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condamnée à la mort, & celle qui avoüe évite le fupplice. Ceci eft tiré des idées monaftiques, où celui qui nie paroît être dans l'impénitence & damné, & celui qui avoue femble être dans le repentir & fauvé. Mais une pareille diftinction ne peut concerner les Tribunaux humains: la Juftice humaine, qui ne voit que les actions, n'a qu'un pacte avec les hommes, qui eft celui de l'innocence; la Juftice divine, qui voit les penfées, en a deux, celui de l'innocence & du repentir.

CHAPITRE X II I.

Dans quels cas il faut fuivre, à l'égard des mariages, les Loix de la Religion; & dans quels cas il faut fuivre les Loix Civiles.

I R

Left arrivé, dans tous les pays & dans tous les tems, que la Religion s'eft mêlée des mariages. Dès que de certaines chofes ont été regardées comme impures ou illicites, & que cependant elles étoient néceffaires, il a bien fallu y appeller la Religion, pour les légitimer dans un cas, & les réprouver dans les

autres.

D'un autre côté, les mariages étant, de toutes les actions humaines, celle qui intéreffe le plus la Société, il a bien fallu qu'ils fuffent réglés par les Loix civiles.

Tout ce qui regarde le caractere du mariage, fa forme, la maniere de le contracter, la fécondité qu'il procure, qui a fait comprendre à tous les Peuples qu'il étoit l'objet d'une bénédiction particuliere, qui n'y étant pas toûjours attachée dépendoit de certaines graces fupérieures; tout cela eft du reffort de la Religion.

Les conféquences de cette union par rapport aux biens, les avantages réciproques, tout ce qui a du rapport à la famille nouvelle, à celle dont elle eft fortie, à celle qui doit naître; tout cela regarde les Loix civiles.

Comme un des grands objets du mariage eft d'ôter toutes les incertitudes des conjonctions illégitimes, la Religion y imprime fon caractere; & les Loix civiles y joignent le leur, afin qu'il ait toute l'authenticité poffible. Ainfi, outre les conditions que demande la Religion pour que le mariage foit valide, les Loix civiPart, II.

V

les

les en peuvent encore exiger d'autres.

Ce qui fait que les Loix civiles ont ce pouvoir, c'eft que ce font des caracteres ajoutés, & non pas des caracteres contradictoires. La Loi de la Religion veut de certaines cérémonies, &· les Loix civiles veulent le confentement des peres; elles demandent en cela quelque chofe de plus, mais elles ne demandent rien qui foit contraire.

Il fuit de-là que c'est à la Loi de la Religion à décider si le lien fera indiffoluble, ou non: car fi les Loix de la Religion avoient établi le lien indiffoluble, & que les Loix civiles euffent réglé qu'il fe peut rompre, ce feroient deux chofes contradictoires.

Quelquefois les caracteres imprimés au mariage par les Loix: civiles, ne font pas d'une abfolue néceffité; tels font ceux qui font établis par les Loix, qui, au lieu de caffer le mariage, fe font contentés de punir ceux qui le contractoient.

Chez les Romains, les Loix Pappiennes déclarerent injuftes les mariages qu'elles prohiboient, & les foûmirent feulement à des peines (a); & le Sénatus-confulte rendu fur le difcours de l'Empereur Marc-Antonin, les déclara nuls; il n'y eut plus (b) de mariage, de femme, de dot, de mari. La Loi civile fe dé termine felon les circonftances: quelquefois elle eft plus attentive à réparer le mal, quelquefois à le prévenir.

CHAPITRE XV.

Dans quel cas, dans les Mariages entre parens, il faut fe régler par les Loix de la Nature, & dans quel cas on doit fe régler par les Loix Civiles.

EN

N fait de prohibition de mariage entre parens, c'eft une chofe très-délicate de bien pofer le point auquel les Loix de la nature s'arrêtent, & où les Loix civiles commencent. Pour cela, il faut établir des principes.

Le mariage du fils avec la mere confond l'état des chofes : le fils doit un respect fans bornes à fa mere, la femme doit un refpect fans bornes à fon mari; le mariage d'une mere avec son fils

(a) Voy. ce que j'ai dit ci-deffus au ch. a1, du Liv. des Loix dans le rapport qu'elles ont avec le nombre des Habitans.

