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Vizir. Dans le Gouvernement Monarchique, le Pouvoir s'ap plique moins immédiatement; le Monarque en le donnant le tempere (a). Il fait une telle diftribution de fon autorité, qu'il n'en donne jamais une plus grande.

Ainfi dans les Etats Monarchiques, les Gouverneurs particuliers des Villes, ne relevent pas tellement du Gouverneur de la Province, qu'ils ne relevent du Prince encore davantage; & les Officiers particuliers des corps militaires ne dépendent pas tellement du Général, qu'ils ne dépendent du Prince encore plus.

Dans la plupart des Etats Monarchiques, on a fagement établi, que ceux qui ont un commandement un peu étendu, ne foient attachés à aucun Corps de milice; de forte que n'ayant de commandement que par une volonté particuliere du Prince, pouvant être employés & ne l'être pas, ils font en quelque façon dans le fervice, & en quelque façon dehors.

Ceci eft incompatible avec le Gouvernement defpotique. Car fi ceux qui n'ont pas un emploi actuel, avoient néantmoins des prérogatives & des titres, il y auroit dans l'Etat des hommes grands par eux-mêmes; ce qui choqueroit la nature de ce Gou

vernement.

Que fi le Gouverneur d'une Ville étoit indépendant du Bacha, il faudroit tous les jours des tempéramens pour les accommoder; chofe abfurde dans un Gouvernement defpotique. Et de plus, le Gouverneur particulier pouvant ne pas obéir comment l'autre pourroit-il répondre de la Province fur fa tête?

Dans ce Gouvernement, l'autorité ne peut être balancée ; celle du moindre Magiftrat ne l'eft pas plus que celle du Deipote. Dans les Pays modérés, la Loi eft partout fage, elle eft partout connue, & les plus petits Magiftrats peuvent la fuivre. Mais dans le Defpotifme où la Loi n'eft que la volonté du Prince, quand le Prince feroit fage, comment un Magiftrat pourroit-il fuivre une volonté qu'il ne connoît pas? Il faut qu'il fuive la fienne.

Il y a plus, c'eft que la Loi n'étant que ce que le Prince veut, & le Prince ne pouvant vouloir que ce qu'il connoît, il faut bien qu'il y ait une infinité de gens qui veuillent pour lui & comme lui.

Enfin la Loi étant la volonté momentanée du Prince, il eft

(a) Ut effe Phohi dulcius lumen folet
Jamjam cadentis....

Part. I.

I

néceffaire

néceffaire que ceux qui veulent pour lui, veuillent fubitement comme lui.

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CHAPITRE XVII,

Des Préfens

EST un ufage reçû dans les Pays defpotiques, que l'on n'aborde qui que ce foit au-deffus de foi, fans lui faire una préfent, pas même les Rois. L'Empereur du Mogol (a) ne reçoit point les Requêtes de fes fujets, qu'il n'en ait reçû quelque chofc. Ces Princes vont jufqu'à corrompre leurs propres graces.

Cela doit être ainsi dans un Gouvernement où perfonne n'eft Citoyen, dans un Gouvernement où l'on eft plein de l'idée, que le fupérieur ne doit rien à l'inférieur, dans un Gouvernement: où les hommes ne fe croient liés que par les châtimens que les uns exercent fur les autres, dans un Gouvernement où il y a peu d'affaires, & où il eft rare que l'on ait befoin de fe préfenter devant un Grand, lui faire des demandes, & encore moins des plaintes.

Dans une République, les préfens font une chofe odieufe, parce que la vertu n'en a pas befoin. Dans une Monarchie, l'honneur eft un motif plus fort que les préfens. Mais dans l'Etat defpotique où il n'y a ni honneur ni vertu, on ne peut être Idéterminé à agir que par l'efpérance des commodités de la vie,

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C'eft dans les idées de la République, que Platon (b) vouloit que ceux qui recevoient des préfens pour faire leur devoir, fuffent punis de mort. Il n'en faut prendre, difoit-il, ni pour les chofes bonnes, ni pour les mauvaifes..

