Page images
PDF
EPUB

bons effets dans la Monarchie; elle donne la vie à ce Gouvernement; & on y a cet avantage, qu'elle n'y eft pas dangereuse, parce qu'elle y peut être fans ceffe réprimée.

Vous diriez qu'il en eft comme du fiftème de l'Univers, où il y a une force qui éloigne fans ceffe du centre tous les Corps, & une force de péfanteur qui les y ramene. L'honneur fait mouvoir toutes les parties du Corps politique; il les lie par fon action même, & il fe trouve que chacun va au bien commun, croyant aller à fes intérêts particuliers.

Il eft vrai que, philofophiquement parlant, c'est un honneur faux qui conduit toutes les parties de l'Etat: mais cet honneur faux est aussi utile au Public, que le vrai le feroit aux particuliers qui pourroient l'avoit.

Et n'eft-ce pas beaucoup, d'obliger les hommes à faire toutes les actions difficiles, & qui demandent de la force, fans autre récompenfe que le bruit de ces actions?

CHAPITRE VII I.

Que l'honneur n'est point le principe des Etats Defpotiques.

CE

E n'est point l'Honneur qui eft le principe des Etats defpotiques; les hommes y étant tous égaux, on n'y peut fe préférer aux autres; les hommes y étant tous efclaves, on n'y peut se préférer à rien.

De plus, comme l'honneur a fes loix & fes regles, & qu'il ne fauroit plier, qu'il dépend bien de fon propre caprice, & non pas de celui d'un autre ; il ne peut fe trouver que dans des Etats où la Constitution eft fixe, & qui ont des Loix certaines.

Comment feroit-il fouffert chez le Defpote? Il fait gloire de mépriser la vie, & le Defpote n'a de force que parce qu'il peut l'ôter. Comment pourroit-il fouffrir le Defpote? il a des regles fuivies, & des caprices foûtenus; le Defpote n'a aucune regle, & fes caprices détruisent tous les autres.

L'honneur inconnu aux Etats defpotiques, où fouvent même on n'a pas de mot pour l'exprimer, (a) regne dans les Monarchies; il y donne la vie à tout le Corps Politique, aux Loix & aux Vertus même.

(a) Voy. Perry, pag. 447. Part. I.

D

CHAPITRE

Co

CHAPITRE IX.

Du principe du Gouvernement Defpotique.

OMME il faut de la vertu dans une République, & dans une Monarchie de l'honneur, il faut de la crainte dans un Gouvernement Defpotique pour la vertu, elle n'y eft point néceffaire, & l'honneur y feroit dangereux.

:

Le pouvoir immenfe du Prince y paffe tout entier à ceux à qui il le confie. Des gens capables de s'eftimer beaucoup euxmêmes feroient en état d'y faire des révolutions. Il faut donc la Crainte y abbatte tous les courages, & y éteigne jufqu'au moindre fentiment d'ambition.

que

Un Gouvernement modéré peut tant qu'il veut, & fans péril, relâcher fes refforts. Il fe maintient par les Loix & par fa force même. Mais lorfque dans le Gouvernement Defpotique le Prince ceffe un moment de lever le bras, quand il ne peut pas anéantir à l'inftant ceux qui ont les premieres places (a), tout eft perdu : car le reffort du Gouvernement qui eit la crainte n'y étant plus, lé Peuple n'a plus de protecteur.

C'eft apparemment dans ce fens que des Cadis ont foûtenu que le Grand-Seigneur n'étoit point obligé de tenir fa parole ou fon ferment, lorfqu'il bornoit par-là fon Autorité (b).

Il faut que le Peuple foit jugé par les Loix, & les Grands par la fantaifie du Prince; que la tête du dernier Sujet foit en fùreté & celle des Bachas toûjours expofée. On ne peut parler fans frémir de ces Gouvernemens monftrueux. Le Sophi de Perse détrôné de nos jours par Mirivéis, vit le Gouvernement périr avant la Conquête, parce qu'il n'avoit pas verfé affez de Sang (c).

L'Hiftoire nous dit que les horribles cruautés de Domitien effrayerent les Gouverneurs au point que le Peuple fe rétablit un peu fous son regne (d). C'eft ainfi qu'un torrent qui ravage tout d'un côté, laiffe de l'autre des campagnes où l'oeil voit de loin quelques prairies.

(a) Comme il arrive fouvent dans l'Ariftocratie militaire.

(b) Ricault de l'Empire Ottoman.
() Voy. l'Hiftoire de cette révolution

par le P. Ducerceau.

(d) Son Gouvernement étoit militaire, ce qui eft une des efpeces du Gouvernement Defpotique.

CHAPITRE

CHAPITRE X.

Différence de l'obéiffance dans les Gouvernemens modérés & dans les Gouvernemens Defpotiques.

