Page images
PDF
EPUB

L

CHAPITRE I I.

Du motif d'attachement pour les diverfes Religions.

Es diverfes Religions du monde ne donnent pas à ceux qui les profeffent des motifs égaux d'attachement pour elles : cela dépend beaucoup de la maniere dont elles fe concilient avec la façon de penfer & de fentir des hommes.

Nous fommes extrèmement portés à l'Idolatrie, & cependant nous ne fommes pas fort attachés aux Religions idolatres; nous ne fommes gueres portés aux idées fpirituelles, & cependant nous fommes très-attachés aux Religions qui nous font adorer un Etre fpirituel. Cela vient de la fatisfaction que nous trouvons en nousmêmes, d'avoir été affez intelligens pour avoir choisi une Religion qui tire la Divinité de l'humiliation où les autres l'avoient mife. Nous regardons l'Idolatrie comme la Religion des peuples groffiers; & la Religion qui a pour objet un Etre fpirituel, comme celle des peuples éclairés.

Quand, avec l'idée d'un Etre fpirituel fuprème, qui forme le Dogme, nous pouvons joindre encore des idées fenfibles qui entrent dans le Culte, cela nous donne un grand attachement pour la Religion, parce que les motifs dont nous venons de parler fe trouvent joints à notre penchant naturel pour les chofes fenfibles. Auffi les Catholiques, qui ont plus de cette forte de culte que les Proteftans, font-ils plus invinciblement attachés à leur (a) Religion que les Proteftans ne le font à la leur.

Lorfque (b) le peuple d'Ephefe eut appris que les Peres du Concile avoient décidé qu'on pouvoit appeller la Vierge Mere de Dieu, il fut tranfporté de joie, il baifoit les mains des Evêques, il embraffoit leurs genoux, tout retentiffoit d'acclamations.

Quand une Religion intellectuelle nous donne encore l'idée d'un choix fait par la Divinité, & d'une diftinction de ceux qui la profeffent d'avec ceux qui ne la profeffent pas, cela nous attache beaucoup à cette Religion. Les Mahométans ne feroient pas fi bons Mufulmans, fi d'un côté il n'y avoit pas des peuples IdoJatres, qui leur font penfer qu'ils font les vengeurs de l'Unité de (4) Ils font plus zélés pour fa propagation. (b) Lettre de St Cyrille.

Dieu, & de l'autre des Chrétiens pour leur faire croire qu'ils font l'objet de fes préférences.

:

Une Religion chargée de beaucoup (a) de pratiques, attache plus à elle qu'une autre qui l'eft moins on tient beaucoup aux chofes dont on eft continuellement occupé; témoin l'obstination ténace des (b) Mahometans & des Juifs, & la facilité qu'ont de changer de Religion les peuples barbares & fauvages, qui, uniquement occupés de la chaffe ou de la guerre, ne fe chargent guere de pratiques religieufes.

Les hommes font extrèmement portés à espérer & à craindre; & une Religion qui n'auroit ni Enfer ni Paradis, ne fçauroit guere leur plaire. Cela fe prouve par la facilité qu'ont eue les Religions étrangeres à s'établir au Japon, & le zele & l'amour avec lefquels on les y a reçues (c).

Pour qu'une Religion attache, il faut qu'elle ait une morale pure. Les hommes, fripons en détail, font en gros de très-honnêtes gens, ils aiment la Morale; & fi je ne traitois pas un fujet fi grave, je dirois que cela fe voit admirablement bien fur les Théatres: on eft für de plaire au peuple par les fentimens que la Morale avoue ; & on eft für de le choquer par ceux qu'elle réprouve.

Lorfque le Culte extérieur a une grande magnificence,cela nous flate & nous donne beaucoup d'attachement pour la Religion. Les richesses des Temples & celles du Clergé, nous affectent beaucoup. Ainfi la mifere même des peuples, eft un motif qui les attache à cette Religion, qui a fervi de prétexte à ceux qui ont caufé leur mifere.

P

CHAPITRE III.
Des Temples.

RESQUE tous les peuples policés habitent dans des maifons. De-là eft venue naturellement l'idée de bâtir à Dicu une Maison, où ils puiffent l'adorer & l'aller chercher dans leurs craintes ou leurs efpérances.

(a) Ceci n'eft point contradictoire avec ce que j'ai dit au chapitre pénultieme du Livre précédent; ici je parle des motifs d'attachement pour une Religion,& là des moyens de la rendre plus générale.

(6) Cela fe remarque par toute la terre. Voy. fur les Turcs les Millions du Levant, le Recueil des Voyages qui ont fervi à l'étaPart. II.

bliffement de la Compagnie des Inles
Tom III, parti Ie pag. 201. furles Mau
res de Batavia; & le P. Labat, lur les Ne-
gres
Mahométans, &c.

"

(c) La Religion Chrétienne & les Reliligions des Indes ; celles-ci ont un Enfer & un Paradis, au lieu que la Religion des Sintos n'en a point. En

R

En effet, rien n'eft plus confolant pour les hommes, qu'un lieu où ils trouvent la Divinité plus préfente, & où tous ensemble ils font parler leurs foibleffes & leurs miferes.

Mais cette idée fi naturelle ne vient qu'aux peuples qui cultivent les terres ; & on ne verra point bâtir de Temple chez ceux qui n'ont pas de maison eux-mêmes.

C'eft ce qui fit que Gengiskan marqua un fi grand mépris pour les Mofquées (a). Ce Prince (b)interrogea les Mahometans, il approuva tous leurs dogmes, excepté celui qui porte la néceffité d'aller à la Mecque; il ne pouvoit comprendre qu'on ne pût pas adorer Dieu partout: les Tartares n'habitant point de maisons, ne connoiffoient point de temples.

