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guerre civile de l'autre. Que fi au contraire le Conquérant rend le trône au Prince légitime; il aura un Allié néceffaire, qui avec les forces qui lui feront propres, augmentera les fiennes. Nous venons de voir Schah Nadir conquérir les tréfors du Mogol; & lui laiffer l'Indouftan.

LIVRE ONZIE M E.

Des Loix qui forment la Liberté Politique dans fon rapport avec la Conftitution.

fon

CHAPITRE PREMIER.

Idée générale.

E diftingue les Loix qui forment la Liberté politique dans rapport avec la Conftitution, d'avec celles qui la forment dans fon rapport avec le Citoyen. Les premieres feront le fujet de ce Livre-ci; je traiterai des fecondes dans le Livre fuivant.

CHAPITRE I I.

Diverfes fignifications données au mot de Liberté.

L n'y a point de mot qui ait reçû plus de différentes fignifications, & qui ait frappé les efprits de tant de manieres, que celui de Liberté. Les uns l'ont pris pour la facilité de dépofer celui à qui ils avoient donné un pouvoir tyrannique; les autres pour la faculté d'élire celui à qui ils devoient obéir; d'autres pour le droit d'être armés, & de pouvoir exercer la violence; ceux-ci pour le privilége de n'être gouvernés que par un homme de leur Nation ou par leurs propres Loix (a). Certain peuple a long-tems

(a)" Pai, dit Ciceron, copié l'Edit de Scévola, qui permet aux Grecs de terminer entr'eux leurs différends felon

leurs Loix; ce qui fait qu'ils fe regardent comme des Peuples libres.,,

pris la Liberté, pour l'ufage, de porter une longue barbe (a); Ceux-ci ont attaché ce nom à une forme de Gouvernement, & en ont exclu les autres. Ceux qui avoient goûté du Gouvernement Républicain, l'ont mife dans ce Gouvernement; ceux qui avoient joui du Gouvernement Monarchique, l'ont placée dans la Monarchie (b): Enfin chacun a appellé Liberté le Gouvernement qui étoit conforme à fes coûtumes, ou à fes inclinations; & comme dans une République on n'a pas toujours devant les yeux, & d'une maniere fi préfente, les inftrumens des maux dont on fe plaint, & que même les Loix paroiffent y parler plus, & les exécuteurs de la Loi y parler moins, on la place ordinairement dans les Républiques, & on l'a exclue des Monarchies. Enfin comme dans les Démocraties le peuple paroît àpeu-près faire ce qu'il veut, on a mis la Liberté dans ces fortes de Gouvernemens, & on a confondu le pouvoir du Peuple avec la liberté du Peuple.

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Left vrai que dans les Démocraties le peuple paroît faire ce qu'il veut mais la Liberté politique ne confifte point à faire ce que l'on veut. Dans un Etat, c'est-à-dire, dans une Société où il y a des Loix, la liberté ne peut confifter qu'à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir, & à n'être point contraint de faire ce que l'on ne doit pas vouloir.

que

Il faut fe mettre dans l'efprit ce que c'eft que l'Indépendance & ce que c'est la Liberté. La Liberté eft le droit de faire tout ce que les Loix permettent; & fi un Citoyen pouvoit faire ce qu'elles défendent, il n'auroit plus de Liberté, parce que les autres auroient tout de même ce pouvoir.

(a) Les Mofcovites ne pouvoient fouffrir que le Czar Pierre la leur fit couper.

(b) Les Capadociens refuferent l'Etat Républicain, que leur offrirent les Romains,

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CHAPITRE

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CHAPITRE IV.

Continuation du même fujet.

A Démocratie & l'Ariftocratie ne font point des Etats libres par leur nature. La Liberté politique ne fe trouve que dans les Gouvernemens modérés. Mais elle n'eft pas toujours dans les Etats modérés. Elle n'y eft que lorsqu'on n'abuse pas du pouvoir: Mais c'est une expérience éternelle, que tout homme qui a du pouvoir eft porté à en abufer; il va jufqu'à ce qu'il trouve des limites. Qui le diroit! la vertu même a befoin de limites.

Pour qu'on ne puiffe abufer du pouvoir, il faut que par la difpofition des chofes le pouvoir arrête le pouvoir. Une conftitution peut être telle que perfonne ne fera contraint de faire les chofes auxquelles la Loi ne l'oblige pas, & à ne point faire celles que la Loi lui permet.

CHAPITRE V.

De l'objet des Etats divers.

UOIQUE tous les Etats aient en général un même objet, qui eft de fe maintenir, chaque Etat en a pourtant un qui lui eft particulier. L'aggrandiffement étoit l'objet de Rome la guerre celui de Lacédémone, la Religion celui des Loix Judaïques, le Commerce celui de Marfeille, la tranquilité publique celui des Loix de la Chine (a), la navigation celui des Loix des Rhodiens, la Liberté naturelle l'objet de la police des Sauvages, en général les délices du Prince celui des Etats Defpotiques, fa gloire & celle de l'Etat celui des Monarchies; l'indépendance de chaque particulier eft l'objet des Loix de Pologne, & ce qui en réfulte l'oppreffion de tous (b).

