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Platon (a) ne peut fouffrir cette vénalité. « C'eft, dit-il, comme fi dans un Navire on faifoit quelqu'un Pilote ou Matelot pour fon argent. Seroit-il poffible que la regle fut mauvaise dans quelqu'autre emploi que ce fut de la vie, & bonne feulement conduire une République»? Mais Platon parle d'une République fondée fur la vertu, & nous parlons d'une Monarchie. Or dans une Monarchie où, quand les charges ne fe vendroient pas par un reglement public, l'indigence & l'avidité des Courtifans les vendroient tout de même; le hazard donnera de meilleurs fujets que le choix du Prince. Enfin la maniere de s'avancer par les richesses infpire & entretient l'induftrie (b); chofe dont cette espece de Gouvernement a grand befoin.

CINQUIEME QUESTION. Dans quel Gouvernement faut-il des Cenfeurs? Il en faut dans une République, où le principe du Gouvernement eft la vertu. Ce ne font pas feulement les crimes qui détruifent la vertu, mais encore les négligences, les fautes, une certaine tiédeur dans l'amour de la Patrie, des exemples dangereux, des femences de corruption, ce qui ne choque point les Loix, mais les élude, ce qui ne les détruit pas, mais les affoiblit; tout cela doit être corrigé par les Cenfeurs.

On eft étonné de la punition de cet Areopagite, qui avoit tué un moineau, qui, pourfuivi par un épervier, s'étoit réfugié dans fon fein. On eft furpris que l'Aréopage ait fait mourir un enfant qui avoit crevé les yeux à fon oifeau. Qu'on faffe attention qu'il ne s'agit point là d'une condamnation pour crime, mais d'un jugement de moeurs dans une République fondée fur les mœurs.

Dans les Monarchies il ne faut point de Cenfeurs; elles font fondées fur l'honneur, & la nature de l'honneur eft d'avoir pour cenfeur tout l'Univers. Tout homme qui y manque, eft foûmis. aux reproches de ceux-mêmes qui n'en ont point.

Là les Cenfeurs feroient gâtés par ceux-mêmes qu'ils devroient corriger ils ne feroient pas bons contre la corruption d'une Monarchie; mais la corruption d'une Monarchie feroit trop forte

contre eux...

On fent bien qu'il ne faut point de Cenfeurs dans les Gouver nemens defpotiques. L'exemple de la Chine femble déroger à cette regle; mais nous verrons dans la fuite de cet ouvrage les raifons fingulieres de cet établissement.

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Conféquences des principes des divers Gouvernemens par rapport à la fimplicité des Loix Civiles&Criminelles, la forme des Jugemens &l'établissement des peines.

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20.

CHAPITRE PREMIER.

Popa De la fimplicité des Loix Civiles dans les divers
Gouvernemens.

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El Gouvernement Monarchique ne comporte pas des Loix auffi fimples que le defpotique; il y faut des Tribunaux. Ces: Tribunaux donnent des décifions; elles doivent être confervées,. elles doivent être apprifes pourque l'on y juge aujourd'hui comme lon jugea hier, & que la propriété & la vie des Citoyens y foient affurées & fixes comme la Conftitution même de l'Etat. i

Dans une Monarchie, l'adminiftration d'une Juftice qui ne décide pas feulement de la vie & des biens, mais auffi de l'honneur, demande des recherches fcrupuleufes. La délicateffe du: Juge augmente à mefure qu'il a un plus grand dépôt, & qu'il prononce fur de plus grands intérêts..

Il ne faut donc pas être étonné de trouver dans les Loix de ces Etats tant de regles, de reftrictions, d'extenfions qui multiplient les cas particuliers & femblent faire un Art de la raifon même.

La différence de rang, d'origine, de condition, qui eft établie dans le Gouvernement Monarchique, entraîne fouvent des dif tinctions dans la nature des biens; & des Loix relatives à la conftitution de cet Etat peuvent augmenter le nombre de ces diftinctions. Ainfi parmi nous les biens font propres, acquêrs ou conquêts, dotaux, paraphernaux, paternels & maternels; nieubles de plufieurs efpeces; libres, fubftitués, du lignage ou non, Nobles en franc-aleu, ou roturiers, rentes foncieres, ou conftituées à prix d'argent. Chaque forte de biens eft foûmife à des

RAVI

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regles

regles particulieres; il faut les fuivre pour en difpofer: ce qui ôte encore de la fimplicité.

Dans nos Gouvernemens, les fiefs font devenus héréditaires. Il a fallu que la Noblefle eût une certaine confiftence, afin que le propriétaire du fief fût en état de fervir le Prince. Cela a dû produire tien des variétés; par exemple, il y a des païs où l'on n'a pu partager les fiefs entre les freres ; dans d'autres les cadets ont pu avoir leur fubfiftance avec plus d'étendue.

Le Monarque qui connoît chacune de fes Provinces peut établir 'diverfes Loix, ou fouffrir différentes Coûtumes. Mais le defpote ne connoît rien, & ne peut avoir d'attention fur rien; il lui faut une allure générale; il gouverne par une volonté rigide qui eft partout la même; tout s'applanit fous fes piés.

A mefure que les Jugemens des Tribunaux fe multiplient dans les Monarchies, la Jurifprudence fe charge de décifions, qui quelquefois fe contredifent, ou parce que les Juges qui fe fuccedent penfent différemment, ou parce que les mêmes affaires font tantôt bien, tantôt mal défendues, ou enfin par une infinité d'abus qui fe gliffent dans tout ce qui paffe par la main des hommes. C'est un mal néceffaire, que le Légiflateur corrige de temsen-tems, comme contraire même à l'efprit des Gouvernemens modérés. Car quand on eft obligé de recourir aux Tribunaux, il faut que cela vienne de la nature de la Conftitution, & non pas des contradictions & de l'incertitude des Loix.