Les peuples qui n'ont point de temples, ont peu d'attachement pour leur Religion : voilà pourquoi les Tartares ont été de tous tems fi tolérans (c), pourquoi les peuples barbares qui conquirent l'Empire Romain ne balancerent pas un moment à embraffer le Chriftianifme, pourquoi les Sauvages de l'Amérique font fi peu attachés à leur propre Religion, pourquoi depuis que nos Miffionnaires leur ont fait bâtir au Paragay des Eglifes, ils font fi fort zélés pour la nôtre.

Comme la Divinité eft le refuge des malheureux, & qu'il n'y a pas de gens plus malheureux que les criminels, on a été naturellement porté à penfer que les Temples étoient un Afyle pour eux; & cette idée parut encore plus naturelle chez les Grecs, où les meurtriers, chaffés de leur ville & de la présence des hommes, fembloient n'avoir plus de maifons que les Temples, ni d'autres protecteurs que les Dieux..

Ceci ne regarda d'abord que les homicides involontaires: mais lorfqu'on y comprit les grands criminels, on tomba dans une contradiction groffiere: s'ils avoient offenfé les hommes, ils avoient à plus forte raison offenfé les Dieux.

Ces Afyles fe multiplierent dans la Grece: les Temples, dit (d) Tacite, étoient remplis de débiteurs infolvables & d'efclaves. méchans les Magiftrars avoient de la peine à exercer la Police; le peuple protégeoit les crimes des hommes, comme les cérémonies des Dieux; le Sénat fut obligé d'en retrancher un grand nombre.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

Les Loix de Moise furent très-fages. Les homicides involontaires étoient innocens, mais ils devoient être ôtés de devant les yeux des parens du mort: il établit donc un Afyle (a) pour eux. Les grands criminels ne méritent point d'Afyle, ils n'en eurent (b) pas; les Juifs n'avoient qu'un Tabernacle portatif, & qui changeoit continuellement de lieu; cela excluoit l'idée d'Afyle. Il eft vrai qu'ils devoient avoir un Temple: mais les criminels, qui y feroient venus de toutes parts, auroient pu troubler le Service Divin. Si les homicides avoient été chaffés hors du pays, comme ils le furent chez les Grecs, il eût été à craindre qu'ils n'adoraffent des Dieux étrangers. Toutes ces confidérations firent établir des Villes d'Afyle, où l'on devoit refter jufqu'à la mort du Souverain Pontife.

L

CHAPITRE IV.

Des Miniftres de la Religion.

Es premiers hommes, dit Porphyre, ne facrifioient que de l'herbe. Pour un culte fi fimple, chacun pouvoit être Pontife dans fa famille.

Le defir naturel de plaire à la Divinité, multiplia les cérémonies: ce qui fit que les hommes, occupés à l'Agriculture, devinrent incapables de les exécuter toutes & d'en remplir les détails.

On confacra aux Dieux des lieux particuliers; il fallut qu'il y eût des Miniftres pour en prendre foin, comme chaque Citoyen prend foin de fa maifon & de fes affaires domeftiques. Auffi les Peuples qui n'ont point de Prêtres, font-ils ordinairement barbares. Tels étoient autrefois les Pédaliens (b), tels font encore les Wolgusky (d).

Des gens confacrés à la Divinité devoient être honorés, furtout chez les Peuples qui s'étoient formé une certaine idée d'une pureté corporelle, néceffaire pour approcher des lieux les plus agréables aux Dieux, & dépendante de certaines pratiques.

(a) Nomb. ch. 35. (b) Ibidem. (c) Lilius Giraldus, p. 726.

(d) Peuples de la Sibérie. Voy. la Relat,

de M. Everard Isbrands-Ides, dans le Recueil des Voyag. du Nord, Tom. VIII.

Le culte des Dieux demandant une attention continuelle, la plupart des Peuples furent portés à faire du Clergé un corps féparé. Ainfi, chez les Egyptiens, les Juifs & les Perfes (a), on confacra à la Divinité de certaines familles, qui fe perpétuoient, & faifoient le fervice. Il y eut même des Religions où l'on ne penfa pas feulement à éloigner les Eccléfiaftiques des affaires mais encore à leur ôter l'embarras d'une famille : & c'est la pratique de la principale branche de la Loi Chrétienne.

Je ne parlerai point ici, des conféquences de la Loi du célibat : on fent qu'elle pourroit devenir nuifible, à proportion que le Corps du Clergé feroit trop étendu, & que par conféquent celui des Laïques ne le feroit pas affez.

Par la nature de l'entendement humain, nous aimons en fait de Religion tout ce qui fuppofe un effort, comme en matiere. de Morale nous aimons fpéculativement tout ce qui porte le caractere de la févérité. Le célibat a été plus agréable aux Peuples à qui il fembloit convenir le moins, & pour lefquels il pouvoit avoir de plus fâcheufes fuites. Dans les pays du midi de l'Europe, où, par la nature du climat, la Loi du célibat eft plus difficile à obferver, elle a été retenue; dans ceux du Nord, où les paffions font moins vives, elle a été profcrite. Il y a plus, dans les pays où il y a peu d'habitans, elle a été admife; dans ceux où il y en a beaucoup, on l'a rejettée. On fent que toutes ces réflexions ne portent que· fur la trop grande extension du célibat, & non fur le célibat même.

CHAPITRE V.

Des bornes que les Loix doivent mettre aux richesses du

L

Clergé

Es familles particulieres peuvent périr: ainfi les biens n'y ont point une deftination perpétuelle. Le Clergé eft une famille qui ne peut pas périr: les biens y font donc attachés pour toûjours, & n'en peuvent pas fortir.

Les familles particulieres peuvent s'augmenter il faut donc

(a) Voy. M. Hyde.

:

que

« PreviousContinue »