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plein d'humanité. Cette Loi ou cet ufage en a produit un autre: fi un mari a perdu fa femme, il ne manque pas d'en épouser la fœur (a): & cela eft très-naturel; car la nouvelle époufe devient la mere des enfans de fa foeur, & il n'y a point d'injufte marátre.

CHAPITRE XV.

Qu'il ne faut point régler par les principes du Droit politique, les chofes qui dépendent des principes du Droit Civil.

Ce

OM ME les hommes ont renoncé à leur indépendance naturelle, pour vivre fous des Loix politiques; ils ont renoncé à la communauté naturelle des biens, pour vivre fous des Loix civiles.

Ces premieres Loix leur acquierent la liberté, les fecondes la propriété. Il ne faut pas décider par les Loix de la liberté, qui, comme nous avons dit, n'eft que l'empire de la Cité, ce qui ne doit être décidé que par les Loix qui concernent la propriété. C'est un Paralogisme, de dire que le bien particulier doit céder au bien public: cela n'a lieu que dans les cas où il s'agit de l'Empire de la Cité, c'est-à-dire de la liberté du Citoyen: cela n'a pas lieu dans ceux où il est question de la propriété des biens, parce que le bien public eft toûjours que chacun conferve invariablement la propriété que lui donnent les Loix civiles.

Ciceron foutenoit que les Loix Agraires étoient funeftes, parce que la Cité n'étoit établie que pour que chacun confervât fes

biens.

Pofons donc pour maxime que, lorfqu'il s'agit du bien public, le bien public n'eft jamais que l'on prive un particulier de fon bien ou même qu'on lui en retranche la moindre partie par une Loi ou un Reglement politique. Dans ce cas, il faut fuivre à la rigueur la Loi civile, qui eft le Palladium de la propriété.

Ainfi lorfque le Public a befoin du fonds d'un particulier, il ne faut jamais agir par la rigueur de la Loi politique: mais c'est là que doit triompher la Loi civile, qui avec des yeux de mere, regarde chaque particulier comme toute la Cité même.

Si le Magiftrat politique veut faire quelque édifice public, quel(b) Lettres édif. 146. Recueil, pag. 403.

que

que nouveau chemin, il faut qu'il indemnife; le Public eft, à cet égard, comme un particulier qui traite avec un particulier. C'est bien affez qu'il puiffe contraindre un Citoyen de lui vendre son héritage,& qu'il lui ôte ce grand privilége qu'il tient de la Loi ci vile, de ne pouvoir être forcé d'aliéner fon bien.

Après que les peuples qui détruifirent les Romains eurent abusé de leurs conquêtes mêmes, l'efprit de liberté les rappella à celui d'équité; les droits les plus barbares, il les exercerent avec modération : &, fi l'on en doutoit, il n'y auroit qu'à lire l'admirable Ouvrage de Beaumanoir, qui écrivoit fur la Jurifprudence dans le douzieme fiecle.

On raccommodoit de fon tems les grands chemins, comme on fait aujourd'hui. Il dit que, quand un grand chemin ne pouvoir être rétabli, on en faifoit un autre le plus près de l'ancien qu'il étoit poffible; mais qu'on dédommageoit les propriétaires (a) aux frais de ceux qui tiroient quelque avantage du chemin. On fe déterminoit pour lors par la Loi civile; on s'eft déterminé de nos jours par la Loi politique.

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Qu'il ne faut point décider par les regles du Droit civil quand il s'agit de décider par celles du Droit politique.

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N verra le fond de toutes les queftions, fi l'on ne confond point les regles qui dérivent de la la propriété de la Cité, avec celles qui naiffent de la liberté de la Cité.

Le Domaine d'un Etat eft-il aliénable, ou ne l'eft-il pas ? Cette queftion doit être décidée par la Loi politique, & non pas par la Loi civile. Elle ne doit pas être décidée par la Loi civile,parce qu'il eft auffi néceffaire qu'il y ait un Domaine pour faire fubfifter l'Etat, qu'il eft néceffaire qu'il y ait dans l'Etat des Loix civiles qui reglent la difpofition des Biens.

Si donc on aliene le Domaine, l'Etat fera forcé de faire un nouveau fond pour un autre Domaine. Mais cet expédient renverfe encore le Gouvernement politique, parce que, par la nature de la chofe, à chaque Domaine qu'on établira, le fujet payera (a) Le Seigneur nommoit des Prud'hom- tribution par le Comte, l'Homme d'Eglife mes pour faire la levée fur le Paysan; les par l'Evêque; Beaumanoir, ch. 22. Gentilshommes étoient contraints à la con

toûjours

toûjours plus, & le Souverain retirera toûjours moins; en un mot, le Domaine eft néceffaire & l'aliénation ne l'eft pas.

L'ordre de fucceffion eft fondé dans les Monarchies fur le bien de l'Etat, qui demande que cet ordre foit fixé, pour éviter les malheurs que j'ai dit devoir arriver dans le Defpotifme, où tout eft incertain, parce que tout y eft arbitraire.

Ce n'eft pas pour la famille régnante que l'ordre de fucceffion eft établi, mais parce qu'il eft de l'intérêt de l'Etat qu'il y ait une famille régnante. La Loi qui regle la fucceffion des particuliers, est une Loi civile, qui a pour objet l'intérêt des Particuliers; celle qui regle la fucceffion à la Monarchie, eft une Loi politique, qui a pour objet le bien & la confervation de l'Etat.

