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vent vivre en Corps pendant quelque tems, parce que leurs troupeaux peuvent être raffemblés pendant quelque tems. Toutes les hordes peuvent donc fe réunir, & cela le fait lorsqu'un chef en a foûmis beaucoup d'autres; après quoi il faut qu'elles faffent de deux chofes l'une, qu'elles fe féparent, ou qu'elles aillent faire quelque grande conquête dans quelque Empire du Midi.

CHAPITRE XII.

Du Droit des Gens chez les peuples, qui ne cultivent point les terres.

C

Es peuples ne vivant pas dans un terrain limité & circon fcrit, auront entr'eux Eien des fujets de querelle; ils fe difputeront la terre inculte, comme parmi nous les Citoyens fe dif putent les héritages. Ainfi ils trouveront de fréquentes occafions de guerre pour leurs chaffes, pour leurs pêches, pour la nourriture de leurs beftiaux, pour l'enlevement de leurs efclaves; & n'ayant point de territoire, ils auront autant de chofes à régler par le droit des gens qu'ils en auront peu à décider par le droit Ci

vil.

CHAPITRE XIII.

Des Loix Civiles chez les peuples qui ne cultivent point
les terres.

C'ES

'EST le partage des terres qui groffit principalement le Code civil. Chez les Nations où l'on n'aura pas fait ce partage, il y aura très-peu de loix civiles.

On peut appeller les Inftitutions de ces peuples des maurs plu

tôt que

des Loix.

Chez de pareilles Nations les vieillards qui fe fouviennent des chofes paffées ont une grande autorité ; on n'y peut être distingué par les biens, mais par la main & par les confeils.

Ces peuples errent & fe di perfent dans les pâturages ou dans les forêts. Le mariage n'y fera pas auffi affûré que parminous, où il

Nn3

eft

troupeaux

eft fixé par la demeure, & où la femme tient à une maifon ; ils peu vent donc plus aisément changer de femmes, en avoir plusieurs, & quelquefois fe mêler indifféremment comme les bêtes. Les peuples pafteurs ne peuvent se séparer de leurs qui font leur fubfiftance; ils ne fauroient non plus fe féparer de leurs femmes qui en ont foin. Tout cela doit donc marcher enfemble, d'autant plus que vivant ordinairement dans de grandes plaines, où il y a peu de lieux forts d'affiette, leurs femmes, leurs enfans, leurs troupeaux deviendroient la proie de leurs ennemis. Leurs loix regleront le partage du butin, & auront comme nos Loix Saliques une attention particuliere fur les vols.

C

CHAPITRE X IV.

De l'état politique des peuples qui ne cultivent point

les terres.

Es peuples jouiffent d'une grande liberté: car comme ils ne cultivent point les terres, ils n'y font point attachés, ils font errans, vagabonds; & fi un Chef vouloit leur ôter leur liberté, ils l'iroient d'abord chercher chez un autre, ou fe retireroient dans les bois pour y vivre avec leur famille. Chez ces peuples la liberté de l'homme eft fi grande, qu'elle entraîne nécessairement la liberté du Citoyen.

A

CHAPITRE X V.

Des peuples qui connoissent l'ufage de la monnoie.

RISTIPE ayant fait naufrage nagea & aborda au rivage prochain; il vit qu'on avoit tracé fur le fable des figures de géométrie : il se sentit émû de joie, jugeant qu'il étoit arrivé chez un peuple Grec, & non pas chez un peuple barbare.

Soyez seul, & arrivez par quelque accident chez unpeuple inconnu; fi vous voyez une piece de monnoie, comptez que vous êtes arrivé chez un Nation policée.

La culture des terres demande l'usage de la monnoie. Cette culture

culture fuppofe beaucoup d'arts & de connoiffances; & l'on voit toûjours marcher d'un pas égal les arts, les connoiffances & les befoins. Tout cela conduit à l'établissement d'un figne de valeurs.

Les torrens & les incendies (a) nous ont fait découvrir que les métaux étoient dans les terres. Quand ils en ont été une fois féparés, il a été aifé de les employer.

CHAPITRE XV I.

Des Loix Civiles chez les peuples qui ne connoissent
point l'ufage de la monnoie.

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UAND un peuple n'a pas l'ufage de la monnoie, on ne connoît guere que les injustices qui viennent de la violence; & les gens foibles en s'uniffant fe défendent contre la violence. Il n'y a guere là que des arrangemens politiques. Mais chez un peuple où la monnoie eft établie, on eft fujet aux injuftices qui viennent de la rufe; & ces injuftices peuvent être exercées de mille façons. On y eft donc forcé d'avoir de bonnes loix civiles; elles naiffent avec les nouveaux moyens & les diverses manieres d'être méchant.

Dans les pays où il n'y a point de monnoie, le raviffeur n'enleve que des chofes, & les chofes ne fe reffemblent jamais. Dans les pays où il y a de la monnoie, le raviffeur enleve des fignes, & les fignes fe reffemblent toûjours. Dans les premiers pays rien ne peut être caché, parce que le raviffeur porte toûjours avec lui des preu ves de fa conviction: c'eft tout le contraire dans les autres.