Dans les Gouvernemens où il y a néceffairement des diftinctions dans les perfonnes, il faut qu'il y ait des priviléges. Cela diminue encore la fimplicité & fait mille exceptions.

Un des priviléges les moins à charge à la Société & furtout à celui qui le donne, c'eft de plaider devant un Tribunal plutôt que devant un autre. Voilà de nouvelles affaires, c'eft-à-dire, celles où il s'agit de favoir devant quel Tribunal il faut plaider.

Les Peuples des Etats defpotiques font dans un cas bien différent. Je ne fçai fur quoi dans ce païs le Légiflateur pourroit statuer, ou le Magiftrat juger. Il fuit de ce que les terres appartiennent au Prince, qu'il n'y a prefque point de Loix Civiles fur la propri té des terres. Il fuit du droit que le Souverain a de fuccéder, qu'il n'y en a pas non plus fur les fucceffions. Le négoce exclufif qu'il fait dans quelques païs, rend inutiles toutes fortes de Loix fur le Commerce. Les mariages que l'on y contracte avec des filles efclaves font qu'il n'y a guere de loix Civiles fur les dots & fur les

avantages

Avantages des femmes. Il réfulte encore de cette prodigieufe multitude d'efclaves, qu'il n'y a prefque point de gens qui aient une volonté propre, & qui parconféquent doivent répondre, de leur conduite devant un Juge. La plupart des actions morales, qui ne font que les volontés du pere, du mari, du maître, fe reglent par eux & non par les Magiftrats.

J'oubliois de dire que ce que nous appellons l'honneur, étant à peine connu dans ces Etats, toutes les affaires qui regardent cet honneur, qui eft un fi grand chapitre parmi nous, n'y ont point de lieu. Le defpotifine fe fuffit à lui-même; tout eft vuide autour de lui. Auffi lorfque les Voyageurs nous décrivent les païs où il régne, rarement nous parlent-ils de loix Civiles (a).

Toutes les occafions de difpute & de procès y font donc ôtées. C'eft ce qui fait en partie qu'on y maltraite fi fort les plaideurs : l'injustice de leur demande paroît à découvert, n'étant pas cachée, palliée, ou protégée par une infinité de Loix.

CHAPITRE II.

De la fimplicité des Loix Criminelles dans les divers
Gouvernemens.

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N entend dire fans ceffe qu'il faudroit que la juftice fût rendue par-tout comme en Turquie. Il n'y aura donc que les plus ignorans de tous les Peuples qui auront vu clair dans la chofe du monde qu'il importe le plus aux hommes de favoir ?

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Si vous examinez les formalités de la Juftice par rapport à la peine qu'a un Citoyen à fe faire rendre fon bien ou à obtenir fatisfaction de quelque outrage, vous en trouverez fans doute trop; fi vous les regardez dans le rapport qu'elles ont avec la liberté & la fûreté des Citoyens, vous en trouverez fouvent trop peu; & vous verrez que les peines, les dépenfes, les longueurs, les dangers même de la Justice, font le prix que chaque Citoyen donne pour fa liberté.

En Turquie où l'on fait très-peu d'attention à la fortune,

(a) Au Mazulipatan on n'a pû découvrir qu'il y eût de Loi écrite. Voy. Recueil des Voyages qui ont fervi à l'établissement de la Compagnie des Indes, Tom. IV. Part. I. P. 391. Les Indiens ne fe reglent dans les

Partie 1.

Jugemens, que fur de certaines Coûtumes.
Le Vedan & autres Livres pareils, ne con-
tiennent point de Loix civiles, mais des
préceptes Religieux. Voy. Lettres édif.
quatorzieme Recueil.
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à

à la vie, à l'honneur des fujets, on termine promptement d'u ne façon ou d'autre toutes les difputes. La maniere de les finir eft indifférente pourvû qu'on finiffe. Le Bacha d'abord éclairci, fait diftribuer à fa fantaifie des coups de bâton fur la plante des piés des plaideurs, & les renvoye chez eux.

Et il feroit bien dangereux que l'on y eût les paffions des Plaideurs; elles fuppofent un défir ardent de fe faire rendre justice, une haine, une action dans l'efprit, une conftance à poursuivre. Tout cela doit être évité dans un Gouvernement où il ne faut avoir d'autre fentiment que la crainte, & où tout mene tout-àcoup & fans qu'on le puiffe prévoir à des révolutions. Chacun doit connoitre qu'il ne faut point que le Magiftrat entende parler de lui, & qu'il ne tient fa fûreté que de fon anéantiffe

ment.

Mais dans les Etats modérés, où la tête du moindre Citoyen est considérable, on ne lui ôte fon honneur & fes biens qu'après un long examen, on ne le prive de la vie que lorfque la Patrie elle-même l'attaque, & elle ne l'attaque qu'en lui laiffant tous les moyens poffibles de la défendre.

Auffi lorfqu'un homme fe rend plus abfolu (a), songe-t-il d'abord à fimplifier les Loix. On commence dans cet État à être plus frappé des inconvéniens particuliers, que de la liberté des Sujets dont on ne fe foucie point du tout.

On voit que dans les Républiques il faut pour le moins autant de formalités que dans les Monarchies. Dans l'un & dans l'autre Gouvernement elles augmentent en raifon du cas que l'on y fait de l'honneur, de la fortune, de la vie, de la liberté des Citoyens.

Les hommes font tous égaux dans le Gouvernement Répu blicain; ils font égaux dans le Gouvernement defpotique; dans. le premier, c'est parce qu'ils font tout; dans le fecond, c'est par ce qu'ils ne font rien.

(a) Célar, Cromwel & tant d'autres.

CHAPITRE

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