C'étoit une mauvaife Loi que cette Loi Romaine (c), qui permettoit aux Magiftrats de prendre de petits préfens (d), pourvû qu'ils ne paffaffent pas cent écus dans toute l'année. Ceux à qui on ne donne rien, ne défirent rien; ceux à qui on donne un peu défirent bien-tôt un peu plus, & enfuite beaucoup. D'ailleurs. i eft plus aifé de convaincre celui qui ne devant rien prendre,

(a) Recueil des Voyages qui ont fervi à l'établiffement de la Compagnie des In des. Tom. I. pag. 80..

(b) Liv. XII. des Loix. i
(c) Leg. 5. §. ad leg. jul. repet.
(d) Munufcula

prend

prend quelque chofe, que celui qui prend plus, lorfqu'il devroit prendre moins, & qui trouve toûjours pour cela des prétextes, des excufes, des caufes plaufibles.

DA

CHAPITRE XVIII.

Des Récompenfes que le Souverain donne.

ANS les Gouvernemens defpotiques, où, comme nous avons dit, on n'est determiné à agir que par l'efpérance des commodités de la vie, le Prince qui récompenfe n'a que de l'argent à donner. Dans une Monarchie où l'honneur regne feul, le Prince ne récompenferoit que par des diftinctions, fi les diftinctions que l'honneur établit n'étoient jointes à un luxe qui donne néceffairement des befoins le Prince y récompenfe donc par des honneurs qui menent à la fortune. Mais dans une République où la vertu regne, motif qui fe fuffit à lui-même & qui exclut tous les autres, l'Etat ne récompenfe que par des témoignages de cette vertu.

Ceft une regle générale, que les grandes récompenfes dans une Monarchie & dans une République, font un figne de leur décadence; parce qu'elles prouvent que leurs principes font corrompus, que d'un côté l'idée de l'honneur n'y a plus tant de force, que de l'autre la qualité de Citoyen s'eft affoiblie.

Les plus mauvais Empereurs Romains ont été ceux qui ont le plus donné, par exemple, Caligula, Claude, Neron, Othon, Vitellius, Commode, Heliogabale & Caracalla. Les meilleurs, comme Augufle, Vefpafien, Antonin-Pie, Marc-Aurele & Pertinax, ont été économes. Sous les bons Empereurs l'Etat reprenoit fes principes; le tréfor de l'honneur fuppléoit aux au- |-·

tres tréfors.

CHAPITRE XIX.

Nouvelles conféquences des principes des trois Gouvernemens.

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E ne puis me réfoudre à finir ce Livre fans faire encore quelques applications de mes trois principes.

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PREMIERE QUESTION. C'est une queftion de favoir fi les Loix

I 2

doivent

doivent forcer un Citoyen à accepter les emplois publics. Je dis qu'elles le doivent dans le Gouvernement Républicain, & non pas dans le Monarchique. Dans le premier, les Magiftratures font des témoignages de vertu, des dépôts que la Patrie cont fie à un Citoyen, qui ne doit vivre, agir, & penfer que pour elle; il ne peut donc pas les refufer (a). Dans le fecond-les Magiftratures font des témoignages d'honneur or telle eft la bifarrerie de l'honneur, qu'il fe plaît à n'en accepter aucun que quand il veut & de la maniere qu'il veut.

Le feu Roi de Sardaigne (6) puniffoit ceux qui refufoient les dignités & les emplois de fon Etat; il fuivoit fans le favoir des idées Républicaines. Sa maniere de gouverner d'ailleurs prouve affez que ce n'étoit pas là fon intention."

SECONDE QUESTION. Eft-ce une bonne maxime qu'un Citoyen puiffe être obligé d'accepter dans l'Armée une place inférieure à celle qu'il a occupée? On voyoit fouvent chez les Romains le Capitaine fervir l'année d'après fous fon Lieutenant (c). C'eft que dans les Républiques la vertu demande qu'on faffe à l'Etat un facrifice continuel de foi-même & de fes ré pugnances. Mais dans les Monarchies l'honneur vrai ou faux ne peut fouffrir ce qu'il appelle fe dégrader.

