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CHAPITRE II.

De la Liberté du Citoyen.

A Liberté philofophique confifte dans l'exercice de fa volonté, ou du moins (s'il faut parler dans tous les Systèmes) dans l'opinion où l'on eft que l'on exerce fa volonté. La Liberté politique confifte dans la fûreté, ou du moins dans l'opinion que l'on a de sa fûreté.

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Cette fûreté n'eft jamais plus attaquée que dans les accufations publiques ou privées. C'est donc de la bonté des Loix criminelles que dépend principalement la liberté du Citoyen.

Les Loix criminelles n'ont pas été perfectionnées tout d'un coup. Dans les lieux-mêmes où l'on a le plus cherché la liberté, on ne l'a pas toûjours trouvée. Ariftote (a) nous dit qu'à Cumes les Parens de l'accufateur pouvoient être témoins. Sous les Rois de Rome la Loi étoit fi imparfaite que Servius-Tullius prononça la fentence contre les enfans d'Ancus Martius accufés d'avoir affaffiné le Roi fon beau-pere (b). Sous les premiers Rois Francs, Clotaire fit une Loi (c) pour qu'un accufé ne pût être condamné fans être oui; ce qui prouve une pratique contraire dans quelque cas particulier ou chez quelque peuple barbare. Ce fut Charondas qui introduifit les jugemens contre les faux témoignages (d). Quand l'innocence des Citoyens n'eft pas affûrée, la liberté ne l'eft pas non plus.

Les connoiffances que l'on a acquifes dans quelque pays & que l'on acquerra dans d'autres fur les regles les plus fûres que l'on puiffe tenir dans les jugemens criminels intéreffent le genre humain plus qu'aucune chofe qu'il y ait au monde.

Ce n'eft que fur la pratique de ces connoiffances que la liberté peut être fondée; & dans un Etat qui auroit là-deffus les meilleures loix poffibles, un homme à qui on feroit fon procès, & qui devroit être pendu le lendemain, feroit plus libre qu'un Bacha ne l'eft en Turquie.

(a) Politique Liv. II.

(d) Ariftote, Polit. L. II. chap. 12. il vingt-quatrieme Olympiade.

(b) Tarquinius Prifcus. Voy. Denis donna fes Loix à Thurium dans la quatreHalic. Liv. IV.

(c) De l'an 560.

Partie L

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Es Loix qui font périr un homme fur la dépofition d'un feul témoin, font fatales à la liberté. La Raifon en exige deux, parce qu'un témoin qui affirme, & un accufé qui nie, font: un partage, & il faut un tiers pour le vuider.

Les Grecs (a) & les Romains (b) exigeoient une voix de plus pour condamner. Nos Loix Françoifes en demandent deux. Les Grecs prétendoient que leur ufage avoit été établi par les Dieux (c),..

mais c'est le nôtre..

CHAPITRE I Vood and 200 1

Que la liberté eft favorisée par la nature des peines & leur

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proportion.

'EST le triomphe de la Liberté lorfque les Loix criminelles tirent chaque peine de la nature particuliere du crime. Tout l'arbitraire ceffe; la peine ne defcend point du caprice du Légif-lateur, mais de la nature de la chofe; & ce n'eft point l'homme qui fait violence à l'homme..

Il y a quatre fortes de crimes. Ceux de la premiere efpece choquent la Religion, ceux de la feconde les mœurs, ceux de la troisieme la tranquilité, ceux de la quatrieme la fûreté des Citoyens. Les peines que l'on inflige doivent dériver de la nature. de chacune de ces efpeces.

Je ne mets dans la claffe des crimes qui intéreffent la Religion que ceux qui l'attaquent directement, comme font tous les facriléges fimples. Car les crimes qui en troublent l'exercice, font de la nature de ceux qui choquent la tranquilité des Citoyens ou leur fûreté, & doivent être renvoyés à ces claffes..

(a) Voy. Ariflide, Orat. in Minervar. (b) Denis d' Fatic, fur le Jugement de

Coriolan, Liv. VII.
(c) Minerva calculus.

Pourer

Pour que la peine des facriléges fimples foit tirée de la nature de la chofe (a), elle doit confifter dans la privation de tous les avantages que donne la Religion, l'expulsion hors des Temples, Ja privation de la Société des fideles pour un tems ou pour toûjours, la fuite de leur préfence, les exécrations, les déteftations, les conjurations.

Dans les chofes qui troublent la tranquilité ou la fureté de l'Etat, les actions cachées font du reffort de la Juftice humaine. Mais dans celles qui bleffent la Divinité, là où il n'y a point d'action publique, il n'y a point de matiere de crime; tout s'y paffe entre l'homme & Dieu, qui fçait la mesure & le tems de fes vengeances. Que fi confondant les chofes on recherche aussi le facrilege caché, on porte une inquifition fur un genre d'action où elle n'est point néceffaire; on détruit la liberté des Citoyens en armant contr'eux le zele des confciences timides & celui des confciences hardies.

Le mal eft venu de cette idée qu'il faut venger la Divinité. Mais il faut faire honorer la Divinité & ne la venger jamais. En effet fi l'on fe conduifoit par cette derniere idée, quelle feroit la fin des fupplices? Si les Loix des hommes ont à venger un Etre infini, elles fe regleront fur fon infinité, & non pas fur les foibleffes, fur les ignorances, fur les caprices de la nature humaine.

