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les Francs dans la Germanie n'avoient-ils point de Roi, comme Gregoire (a) de Tours le prouve très-bien.

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« Les Princes (b), dit Tacite, déliberent für les petites chofes; toute la Nation fur les grandes; deforte pourtant que les affaires dont le peuple prend connoiffance font portées de mê« me devant les Princes. » Cet ufage fe conferva après la conquête, comme (c) on le voit dans tous les monumens.

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Tacite (d) dit que les crimes capitaux pouvoient être portés devant l'Assemblée.Îlen fut de même après la conquête,& les grands Vaffaux y furent jugés.

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CHAPITRE XXX.

De l'autorité du Clergé dans la premiere race.

HEZ les peuples Barbares les Prêtres ont ordinairement du pouvoir, parce qu'ils ont & l'autorité qu'ils doivent tenir de la Religion, & la puiffance que chez des peuples pareils donne la fuperftition. Auffi voyons nous dans Tacite que les Prêtres étoient fort accrédités chez les Germains, qu'ils mettoient la police (e) dans l'affemblée du peuple.. Il n'étoit permis qu'à (f) eux de châtier, de lier, de frapper; ce qu'ils faifoient, non pas par ordre du Prince, ni pour infliger une peine; mais comme par une infpiration de la Divinité toûjours préfente à ceux: qui font la guerre.

Il ne faut pas être étonné fi dès le commencement de la premiere race on voit les Evêques arbitres (g) des jugemens, fi on les voit paroître dans les affemblées de la Nation, s ils in-fluent fi fort dans les réfolutions des Rois, & fi on leur donne tant de biens.

(a) Liv. II.

(b) De minoribus principes confultant, de majoribus omnes; ita tamen ut ea quorum penes plebem arbitrium eft, apud principes pertractentur, de morib. Germ.

(c) Lex confenfu Populi fit & conftitutione Regis. Capitulaires de Charles le Chauve, an, 854. art. 6.

(d) Licet apud Concilium accufare & difcrimen capitis intendere. de morib, Germ.

(e) Silentium per facerdotes, quibus &· coercendijus eft, imperatur. de morib. Germ..

(f) Nec Regibus libera aut infinita po-. teftas. Cæterùm neque animada ere, neque vincire, neque verberare, nifi facerdotibus eft permifum, non quafi in pœnam, nec Ducis juffu, jedvelut Deo imperante, quem adeffe

bellatoribus credunt. Ibid.

(g) Voy. la Conftitution de Clotaire, de l'an 560. article 6.

LIVRE DIX-NEU VIEME.

Des Loix dans le rapport qu'elles ont avec les principes qui forment l'esprit général, les maurs & les manieres d'une Nation.

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CHAPITRE PREMIER...

Du fujet de ce Livre.

ETTE matiere eft d'une grande étendue. Dans cette foule d'idées qui fe préfentent à mon efprit, je ferai plus atten tif à l'ordre des chofes qu'aux chofes mêmes; il faut que j'écarte à droite & à gauche, que je perce, & que je me faf fe jour.

CHAPITRE I I.

Combien pour les meilleures Loix il est nécessaire que les: efprits foient préparés.

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IEN ne parut plus infupportable aux Germains (a) que le tribunal de Varus. Celui que Juftinien érigea (b) chez les La ziens pour faire le procès au meurtrier de leur Roi, leur parut: une chose horrible & barbare. Mithridate (c) haranguant contre les Romains, leur reproche fur tout les formalités (d) de leur Juftice. Les Parthes ne purent fupporter ce Roi, qui ayant été élevé à Rome fe rendit affable (e) & acceffible à tout le monde. La li berté même a paru infupportable à des peuples qui n'étoient pas

(a) Ils coupoient la langue aux Avocats, & difoient: Vipere, ceffe de fiffler. Tacite.

(b) Agathias, Liv. IV.

(c) Juftin, Liv. XXXVIII. (d) Calumnias litium, ibid. (e) Prompti aditus, nova comitas, iganota Parthis virtutes, nova vitia. Tacite. accoutumés

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accoûtumés à en jouir. C'eft ainfi qu'un air pur eft quelquefois nuifible à ceux qui ont vécu dans des pays marécageux.

Un Vénitien nommé Balbi, étant au (a) Pégu, fut introduit chez le Roi. Quand celui-ci apprit qu'il n'y avoit point de Roi à Venice, il fit un fi grand éclat de rire, qu'une toux le prit, & qu'il eut beaucoup de peine à parler à fes Courtifans. Quel eft le Légiflateur qui pourroit propofer le Gouvernement populaire à des peuples pareils?

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CHAPITRE II I.

De la Tyrannie.

Ly a deux fortes de tyrannie; une réelle, qui confifte dans la violence du Gouvernement; & une d'opinion, qui fe fait fentir lorfque ceux qui gouvernent établiffent des chofes qui choquent la maniere de penfer d'une Nation.

