e) les Citoyens à fe marier & avoir des enfans. Un des principaux moyens fut d'augmenter, pour ceux qui fe prêtoient aux vûës de la Loi, les efpérances de fuccéder, & de les diminuer pour ceux qui s'y refufoient; & -comme la Loi Voconienne avoit rendu les femmes incapables de fuccéder, la Loi Pappienne fit dans de certains cas ceffer cette prohibition.

Les femmes (f), fur-tout celles qui avoient des enfans, furent rendues capables de recevoir en vertu du teftament de leurs maris; elles purent, quand elles avoient des enfans, recevoir en vertu du teftament des étrangers; tout cela contre la difpofi tion de la Loi Voconienne : & il eft remarquable qu'on n'aban

(a).Inftitut. Liv. 111, tit. 22. (b) Ibidem.

(c) 20. Harang contre Verrès. (d) Qui cenfus effet ; ce que Dion, Liv. LVI, exp ique de celui qui a voit cent mille, c'est-à-dire, de celui qui avoit le premier

cens, comme on peut voir dans Tite-Live, Liv. I. & Denis d'Halicarnaffe.

(e) Voy. ce que j'en ai dit au Liv. xxII,

ch. 21.

(f ) Voy. fur ceci les frag. d'Ulp. tit. 15. donna

5.16.

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