Il fuit de-là que, lorfque la Loi politique a établi dans un Etat un ordre de fucceffion, & que cet ordre vient à finir, il eft abfurde de réclamer la fucceffion en vertu de la Loi civile de quelque peuple que ce foit. Une Société particuliere ne fait point de Loix pour une autre Société, Les Loix civiles des Romains ne font pas plus appliquables, que toutes autres Loix civiles; ils ne les ont point employées eux-mêmes lorfqu'ils ont jugé les Rois : & les maximes par lefquelles ils ont jugé les Rois, font fi abominables, qu'il ne faut point les faire revivre.

Il fuit encore de-là que, lorfque la Loi politique a fait renoncer quelque famille à la fucceffion, il eft abfurde de vouloir employer les reftitutions tirées de la Loi civile. Les reftitutions font dans la Loi, & peuvent être bonnes contre ceux qui vivent dans la Loi mais elles ne font pas bonnes pour ceux qui ont été établis pour la Loi, & qui vivent pour la Loi.

Il eft ridicule de prétendre décider des Droits des Royaumes, des Nations & de l'Univers, par les mêmes maximes fur lefquelles on décide, entre particuliers, d'un droit pour une gouttiere, pour me fervir de l'expreffion de Ciceron (a).

L

CHAPITRE XVIL

Continuation dumême fujet.

'OSTRACISME doit être examiné par les regles de la Loi
politique, & non par
les regles de la Loi civile: & bien

(a) Liv, I. des Loix.

loin que cet ufage puiffe flétrir le Gouvernement populaire, il eft au contraire très-propre à en prouver la douceur: & nous aurions fenti cela, fi l'exil parmi nous étant toujours une peine, nous avions pû féparer l'idée de l'Oftracifime d'avec celle de la puniion.

Ariftote (a) nous dit, qu'il eft convenu de tout le monde que cette pratique a quelque chofe d'humain & de populaire. Si dans les tems & dans les lieux où l'on exerçoit ce jugement, on ne le trouvoit point odieux; eft-ce à nous, qui voyons les choses de si loin, de penfer autrement que les accufateurs, les Juges & l'accufé même ?

Et fi l'on fait attention que ce jugement du peuple combloit de gloire celui contre qui il étoit rendu, que lorfqu'on en eut abusé à Athenes contre un homme fans (b) mérite, on ceffa dès ce moment de (c) l'employer; on verra bien qu'on en a pris une fauffe idée, & que c'étoit une Loi admirable que celle qui prévenoit les mauvais effets que pouvoit produire la gloire d'un Citoyen, en le comblant d'une nouvelle gloire.

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Qu'il faut examiner fi les Loix qui paroiffent fe contredire, font du même ordre.

AR

ROME il fut permis au mari de prêter fa femme à un autre. Plutarque nous le (d) dit formellement : on fçait que Caton prêta fa (e) femme à Hortenfius, & Caton n'étoit point homme à violer les Loix de fon pays.

D'un autre côté, un mari qui fouffroit les débauches de fa femme, qui ne la mettoit pas en jugement, ou qui la reprenoit (f) après la condamnation, étoit puni. Ces Loix paroiffent fe contredire, & ne fe contre difent point. La Loi qui permettoit à un Romain de prêter fa femme, eft vifiblement une inftitution Lacédémonienne, établie pour donner à la République des enfans d'u

(a) Républ. Liv. 111, ch. 13.

(b) Hyperbolus; Voy. Plutarque, vie d'Ariftide.

(c) 11 fe trouva oppofé à l'efprit du Légillateur.

Part. II.

(d) Plutarque, dans fa comparaison de Lycurgue & de Numa.

(e) Plutarque, vie de Caton.

(f) Leg. 11, 5. ultim. ft. ad leg. Jul. de adulteriis.

X

ne

ne bonne efpece, fi j'ofe me fervir de ce terme : l'autre avoit pour objet de conferver les mœurs. La premiere étoit une Loi politique, la feconde une Loi civile.

CHAPITRE XI X.

Qu'il ne faut pas décider par les Loix Civiles les chofes qui doivent l'être par les Loix Domestiques.

A Loi des Wifigoths vouloit que les (a) efclaves fuffent obligés de lier l'homme & la femme qu'ils furprenoient en adultere, & de les préfenter au mari & au Juge: Loi terrible qui mettoit entre les mains de ces perfonnes viles le foin de la vengeance publique, domeftique & particuliere!

Cette Loi ne feroit bonne que dans les Serrails d'Orient, où l'Esclave, qui eft chargé de la clôture, a prévariqué fi-tôt qu'on prévarique. Il arrête les criminels, moins pour les faire juger, que pour fe faire juger lui-même, & obtenir. que l'on cherche. dans les circonftances de l'action fi l'on peut perdre le foupçon de fa négligence.

Mais dans les pays où les femmes ne font point gardées, il est infenfé que la Loi Civile les foûmette, elles qui gouvernent la maifon, à l'inquifition de leurs efclaves.

Cette inquifition pourroit être,tout au plus dans de certains cas, une Loi particuliere domestique, & jamais une Loi Civile.

CHAPITRE X X.

Qu'il ne faut pas décider par les principes des Loix Civiles les chofes qui appartiennent au Droit des Gens.

L

A liberté confifte principalement à ne pouvoir être forcé à faire une chofe que la Loi n'ordonne pas ; & on n'eft dans cet état , que parce qu'on eft gouverné par des Loix Civiles : nous fommes donc librès, parce que nous vivons fous des Loix. Civiles.

(a) Loi des Wifigoths, Liv. 111, tik. 4. 5. 6

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