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Quand vous voyez dans la vie de Lycurgue les Loix qu'il donna aux Lacédémoniens, vous croyez lire l'Hiftoire des Sévarambes. Les Loix de Crete étoient l'original de celles de Lacédémone; & celles de Platon en étoient la correction.

Je prie qu'on faffe un peu d'attention à l'étendue de génie qu'il fallut à ces Légiflateurs, pour voir qu'en choquant tous les usages reçûs, en confondant toutes les vertus, ils montreroient à l'Univers leur fageffe. Licurgue mêlant le larcin avec l'efprit de juftice, le plus dur efclavage avec l'extrème liberté, les fentimens les plus atroces avec la plus grande modération, donna de la ftabilité à fa Ville. Il fembla lui ôter toutes les reffources, les arts, le commerce, l'argent, fes murailles: on y a de l'ambition fans efpérance d'être mieux; on y a les fentimens naturels, & on n'y est ni enfant, ni mari, ni pere; la pudeur même est ôtée à la chafteté. C'eft par ces chemins que Sparte eft menée à la grandeur & à la gloire; mais avec une telle infaillibilité de fes Inftitutions, qu'on n'obtenoit rien contr'elle en gagnant des batailles, fi on ne parvenoit à lui ôter fa police (a).

La Crete & la Laconie furent gouvernées par ces Loix. Lacédémone céda la derniere aux Macédoniens, & la Crete (b) fut la derniere proie des Romains. Les Samnites eurent ces mêmes Inftitutions, & elles furent pour ces Romains, le fujet de vingt-quatre triomphes (c).

Cet extraordinaire que l'on voyoit dans les Inftitutions de la Grece, nous l'avons vû dans la lie & la corruption de nos Tems modernes (d). Un Légiflateur honnête-homme a formé un Peuple, où la probité paroît auffi naturelle que la bravoure chez les Spartiates. Mr. Pen eft un véritable Lycurgue; & quoi que le premier ait eu la Paix pour objet, comme l'autre a eu la Guerre, ils fe reffemblent dans la voie finguliere, où ils ont mis leur Peuple, dans l'afcendant qu'ils ont eu fur des hommes libres, dans les préjugés qu'ils ont vaincus, dans les paffions qu'ils ont foûmises.

Le Paragay peut nous fournir un autre exemple. On a voulu

(a) Philopamen contraignit les Lacé- Loix & fa liberté. Voyez les liv. XCVIII. démoniens d'abandonner la maniere de XCIX. & C. de Tite-Live dans l'Epitome nourrir leurs enfans, fachant bien que fans de Florus; elle fit plus de réfiftance que les cela ils auroient toûjours une ame grande plus grands Rois. & le cœur haut. Plutarq. vie de Philopamen. Voy. Tite-Liv. liv. XXXVIII. (b) Elle défendit pendant trois ans fes

(c) Florus liv. I.
(d) In face Romuli, Ciceron.

en faire un crime à la Société qui regarde le plaifir de commander, comme le feul bien de la vie : mais il fera toûjours beau de gouverner les hommes en les rendant plus heureux (a).

Il est glorieux pour elle d'avoir été fa premiere qui ait montré dans ces contrées, l'idée de la Religion jointe à celle de l'humanité. En réparant les dévaftations des Efpagnols, elle a commencé à guérir une des grandes plaies qu'ait encore reçûes le Genre-humain.

Un fentiment exquis pour tout ce qu'elle appelle honneur, fon zele pour une Religion qui humilie bien plus ceux qui l'écoutent que ceux qui la prêchent, lui ont fait entreprendre de grandes chofes, & elle y a réuffi. Elle a retiré des bois des Peuples difperfés, elle leur a donné une fubfiftance affurée, elle les a vêtus & quand elle n'auroit fait par là qu'augmenter l'induftrie parmi les hommes, elle auroit beaucoup fait.