Dans les Gouvernemens defpotiques, où l'on abufe égale ment de l'honneur, des poftes & des rangs, on fait indiffe remment d'un Prince un goujat, & d'un goujat un Prince.n

TROISIEME QUESTION. Mettra-t-on fur une même tête les em plois civils & militaires? Il faut les unir dans la République, & les féparer dans la Monarchie. Dans les Républiques il feroit bien dangereux de faire de la profeffion des armes un état particulier, diftingué de celui qui a les fonctions civiles; & dans les Monarchies il n'y auroit pas moins de péril à donner les deux fonctions à la même perfonne.

On ne prend les armes dans la République qu'en qualité de defenfeur des Loix & de la Patrie; c'est parce que l'on eft Cil'on fe fait pour un tems foldat. S'il y avoit deux états

toyen que

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diftingues, on feroit fentir à celui qui fous les armes fe croit Citoyen, qu'il n'eft que foldat."

Dans les Monarchies les gens de guerre n'ont pour objet que la gloire du du moins l'honneur ou la fortune. On doit bien fe garder de donner les emplois civils à des hommes pareils; il faut au contraire qu'ils foient contenus par les Magiftrats civils, & que les mêmes gens n'aient pas en même tems la confian ce du Peuple & la force pour en abuser (a).

Voyez dans une Nation où la République fe cache fous la forme de la Monarchie, combien l'on craint un état particulier de Gens de guerre, & comment le Guerrier refte toûjours Citoyen, ou même Magiftrat, afin que ces qualités foient un gage pour la Patrie & qu'on ne l'oublie jamais.

1.

Cette divifion de Magiftratures en civiles & militaires, faite par les Romains après la perte de la République, ne fut pas une chofe arbitraire. Elle fut une fuite du changement de la conftitution de Rome; elle étoit de la nature du Gouvernement Mo narchique; & ce qui ne fut commencé que fous Augufle (b) les Empereurs fuivans (c) furent obligés de l'achever, pour tempérer le Gouvernement militaire..

Ainfi Procope, concurrent de Valens à l'Empire, n'y entendoit rien, lorfque donnant à Hormifdas, Prince du Sang-Royal de Perfer la dignité de Proconful (d), il rendit à cette Magif trature le Commandement des Armées qu'elle avoit autrefois; à moins qu'il n'eût des raifons particulieres. Un homme qui afpire à la Souveraineté, cherche moins ce qui eft utile à l'Etat, que ce qui l'eft à fa caufe.

QUATRIEME QUESTION. Convient-il que les Charges foient vé nales? Elle ne doivent pas l'être dans les Etats Defpotiques, où il faut, que les Sujets foient placés ou déplacés dans un inftant par le Princes

Cette vénalité eft bonne dans les Etats Monarchiques, parce qu'elle fait faire comme un métier de famille ce qu'on ne vou droit pas entreprendre pour la vertu, qu'elle deftine chacun à fon devoir, & rend les ordres de l'Etat plus permanens, Suidas (e) dit très-bien qu'Anaftafe avoit fait de l'Empire une espece d'Arif tocratie en vendant toutes les Magiftratures.

(a) Ne imperium ad optimos nobilium transferretur, Senatum militia vetuit Gallienus, etiam adire exercitum. Aurelius Victor de Viris illuftrib.

(b) Augufte ôta aux Sénateurs, Proconfule & Gouverneurs le Droit de por

ter les armes. Dion, Liv. XXXIII.

(c) Conftantin. Voy. Zozime, Liv. II (d) Ammian Marcellin, Liv. XXVI.. More veterum & bella recturo. (e) Fragmens tirés des Ambaffades de Conftamin-Prophirogenete, 13

Platon

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