(b) Voy. La Loi 16, ff. de Rita Nuptiar. & la Loi 3, §. 1, au au Digest, de Donationibus inter virum & uxorem.

renverferoit

renverferoit dans l'un & dans l'autre leur état naturel.

Il y a plus ; la nature a avancé dans la femme le tems où elle peut avoir des enfans; elle l'a reculé dans l'homme; &, par la même raison, la femme ceffe plutôt d'avoir cette faculté, & l'homme plus tard. Si le mariage entre la mere & le fils étoit permis, il arriveroit prefque toûjours que, lorfque le mari feroit capable d'entrer dans les vûes de la nature, la femme n'y feroit plus.

Le mariage entre le pere & la fille répugne à la nature, comme le précédent ; mais il répugne moins, parce qu'il n'a pas ces deux obftacles. Aufli les Tartares, qui peuvent époufer leurs filles (a), n'époufent-ils jamais leurs meres, comme nous le voyons dans les Relations (b).

Il a toûjours été naturel aux peres de veiller fur la pudeur de leurs enfans. Chargés du foin de les établir, ils ont dû leur conferver, & le corps le plus parfait, & l'ame la moins corrompue, tout ce qui peut mieux infpirer des defirs, & tout ce qui eft le plus propre à donner de la tendreffe. Des peres, toûjours occupés à conferver les mœurs de leurs enfans, ont dû avoir un éloignement naturel pour tout ce qui pourroit les corrompre. Le mariage n'eft point une corruption, dira t'on: mais, avant le mariage, il faut parler, il faut fe faire aimer, il faut féduire ; c'eft cette féduction qui a dû faire horreur.

Il a donc fallu une barriere infurmontable entre ceux qui devoient donner l'éducation, & ceux qui devoient la recevoir; & éviter toute forte de corruption, même pour cause légitime. Pourquoi les peres privent-ils fi foigneufement ceux qui doivent époufer leurs filles de leur compagnie & de leur familiarité?

L'horreur pour l'incefte du frere avec la fœur a dû partir de la même fource. Il fuffit que les peres & les meres aient voulu conferver les mœurs de leurs enfans & leurs maifons pures, pour avoir infpiré à leurs enfans de l'horreur pour tout ce qui pou voit les porter à l'union des deux sexes.

La prohibition du mariage entre coufins germains a la même origine. Dans les premiers tems, c'eft-à-dire, dans les tems faints, dans les âges où le luxe n'étoit point connu, tous les (c)

(a) Cette Loi eft bien ancienne parmi eux Attila, dit Prifcus dans fon Ambalfade, s'arréta dans un certain lieu pour épouler Efca la fille; chofe permife, dit-il, par les

Loix des Scythes, pag. 22.

(b) Aift. des Tartares, part. 3, P. 236.
(c) Cela fut ainfi chez les prem. Romains.

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enfans

enfans reftoient dans la maison, & s'y établissoient : c'est qu'il ne falloit qu'une maison très-petite pour une grande famille. Les enfans (a) des deux freres, ou les coufins germains, étoient regardés & fe regardoient entr'eux comme freres. L'éloignement qui étoit entre les freres & les foeurs pour le mariage, étoit donc (b) auffi entre les coufins germains.

Ces caufes font fi fortes & fi naturelles, qu'elles ont agi pref que par toute la terre, indépendamment d'aucune communication. Ce ne font point les Romains qui ont appris aux habitans de (c) Formofe, que le mariage avec leurs parens au quatrieme degré étoit inceftueux ; ce ne font point les Romains qui l'ont dit aux Arabes (d); ils ne l'ont point enfeigné aux Maldives (e). Que fi quelques Peuples n'ont point rejetté les mariages entre les peres & les enfans, les foeurs & les freres, on a vû, dans le Livre premier, que les Etres intelligens ne fuivent pas, toûjours leurs Loix. Qui le diroit ! des idées religieufes ont fouvent fait tomber les hommes dans ces égaremens. Si les Affyriens, files Perfes ont épousé leurs meres, les premiers l'ont fait par un refpect religieux pour Semiramis, & les feconds parce que la Religion de Zoroastre donnoit la préférence (f) à ces mariages. Si les Egyptiens ont époufé leurs foeurs, ce fut encore un délire de la Religion Egyptienne, qui confacra ces mariages en l'honneur d'Ifis. Comme l'efprit de la Religion eft de nous porter à faire avec effort des chofes grandes & difficiles, il ne faut pas juger qu'une chofe foit naturelle, parce qu'une Religion fauffe l'a confacrée.