Il y a auffi une Nation dans le monde qui a pour objet direct de fa conftitution la Liberté politique. Nous allons examiner les

(a) Objet naturel d'un Etat qui n'a point d'ennemis au dehors, ou qui croit les avoir

arrêtés par des barrieres.

(b) Inconvénient du Liberum veto.
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principes fur lefquels elle la fonde. S'ils font bons, la Liberté paroîtra comme dans un miroir.

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Pour découvrir la Liberté politique dans la conftitution, il ne faut pas tant de peine. Si on peut la voir là où elle eft, fi on l'y a trouvée; pourquoi la chercher?

CHAPITRE VI.

De la Conftitution d'Angleterre.

Ly a dans chaque Etat trois fortes de pouvoirs, la puiffance légiflative, la puiffance exécutrice des chofes qui dépendent du Droit des gens, & la puiffance exécutrice de celles qui dépen

dent du Droit Civil.

Par la premiere, le Prince ou le Magiftrat fait des Loix pour un tems ou pour toûjours, & corrige ou abroge celles qui font faites. Par la feconde il fait la paix ou la guerre, envoye ou reçoit des Ambaffades, établit la fûreté, prévient les invasions. Par la troifieme il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers. On appellera cette derniere la puiffance de Juger, & l'autre fimplement la puiffance exécutrice de l'Etat.

pour

La Liberté politique dans un Citoyen eft cette tranquilité d'efprit qui provient de l'opinion que chacun a de fa fûreté ; & qu'on ait cette Liberté, il faut que le Gouvernement foit tel qu'un Citoyen ne puiffe pas craindre un Citoyen.

Lorfque dans la même perfonne ou dans le même Corps de Magiftrature, la puiffance légiflative eft réunie à la puiffance exé cutrice, il n'y a point de liberté; parce qu'on peut craindre que le même Monarque ou le même Sénat ne faffe des Loix tyranniques, pour les exécuter tyranniquement.

Il n'y a point encore de liberté fi la puiffance de juger n'eft pas féparée de la puiffance légiflative & de l'exécutrice. Si elle étoit jointe à la puiffance légiflative, le pouvoir fur la vie & la liberté des Citoyens feroit arbitraire; car le Juge feroit Législateur. Si elle étoit jointe à la puiffance exécutrice, le Juge pourroit avoir la force d'un oppreffeur.

Tout feroit perdu fi le même homme ou le même Corps des Principaux, ou des Nobles, ou du Peuple exerçoient ces trois pouvoirs, celui de faire des Loix, celui d'exécuter les réfolutions Partie I. publiques,

V

publiques, & celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.

Dans la plupart des Royaumes de l'Europe le Gouvernement eft modéré, parce que le Prince qui a les deux premiers pouvoirs, laiffe à fes Sujets l'exercice du troifieme. Chez les Turcs, où ces trois pouvoirs font réunis fur la tête du Sultan, il regne un affreux Defpotifme.

Dans les Républiques d'Italie où ces trois pouvoirs font réunis, la liberté fe trouve moins que dans nos Monarchies. Auffi le Gouvernement a-t-il befoin pour fe maintenir de moyens auffi violens que le Gouvernement des Turcs; témoins les Inquifiteurs d'Etat (a) & le tronc où tout délateur peut à tous les momens jetter avec un billet fon accufation.

Voyez quelle peut être la fituation d'un Citoyen dans ces Républiques. Le même Corps de Magiftrature a, comme exécuteur des Loix, toute la puiffance qu'il s'eft donnée comme Légiflateur. Il peut ravager l'Etat par fes volontés générales; & comme il a encore la puiffance de juger, il peut détruire chaque Citoyen par fes volontés particulieres.

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Toute la puiffance y eft une ; & quoiqu'il n'y ait point de pe extérieure qui découvre un Prince defpotique, on le sent à chaque inftant.

Auffi les Princes qui ont voulu fe rendre defpotiques, ont-ils toûjours commencé par réunir en leur perfonne toutes les Magiftratures, & plufieurs Rois d'Europe toutes les grandes charges de leur État.

Je crois bien que la pure Ariftocratie héréditaire des Républiques d'Italie, ne répond pas précisément au Defpotifme de l'Afie. La multitude des Magiftrats adoucit quelquefois la Magiftrature; tous les Nobles ne concourent pas toûjours aux mêmes deffeins; on y forme divers Tribunaux qui fe temperent. Ainfi à Venise le Grand Confeil a la Légiflation, le Prégady l'exécution, les Quaranties le pouvoir de juger. Mais le mal eft que ces Tribunaux différens font formés par des Magiftrats du même Corps, ce qui ne fait guere qu'une même puiffance.

La puiffance de juger ne doit pas être donnée à un Sénat permanent, mais exercée par des perfonnes tirées du Corps du Peuple (b), dans certains tems de l'année, de la maniere pref

(a) A Venile.

(b) Comme A Athenes.

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