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CHAPITRE VII.

Des Loix de perfection dans la Religion.

Es Loix humaines, faites pour parler à l'efprit, doivent donner des préceptes, & point de confeils : la Religion, faite pour parler au cœur, doit donner beaucoup de confeils, & peu de préceptes.

Quand, par exemple, elle donne des regles, non pas pour le bien, mais pour le meilleur ; non pas pour ce qui eft bon, mais pour ce qui eft parfait; il eft convenable que ce foient des confeils, & non pas des loix : car la perfection ne regarde pas l'univerfalité des hommes, ni des choses. De plus, fi ce font des loix, il en faudra une infinité d'autres pour faire obferver les premieres. Le célibat fut un confeil du Chriftianifme: lorfqu'on en fit une loi pour un certain Ordre de gens, il en fallut chaque jour de nouvelles (a) pour réduire les hommes à l'obfervation de celle-ci. Le Légiflateur fe fatigua, il fatigua la Société, pour faire exécu ter aux hommes par précepte ce que ceux qui aiment la perfection auroient exécuté comme confeil.

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CHAPITRE VII I.

De l'accord des Loix de la Morale avec celles
de la Religion.

ANS un pays où l'on a le malheur d'avoir une Religion que Dieu n'a pas donnée, il est toûjours néceffaire qu'elle s'accorde avec la Morale; parce que la Religion, même fauffe, eft le meilleur garant que les hommes puiffent avoir de la probité des

hommes.

Les points principaux de la Religion de ceux du Pégu (b), font de ne point tuer, de ne point voler, d'éviter l'impudicité de ne faire aucun déplaifir à fon prochain, de lui faire au con

(a) Voy. la Biblioth. des Auteurs Eccl. du Vie. Siecle, Tom. V. par M. Dupin. (b) Recueil des Voyages qui ont fervi à Part. II.

l'établiffement de la Compagnie des Indes, Tome III, part. I, pag. 63.

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traire

traire tout le bien qu'on peut. Avec cela ils croyent qu'on fe fauvera dans quelque Religion que ce foit; ce qui fait que ces peuples, quoique fiers & pauvres, ont de la douceur & de la compaffion pour les malheureux.

CHAPITRE IX.

• Des Efféens.

Es Efféens (a) faifoient vou d'observer la juftice envers les hommes, de ne faire de mal à perfonne, même pour obéir, de haïr les injuftes, de garder la foi à tout le monde, de commander avec modeftie, de prendre toûjours le parti de la vérité, de fuir tout gain illicite.

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CHAPITRE X.

De la Secte Stoïque..

Es diverfes Sectes de Philofophie chez les anciens, étoient des efpeces de Religion. Il n'y en a jamais eu dont les principes fuffent plus dignes de l'Homme & plus propres à former des gens de bien, que celle des Stoïciens; & fi je pouvois un moment ceffer de penfer que je fuis Chrétien, je ne pourrois m'empêcher de mettre la deftruction de la Secte de Zénon au nombre des malheurs du genre humain.

Elle n'outroit que les chofes dans lefquelles il y a de la grandeur, le mépris des plaifirs & de la douleur.

Elle feule fçavoit faire les Citoyens, elle feule faifoit les grands hommes, elle feule faifoit les grands Empereurs.

Faites pour un moment abftraction des Vérités révélées; cherchez dans toute la Nature, & vous n'y trouverez pas de plus grand objet que les Antonins; Julien même, Julien, (un fuffrage ainfi arraché ne me rendra point complice de fon apoftafie) non,

(a) Hiftoire des Juifs par Prideaux.

il n'y a point eu après lui de Prince plus digne de gouverner les

hommes.

Pendant que les Stoïciens regardoient comme une chofe vaine les richeffes, les grandeurs humaines, la douleur, les chagrins, les plaisirs ; ils n'étoient occupés qu'à travailler au bonheur des hommes, à exercer les devoirs de la Société ; il fembloit qu'ils regardaffent cet Efprit facré qu'ils croyoient être en euxmêmes, comme une espece de Providence favorable qui veilloit fur le genre-humain.

:

Nés pour la Société, ils croyoient tous que leur deftin étoit de travailler pour elle d'autant moins à charge, que leurs récompenfes étoient toutes dans eux-mêmes ; qu'heureux par leur Philofophie feule, il fembloit que le feul bonheur des autres pût augmenter le leur.

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CHAPITRE X I.

De la Contemplation.

Es hommes étant faits pour fe conferver, pour fe nourrir, pour fe vêtir, & faire toutes les actions de la Société, la Religion ne doit pas leur donner une vie trop contemplative (a). Les Mahométans deviennent fpéculatifs par habitude; ils prient cinq fois le jour, & chaque fois il faut qu'ils faffent un acte par lequel ils jettent derriere leur dos tout ce qui appartient à ce monde: cela les forme à la spéculation. Ajoutez à cela cette indifférence pour toutes chofes, que donne le dogme d'un Deftin rigide.