Dion dit qu'Augufte voulut se faire appeller Romulus; mais qu'ayant appris que le peuple craignoit qu'il ne voulût fe faire Roi, il changea de deffein. Les premiers Romains ne vouloient point de Roi, parce qu'ils n'en pouvoient fouffrir la puiffance:les Romains d'alors ne vouloient point de Roi, pour n'en point fouffrir les manieres. Car quoique Céfar, les Triumvirs, Augufte, fussent de véritables Rois, ils avoient gardé tout l'extérieur de l'égalité, & leur vie privée contenoit une efpece d'oppofition avec le fafte des Rois d'alors, & quand ils ne vouloient point de Roi, cela fignifioit qu'ils vouloient garder leurs manieres, & ne pas prendre celles des peuples d'Afrique & d'Orient.

Dion (b) nous dit que le peuple Romain étoit indigné contre Augufte, à caufe de certaines Loix trop dures qu'il avoit faites: mais que fi-tôt qu'il eut fait revenir le Comédien Pylade que les factions avoient chaffé de la ville, le mécontentement ceffa. Un Peuple pareil fentoit plus vivement la tyrannie lorsqu'on chafsoit un baladin, que lorsqu'on lui ôtoit toutes fes loix.

(a) Il en a fait la defcription en 1596. Recueil des Voyages, qui ont fervi à l'Etablissement de la Compag. des Indes, Tom.

III. Partie I. pag. 33.

(b) Liv. LIV. pag. 532.

CHAPITRE

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CHAPITRE IV.

Ce que c'est que l'efprit général.

LUSIEURSchofes gouvernent let hommes, le climat, la Religion, les Loix, les maximes du Gouvernement, les exemples des chofes paffées, les moeurs, les manieres; d'où il fe forme un efprit général qui en résulte.

A mefure que dans chaque Nation une de ces causes agit avec plus de force, les autres lui cedent d'autant. La nature & le climat dominent prefque feuls fur les Sauvages; les manieres gouvernent les Chinois; les Loix tyrannisent le Japon; les mœurs donnoient autrefois le ton dans Lacédémone; les maximes du Gouvernement & les mœurs anciennes le donnoient dans Rome.

CHAPITRE V.

Combien il faut être attentif à ne point changer l'effrir général d'une Nation.

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"IL y avoit dans le monde une Nation qui eût une humeur fociable, une ouverture de cœur, une joie dans la vie, un goût, une facilité à communiquer fes penfées; qui fut vive, agréable, enjoüée, quelquefois imprudente, fouvent indifcrete; & qui eût avec cela du courage, de la générofité, de la franchife; un certain point d'honneur; il ne faudroit point chercher à gêner par des foix fes manieres, pour ne point gêner fes vertus. Si en général le caractere eft bon, qu'importe de quelques défauts qui s'y trou

vent?

On y pourroit contenir les femmes, faire des loix pour corriger Leurs mœurs, & borner leur luxe : mais qui fçait fi on n'y perdroit pas un certain goût qui feroit la fource des richeffes de la Nation,, & une politeffe qui attire chez elle les étrangers?

C'est au Légiflateur à fuivre l'efprit de la Nation, lorfqu'il n'eft pas contraire aux principes du Gouvernement; car nous ne fai

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fons rien de mieux que ce que nous faifons librement & en fuivant notre génie naturel.

Qu'on donne un efprit de pédanterie à une Nation naturellement gaie, l'Etat n'y gagnera rien, ni pour le dedans ni pour le dehors. Laiffez-lui faire les chofes frivoles férieufement, & gaiement les chofes férieuses.

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CHAPITRE V I.

Qu'il ne faut pas tout corriger.

'UON nous laiffe comme nous fommes, difoit un Gentil homme d'une Nation qui reffemble beaucoup à celle dont nous venous de donner une idée. La Nature répare tout. Elle nous a donné une vivacité capable d'offenfer & propre à nous faire manquer à tous les égards; cette méme vivacité eft corrigée par la politeffe qu'elle nous procure, en nous infpirant du goût pour le monde & furtout pour le commerce des femmes.

Qu'on nous laiffe tels que nous fommes. Nos qualités indifcretes, jointes à notre peu de malice, font que les loix qui gêneroient T'humeur fociable parmi nous, ne feroient point convenables.

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Es Athéniens, continuoit ce Gentilhomme, étoient un peu

ple qui avoit quelque rapport avec le nôtre. Il mettoit de la gaieté dans les affaires; un trait de raillerie lui plaifoit fur la tribune comme fur le théatre. Cette vivacité qu'il mettoit dans les Confeils, il la portoit dans l'exécution. Le caractere des Lacédémoniens étoit grave, férieux, fec, taciturne. On n'auroit pas plus tiré parti d'un Athénien en l'ennuyant, que d'un Lacédémonien en le divertiffant.

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CHAPITRE

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