D

ANS les Etats Defpotiques la nature du Gouvernement demande une obéiffance extrème; & la volonté du Prince une fois connue, doit avoir auffi infailliblement fon effet, qu'une boule jettée contre une autre doit avoir le fien.

Il n'y a point de tempérament, de modification, d'accommodemens, de termes d'équivalens, de pourparlers, de remontrances, rien d'égal ou de meilleur à propofer; l'homme est une créature qui obéit à une créature qui veut.

On n'y peut pas plus repréfenter fes craintes fur un évenement futur, qu'excufer fes mauvais fuccès fur le caprice de la fortune; le partage des hommes comme des bêtes, y eft l'inftinct, l'obéiffance, le châtiment.

Il ne fert de rien d'oppofer les fentimens naturels, le ref pect pour un Pere, la tendreffe pour ses enfans & fes femmes, les Loix de l'honneur, l'état de fa fanté; on a reçu l'ordre, & cela fuffit.

En Perfe, lorfque le Roi a condamné quelqu'un, on ne peut plus lui en parler ni demander grace. S'il étoit ivre ou hors de fens, il faudroit que l'Arrêt s'exécutât tout-de-même; (a) fans cela il fe contrediroit, & la Loi ne peut fe contredire. Cette maniere de penfer y a été de tout tems; l'ordre donna Affuérus d'exterminer les Juifs ne pouvant être révoqué, on prit le parti de leur donner la permiffion de fe défendre.

que

Il y a pourtant une chofe que l'on peut quelquefois oppofer à la volonté du Prince; (b) c'eft la Religion. On abandonnera fon Pere; on le tuera même, fi le Prince l'ordonne: mais on ne boira pas du vin, s'il le veut & s'il l'ordonne. Les Loix de la Religion font d'un précepte fupérieur, parce qu'elles font données fur la tête du Prince comme fur celle des fujets. Mais quand au Droit naturel, il n'en est pas de même; le Prince eft fuppofé n'être plus

un homme.

(a) Voy. Chardin.

(b) Ibid.

D 2

Dans

Dans les Etats Monarchiques & modérés, la Puiffance eft borance née par ce qui en eft le reffort, je veux dire l'honneur, qui regne comme un Monarque fur le Prince & fur le Peuple. On n'ira point lui alléguer les Loix de la Religion; un Courtifan fe croiroit ridicule. On lui alléguera fans ceffe celles de l'honneur. De-là réfultent des modifications néceffaires dans l'obéissance; l'honneur est naturellement fujet à des bifarreries, & l'obéiffance les fuivra

toutes.

Quoique la maniere d'obéir foit différente dans ces deux Gouvernemens, le pouvoir eft pourtant le même. De quelque côté que le Monarque fe tourne, il emporte & précipite la balance & eft obéi. Toute la différence eft que dans la Monarchie le Prince a des lumieres, & que les Miniftres y font infiniment plus habiles & plus rompus aux affaires, que dans l'Etat defpotique.

[ocr errors]

CHAPITRE XI.

Réflexion fur tout ceci.

ELS font les principes des trois Gouvernemens; ce qui ne fignifie pas que dans une certaine République on soit vertueux, mais qu'on devroit l'être. Cela ne prouve pas non plus que dans une certaine Monarchie, on ait de l'honneur, & que dans un Etat defpotique particulier, on ait de la crainte; mais qu'il faudroit en avoir, fans quoi le Gouvernement fera imparfait.

LIVRE QUATRIE M E.

Que les Loix de l'éducation doivent être relatives aux principes du Gouvernement.

[ocr errors]

CHAPITRE PREMIER.

Des Loix de l'éducation.

Es Loix de l'éducation font les premieres que nous recevons; & comme elles nous préparent à être Citoyens, chaque famille particuliere doit être gouvernée fur le plan de la grande famille qui les comprend toutes.

Si le Peuple en général a un principe, les parties qui le compofent, c'est-à-dire, les familles, l'auront aufli. Les Loix de l'éducation feront donc différentes dans chaque efpece de Gouvernement; dans les Monarchies elles auront pour objet l'honneur, dans les Républiques la Vertu, dans le Defpotifme la crainte.

CE

CHAPITRE I I.

De l'éducation dans les Monarchies.

E n'eft point dans les maifons publiques où l'on inftruit l'enfance, que l'on reçoit dans les Monarchies la principale éducation; c'eft lors que l'on entre dans le monde, que l'éducation en quelque façon commence. Là eft l'école de ce que l'on appelle l'honneur, ce maître univerfel qui doit partout nous con

duire.

C'eft-là que l'on voit & que l'on entend toûjours dire trois chofes, qu'il faut mettre dans les vertus une certaine noblesse, dans les mœurs une certaine franchife, dans les manieres une certaine politeffe.. Les vertus qu'on nous y montre font toûjours moins ce que

D 3.

l'on

« PreviousContinue »