Si d'ailleurs d'autres caufes concourent à leur infpirer le détachement, comme fi la dureté du Gouvernement, fi les Loix concernant la propriété des terres, donnent un efprit précaire; tout est perdu.

La Religion des Guebres rendit autrefois le Royaume de Perfe floriffant, elle corrigea les mauvais effets du Defpotifme: la Religion Mahométane détruit aujourd'hui ce même Empire.

( a ) C'est l'inconvénient de la Doctrine de Foë & de Laockium.

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Left bon

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CHAPITRE XII.

Des Pénitences.

que les Pénitences foient jointes avec l'idée de travail, non avec l'idée d'oifiveté; avec l'idée du bien, non avec l'idée de l'extraordinaire; avec l'idée de frugalité, non avec l'idée d'avarice.

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CHAPITRE XI I I.

Des Crimes inexpiables

L paroît, par un paffage des Livres des Pontifes rapporté par Ciceron (a), qu'il y avoit chez les Romains des crimes (b) inexpiables; & c'est lå-deffus que Zozyme fonde le récit fi propre à envenimer les motifs de la converfion de Conftantin, & Julien cette raillerie amere qu'il fait de cette même conversion dans fes Céfars.

La Religion Payenne, qui ne défendoit que quelques crimes groffiers, qui arrêtoit la main, & abandonnoit le cœur, pouvoit avoir des crimes inexpiables: mais une Religion qui enveloppe toutes les paffions; qui n'eft pas plus jaloufe des actions - que des defirs & des pensées; qui ne nous tient point attachés par quelques chaînes, mais par un nombre innombrable de fils; qui laiffe derriere elle la juftice humaine, & commence une autre Juftice; qui eft faite pour mener fans ceffe du repentir à l'amour, & de l'amour au repentir; qui met entre le Juge & le Criminel un grand Médiateur, entre le Jufte & le Médiateur un grand Juge; une telle Religion ne doit point avoir de crimes inexpiables. Mais quoiqu'elle donne des craintes & des espérances à tous, elle fait affez fentir que, s'il n'y a point de crime qui par fa nature foit inexpiable, toute une vie peut l'être'; qu'il feroit très-dangereux de tourmenter la Miféricorde par de

(a) Liv. II, des Loix.

piari poterit, impiè commissum eft; quod ex(b) Sacrum commiffum, quod neque ex piari poterit publici Sacerdotes expianto.

nouveaux

nouveaux crimes & de nouvelles expiations; qu'inquiets fur les anciennes dettes, jamais quittes envers le Seigneur, nous devons craindre d'en contracter de nouvelles, de combler la mefure, & d'aller jufqu'au terme où la Bonté paternelle finit.

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Comment la force de la Religion s'applique à celle des
Loix Civiles.

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OM ME la Religion & les Loix Civiles doivent tendre principalement à rendre les hommes bons Citoyens, on voit que, lorsqu'une des deux s'écartera de ce but, l'autre y doit tendre davantage : moins la Religion fera réprimante, plus les Loix Civiles doivent réprimer.

Ainfi au Japon la Religion dominante n'ayant prefque point de dogmes, & ne propofant point de Paradis ni d'Enfer, les Loix, pour y fuppléer, ont été faites avec une févérité & exécutées avec une ponctualité extraordinaires.

Lorfque la Religion établit le dogme de la Néceffité des actions humaines, les peines des Loix doivent être plus féveres & la Police plus vigilante; pour que les hommes, qui fans cela s'abandonneroient eux-mêmes, foient déterminés par ces motifs : mais fi la Religion établit le dogme de la Liberté, c'eft autre: chofe.

De la pareffe de l'ame, naît le dogme de la Prédestination? Mahométane; & du dogme de cette Prédestination, naît la pareffe de l'ame. On a dit, Cela eft dans les Decrets de Dieu, il faut donc refter en repos. Dans un cas pareil, on doit exciter par les Loix les hommes endormis dans là Religion.

Lorfque la Religion condamne des chofes que les Loix Civiles doivent permettre, il eft dangereux que les Loix Civiles ne permettent de leur côté ce que la Religion doit condamner; une de ces chofes marquant toûjours un défaut d'harmonie & de jufteffe dans les idées, qui fe répand fur l'autre.

Ainfi les Tartares (a) de Gengiskan, chez léfquels c'étoit un

(a) Voyez la Relation de Frere Jean le Pape Innocent Quatre, en l'année Duplan Carpin, envoyé en Tartarie par 1246,

péché

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