C

CHAPITRE X VIL

Des Loix politiques chez les peuples qui n'ont point
Pufage de la monnoie.

E qui affûre le plus la liberté des peuples qui ne cultivent point les terres; c'eft que la monnoie leur eft inconnue. Les fruits de la chaffe, de la pêche ou des troupeaux, ne peuvent s'affembler en assez grande quantité, nï se garder affez pour qu'un hom

(a) C'eft ainfi que Diodore nous dit que des Bergers trouverent l'or des Pyrénées

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me fe trouve en état de corrompre tous les autres: au lieu que lorfque l'on a des fignes des richeffes, on peut faire un amas de ces fignes & les diftribuer à qui l'on veut.

Chez les peuples qui n'ont point de monnoie, chacun a peu de befoin, & les fatisfait aiféinent & également. L'égalité eft donc forcée; aussi leurs Chefs ne font-ils point Defpotiques.

S &

CHAPITRE XVIII.

Force de la Superftition.

I ce que les Relations nous difent eft vrai, la conftitution d'un peuple de la Louïfiane nommé les Narchés déroge à ceci. Leur Chef (a) dispose des biens de tous fes Sujets, & les fait travailler à fa fantaisie; ils ne peuvent lui refuser leur tête; il eft comme le Grand Seigneur. Lorfque l'héritier préfomptif vient à naître, on lui donne tous les enfans à la mammelle, pour le fervir pendant fa vie. Vous diriez que c'est le grand Sefoftris. Ce Chef eft traité dans fa cabane avec les cérémonies qu'on feroit à un Empereur du Japon ou de la Chine.

Les préjugés de la fuperftition font fupérieurs à tous les autres préjugés, & fes raifons à toutes les autres raifons. Ainfi quoique les peuples fauvages ne connoiffent point naturellement le Def potifme, ce peuple-ci le connoît. Ils adorent le Soleil; & fi leur Chef n'avoit pas imaginé qu'il étoit le frere du Soleil; ils n'auroient trouvé en lui qu'un miférable comme eux.

CHAPITRE XI X.

De la liberté des Arabes & de la fervitude des Tartares.

L

Es Arabes & les Tartares font des peuples pafteurs. Les Arabes fe trouvent dans les cas généraux dont nous avons parlé, & font libres; au-lieu que les Tartares, (peuple le plus fingulier de la Terre) fe trouvent dans l'esclavage (b) politique.

(a) Lettres Edif. 2o. Recueil.

peuple s'écrie; que fa parole lui ferve de

(b) Lorfqu'on proclame un Kan, tout le glaive.

J'ai déja (a) donné quelques raifons de ce dernier fait : en voici de nouvelles.

Ils n'ont point de villes, ils n'ont point de forêts, ils ont peu de marais, leurs rivieres font prefque toûjours glacées, ils habitent une immenfe plaine, ils ont des pâturages & des troupeaux,& par conféquent des biens: mais ils n'ont aucune efpece de retraite ni de défenfe. Si-tót qu'un Kan eft vaincu, on lui coupe (b) la tête; on traite de la même maniere fe. enfans, & tous fes fujets appartiennent au vainqueur. On ne les condamne pas à un efclavage civil; ils feroient à charge à une Nation fimple, qui n'a point de terres à cultiver, & n'a befoin d'aucun fervice domeftique. Ils augmentent donc la Nation: mais au lieu de l'esclavage civil, on conçoit que l'esclavage politique a dû s'introduire.

En effet dans un pays où les diverses hordes fe font continuellement la guerre & fe conquierent fans ceffe les unes les autres, dans un pays, où par la mort du Chef le corps politique de chaque horde vaincue eft toûjours détruit, la Nation en général ne peut guere être libre; car il n'y a pas une feule partie qui ne doive avoir été un très-grand nombre de fois fubjuguée.

Les peuples vaincus peuvent conferver quelque liberté, lorfque par la force de leur fituation ils font en état de faire des traités après leur défaite. Mais les Tartares toûjours fans défense, vaincus une fois, n'ont jamais pû faire des conditions.

J'ai dit au Chapitre II. que les habitans des plaines cultivées n'étoient gueres libres; des circonftances font que les Tartares habitant une plaine inculte font dans le même cas.

L

CHAPITRE XX.

Du Droit des Gens des Tartares.

Es Tartares paroiffent entr'eux doux & humains; & ils font des conquérans très-cruels; ils paffent au fil de l'épée les habitans des villes qu'ils prennent, ils croyent leur faire grace lorfqu'ils les vendent ou les diftribuent à leurs foldats. Ils ont détruit l'Afie depuis les Indes jusqu'à la Méditerranée; tout

(a) Liv. XVII. ch. 5.

riveis s'étant rendu maître d'Ifpahan, fit (b) Ainfi il ne faut pas être étonné fi Mi- tuer tous les Princes du fang. lc

Partie I.

Oo

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