Ceux qui voudront faire des Inftitutions pareilles, établiront la communauté des biens de la République de Platon, ce ref pect qu'il demandoit pour les Dieux, cette féparation d'avec les étrangers pour la confervation des moeurs, & la Cité faifant le commerce & non pas les Citoyens : ils donneront nos arts fans notre luxe, & nos befoins fans nos défirs.

Ils profcriront l'argent, dont l'effet eft de groffir la fortune des hommes au-delà des bornes que la nature y avoit mifes, d'ap prendre à conferver inutilement ce qu'on avoit amaffé de même, de multiplier à l'infini les défirs, & de fuppléer à la nature qui nous avoit donné des moyens très bornés, d'irriter nos paffions, & de nous corrompre les uns les autres..

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« Les Epidamniens (b) fentant leurs moeurs fe corrompre par leur communication avec les Barbares, élûrent un Magiftrat pour faire tous les marchés au nom de la Cité & pour la Cité. Pour lors le Commerce ne corrompt pas la Conftitution, & la Conftitution ne prive pas la fociété des avantages du Com

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merce..

(a) Les Indiens du Paragay, ne dépen- des armes à feu pour se défendre. dent point d'un Seigneur particulier, ne (b) Plutarque, demande des chofes Grec payent qu'un cinquieme des tributs, & ont ques.

CHAPITRE

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En quels cas ces Inftitutions fingulieres peuvent être bonnes.

C

Es fortes d'Inftitutions peuvent convenir dans les Républi ques, parce que la vertu en eft le principe: mais pour por ter à l'honneur dans les Monarchies, ou pour infpirer de la crainte dans les Etats defpotiques, il ne faut pas tant de foins.

Elles ne peuvent d'ailleurs avoir lieu que dans un petit Etat (a), où l'on peut donner une éducation générale, & élever tout un peuple comme une famille.

Les Loix de Minos, de Lycurgue & de Platon, fuppofent une attention finguliere de tous les Citoyens les uns fur les autres. On ne peut fe promettre cela dans la confusion, dans les négligences, dans l'étendue des affaires d'un grand peuple.

Il faut, comme on l'a dit, bannir l'argent dans ces Inftitu tions. Mais dans les grandes fociétés, le nombre, la variété, l'embarras, l'importance des affaires, la facilité des achats, la len teur des échanges, demandent une mesure commune. Pour porter partout, fa puissance, ou la défendre partout, il faut avoir ce à quoi les hommes ont attaché partout la puiffance.

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POLYDE, le judicieux Polybe, nous dit que la Mufique étoit

néceffaire pour adoucir les mœurs des Arcades, qui habi¬ toient un Païs où l'air eft trifte & froid; que ceux de Cynete qui négligerent la mufique, furpafferent en cruauté tous les Grecs & qu'il n'y a point de Ville où l'on ait vû tant de crimes. Platon ne craint point de dire l'on ne peut que faire de changement dans la Mufique, qui n'en foit un dans la conftitution de l'Etat. Ariftote, qui femble n'avoir fait fa politique, que pour opposer

(4) Comme étoient les Villes de la Grece.

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fes fentimens à ceux de Platon, eft pourtant d'accord avec lui touchant la puiffance de la Mufique fur les moeurs. Theophrafte, Plutarque (a), tous les anciens ont penfé de même. Ce n'eft point une opinion jettée fans reflexion; c'eft un des principes de leur politique (b). C'eft ainsi qu'ils donnoient des Loix, c'est ainsi qu'ils vouloient qu'on gouvernât les Cités.

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Je crois que je pourrois expliquer ceci. Il faut fe mettre dans l'efprit que dans les Villes Grecques, fur tout celles qui avoient pour principal objet la guerre, tous les travaux & toutes les pro feffions qui pouvoient conduire à gagner de l'argent, étoient regardés comme indignes d'un homme libre. La plupart des «arts, dit Xenophon (c) corrompent le corps de ceux qui les « exercent; ils obligent de s'affeoir à l'ombre ou près du feu. On « n'a de tems ni fes amis, ni pour Ce ne la République. fut que dans la corruption de quelques démocraties, que les artifans parvinrent à être Citoyens. C'eft ce qu'Ariftote (d) nous apprend, & il foutient qu'une bonne République ne leur donnera jamais le droit de Cité (e).