Le principe que les mariages entre les peres & les enfans, les freres & les foeurs, font défendus pour la confervation de la pudeur naturelle dans la maifon, fervira à nous faire découvrir quels font les mariages défendus par la Loi naturelle, & ceux qui ne peuvent l'être que par la Loi civile.

Comme les enfans habitent, ou font cenfés habiter dans la maifon de leur pere, & par conféquent le beau-fils avec la belle

(a) En effet, chez les Romains, ils avoien le meme nom ; les coufins-germains étoient nommés freres.

(b) ils e furent à Rome dans les premiers tems, ju qu'à ce que le Peuple fit une Loi pour les permettre;'il vouloit favoriler un homme extrémement populaire, & qui s'etoit marié avec la coufine germaine: Plutarque au Traite des Demandes des chofes Rom.

(c) Recueil des voyages des Indes. Tom. V, part. 1; Relation de Fétat de l'Ifle de Formole.

(d) L'Alcoran, ch. des Femmes. (e) Voy. François Pyrard.

tf) is étoient regardés comme plus honorables; Vey. Philon, de fpecialibus legib. que pertinent ad præcepta Decalogi. Paris > 1640, pag. 778.

mere

mere, le beau-pere avec la belle-fille ou avec la fille de fa femme; le mariage entr'eux eft défendu par la Loi de la nature. Dans ce cas, l'image a le même effet que la réalité, parce qu'il a la même cause la Loi civile ne peut ni ne doit permettre ces mariages.

Il y a des Peuples, comme nous avons dit, chez lefquels les coufins germains font regardés comme freres, parce qu'ils habitent ordinairement dans la même maison; il y en a où on ne connoît guere cet ufage. Chez ces premiers Peuples, le mariage entre coufins germains doit être regardé comme contraire à la nature; chez les autres, non. Mais les Loix de la nature ne peuvent être des Loix locales. Ainfi, quand ces mariages font défendus ou permis, ils font, felon les circonftances, permis ou défendus par une Loi civile.

pas

Il n'eft point d'un ufage néceffaire que le beau-frere & la bellefoeur habitent dans la même maifon. Le mariage n'est donc défendu entr'eux pour conferver la pudicité dans la maison ; & la Loi qui le défend ou le permet, n'eft point la Loi de la natu re, mais une Loi civile, qui fe regle fur les circonftances & dépend des ufages de chaque pays : ce font des cas, où les Loix dépendent des moeurs ou des manieres.

Les Loix civiles défendent les mariages, lorfque, par des ufages reçus dans un certain pays, ils fe trouvent être dans les mêmes circonftances que ceux qui font défendus par les Loix de la Nature; & elles les permettent lorfque les mariages ne fe trouvent point dans ce cas. La défenfe des Loix de la Nature eft invariable, parce qu'elle dépend d'une chose invariable; le pere, la mere & les enfans habitant néceffairement dans la maison. Mais les défenfes des Loix civiles font accidentelles, parce qu'elles dépendent d'une circonftance accidentelle; les coufins germains & autres habitant accidentellement dans la maifon.

Cela explique comment les Loix de Moyfe, celles des Egyptiens (a), & de plufieurs autres peuples, permettent le maria ge entre le beau-frere & la belle-foeur, pendant que ces mêmes mariages font défendus chez d'autres nations.

Aux Indes, on a une raison bien naturelle d'admettre ces for tes de mariages. L'oncle y eft regardé comme pere, & il est obligé d'entretenir & d'établir les neveux, comme fi c'étoient ses propres enfans: ceci vient du caractere de ce Peuple, qui eft bon & (a) Voy. la Loi v111, au Cod. de Inceflis & inutilibus Nuptiis. V 3

plein

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