Un Hiftorien (b) de Provence rapporte un fait qui nous peint très-bien ce que peut produire fur des efprits foibles cette idée de venger la Divinité. Un Juif accufé d'avoir blafphêmé contre la Ste. Vierge fut condamné à être écorché. Des Chevaliers mafqués, le couteau à la main, monterent fur l'échafaut & en chafferent l'Exécuteur pour venger eux-mêmes l'honneur de la Ste. Vierge...... Je ne veux point prévenir les réflexions du Le&teur.

La feconde claffe eft des crimes qui font contre les mœurs. Telles font la violation de la continence publique ou particuliere, c'est-à-dire, de la Police fur la maniere dont on doit jouir des plaifirs attachés à l'ufage des fens, & à l'union des corps. Les peines de ces crimes doivent encore être tirées de la nature de la chofe; la privation des avantages que la Société a attachés à la pureté des mœurs, les amendes, la honte, la contrainte de fe

(a) St. Louis fit des Loix fi outrées contre ceux qui juroient, que le Pape fe crut obligé de l'en avertir. Ce Prince modéra

fon zele, & adoucit fes Loix (a).
(b) Le P. Bougerel.
(a) Voyez les Ordonnances.
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cacher

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cacher, l'infamie publique, l'expulfion hors de la Ville & de la Société; enfin toutes les peines qui font du reffort de la Jurif diction correctionelle, fuffifent pour réprimer la témérité des deux Sexes. En effet, ces chofes font moins fondées fur la méchanceté que fur l'oubli ou le mépris de foi-même.

Il n'eft ici queftion que des crimes qui intéreffent uniquement les mœurs, non de ceux qui choquent auffi la fùrete publique, tels que l'Enlevement & le Viol, qui font de la quatrieme efpece.

Les crimes de la troifieme claffe font ceux qui choquent la tranquilité des Citoyens; & les peines en doivent être tirées de la nature de la chofe, & fe rapporter à cette tranquilité, comme la prifon, l'exil, les corrections, & autres peines qui ramenent les efprits inquiets & les font rentrer dans l'ordre établi.

Je reftreins les crimes contre la tranquilité aux chofes qui com tiennent une simple léfion de Police; car celles qui troublant la tranquilité, attaquent en même tems la fùreté, doivent être mifes dans la quatrieme claffe.

Les peines de ces derniers crimes font ce qu'on appelle des fupplices. C'eft une espece de talion, qui fait que la Société refue la fureté à un Citoyen qui en a privé, ou qui a voulu en pri ver un autre. Cette peine eft tirée de la nature de la chofe, puifée dans la Raifon, & dans les fources du bien & du mal. Un Citoyen? mérite la-mort lorsqu'il a violé la fûreté au point qu'il a ôté la vie, ou qu'il a entrepris de l'ôter. Cette peine de mort eft comme le remede de la Société malade.. Lorfqu'on viole la fûreté à l'égard des biens, il peut y avoir des raifons pour que la peine foit ca pitale: mais il vaudroit peut-être mieux, & il feroit plus de la l Nature, que la peine des crimes contre la fureté des biens fût punie par la perte des biens; & cela devroit être ainfi fi les fortunes

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étoient communes ou égales. Mais comme ce font ceux qui n'ont point de biens qui attaquent plus volontiers celui des autres, il a fallu que la peine corporelle fuppleât à la pécuniaire.

Tout ce que je dis eft puifé dans la Nature, & eft très-favora ble à la liberté du Citoyen.

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CHAPITRE

CHAPITRE V.

De certaines accufations qui ont particulierement befoin de modération & de prudence.

AXIME importante: il faut être très-circonfpect dans la pourfuite de la Magie & de l'Héréfie. L'accufation de ces deux crimes peut extremement choquer la liberté, & être la fource d'une infinité de tyrannies, fi le Légiflateur ne fçait la borner. Car comme elle ne porte pas directement fur les actions d'un Citoyen, mais plutôt fur l'idée que l'on s'eft faite de fon caractere, elle devient dangereufe à proportion de l'ignorance du peuple; & pour lors un Citoyen eft toûjours en danger, parce que la meilleure conduite du monde, la morale la plus pure, la pratique de tous les devoirs, ne font point des garants contre les foupçons de ces

crimes.

Sous Manuel Comnene, le Proteftator (a) fut accufé d'avoir confpiré contre l'Empereur & de s'être fervi pour cela de certains fecrets qui rendent les hommes invifibles. Il eft dit dans la vie de cet Empereur (b) que l'on furprit Aaron lifant un Livre de Salomon, dont la lecture faifoit paroître des légions de Démons. Or en fuppofant dans la Magie une puiffance qui arme l'Enfer, & en partant de-là, on regarde celui que l'on appelle un Magicien comme l'homme du monde le plus propre à troubler & à renverfer la Société, & l'on eft porté à le punir fans mefure.

L'indignation croît lorfque l'on met dans la magie le pouvoir de détruire la Religion. L'Hiftoire de Conftantinople (c) nous apprend que fur une révélation qu'avoit eue un Evêque qu'un miracle avoit ceffé à caufe de la Magie d'un particulier, lui & fon fils furent condamnés à mort. De combien de chofes prodigieufes ce crime ne dépendoit-il pas ? Qu'il ne foit pas rare qu'il y ait des révélations, que l'Evêque en ait eu une, qu'elle fût véritable, qu'il y eût eu un miracle, que ce miracle eût ceffé, qu'il y eût de la Magie, que la Magie pût renverfer la Religion, que

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