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pour

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L'agriculture étoit encore une profeffion fervile, & ordinairement c'étoit quelque peuple vaincu qui l'exerçoit. Les Ilotes chez les Lacédémoniens, les Perieciens chez les Crétois, les Peneftes, chez les Theffaliens, d'autres (f) peuples esclaves dans d'autres Républiques.

Enfin tout bas commerce (g) étoit infame chez les Grecs. Il auroit fallu qu'un Citoyen eût rendu des fervices à un efclave, à un locataire, à un étranger. Cette idée choquoit l'efprit de la liberté Grecque auffi Platon (h) veut-il dans fes Loix qu'on puniffe un Citoyen qui feroit le commerce.

On étoit donc fort embarraffé dans les Républiques Grecques. On ne vouloit pas que les Citoyens travaillaffent au commerce,

(a) Vie de Pelopidas.

(b) Platon liv. IV. des Loix, dit que les Préfectures de la Mufique & de la Gymnafsique, font les plus importans Emplois de la Cité; & dans la Répub. liv. III. » Damon « vous dira, dit-il, quels font les fons caapables de faire naître la baffeffe de l'ame, a l'infolence & les vertus contraires.

(c) Liv. 5. dits mémorables. (d) Politiq. liv. 3. chap. 4.

(e) Diophante, dit Ariftote, Polit. ch. 7. établit autrefois à Athenes, que les artifans feroient efclaves du public.

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à l'agriculture ni aux arts; on ne vouloit pas non plus qu'ils fuffent oififs (a). Ils trouvoient une occupation dans les exercices qui dépendoient de la Gymnaftique, & dans ceux qui avoient du rapport à la guerre (b). L'inftitution ne leur en donnoit point d'autres. Il faut donc regarder les Grecs comme une fociété d'Athletes & de combattans. Or, ces exercices fi propres à faire des gens durs & fauvages, avoient befoin d'être tempérés par d'autres qui puffent adoucir les mœurs (c). La Mufique qui tient à l'efprit par les organes du corps, étoit très-propre à cela. C'eft un milieu entre les exercices du corps qui rendent les hommes rudes, & les fciences de fpéculation qui les rendent fauvages. On ne peut pas dire inconcevable maire que la Mufique infpirât la vertu; cela feroit inconcevable: mais elle empêchoit l'effet de la férocité de l'institution, & faifoit que l'ame avoit dans l'éducation, une part qu'elle n'y auroit point eue.

Je fuppofe qu'il y ait parmi nous une fociété de gens fi paffionnés pour la chaffe, qu'ils s'en occupaffent uniquement; il eft für qu'ils en contracteroient une certaine rudeffe. Si ces mêmes gens venoient à prendre encore du goût pour la Mufique, on trouveroit bientôt de la différence dans leurs manières & dans leurs moeurs. Enfin les exercices des Grecs n'excitoient en eux qu'un genre de paffions, la rudeffe, la colere, la cruauté. La Mufique les excite toutes, & peut faire fentir à l'ame la douceur, la pitié, la tendreffe, le doux plaifir. Nos Auteurs de morale, qui parmi nous, profcrivent fi fort les Théatres, nous font affez fentir le pouvoir que la Mufique a fur

nos ames.

Si à la fociété dont j'ai parlé, on ne donnoit que des tambours & des airs de trompette, n'eft-il pas vrai que Pon parviendroit. moins à son but, que fi l'on donnoit une Mufique tendre? Les anciens avoient donc raison, lorfque dans certaines circon-4" ftances, ils préféroient pour les mœurs, un mode à un autre.

Mais dira-t'on, pourquoi choifir la Mufique par préférence ? C'est que de tous les plaifirs des fens, il n'y en a aucun qui cor rompe moins l'ame. Nous rougiffons de lire dans Plutarque (d),

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