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La plus imparfaite de toutes, eft celle où la partie du Peuple qui obéit eft dans l'efclavage civil de celle qui commande, comme l'Ariftocratie de Pologne, où les Païfans font esclaves de la Nobleffe.

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Des Loix dans leur rapport à la nature du Gouvernement

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Es Pouvoirs intermédiaires fubordonnés & dépendans conftituent la nature du Gouvernement Monarchique, c'est-àdire, de celui où un feul gouverne par des Loix fondamentales. J'ai dit les Pouvoirs intermédiaires, fubordonnés & dépendans: en effet dans la Monarchie le Prince eft la fource de tout pouvoir, politique & civil. Ces Loix fondamentales fuppofent néceffairement des canaux moyens par où coule la Puiffance : car s'il n'y a dans l'Etat que la volonté momentanée & capricieuse d'un feul, rien ne peut être fixe, & par conféquent aucune Loi fondamentale.

Le Pouvoir intermédiaire fubordonné le plus naturel est celui de la Nobleffe. Elle entre en quelque façon dans l'effence de la Monarchie, dont la maxime fondamentale eft, point de Monarque, point de Nobleffe; point de Noblesse, point de Monarque; mais on a un Defpote.

Il y a des gens qui avoient imaginé dans quelques états en Europe d'abolir toutes les Juftices des Seigneurs. Ils ne voyoient pas qu'ils vouloient faire ce que le Parlement d'Angleterre a fait. Aboliffez dans une Monarchie les prérogatives des Seigneurs, du Clergé, de la Nobleffe & des Villes; vous aurez bien-tôt un Etat Populaire, ou bien un Etat Defpotique.

Les Tribunaux d'un grand Etat en Europe frappent fans ceffe depuis plufieurs Siecles fur la Jurifdiction patrimoniale des Seigneurs & fur l'Eccléfiaftique. Nous ne voulons pas cenfurer des Magiftrats fi fages: mais nous laiffons à décider jusqu'à quel point fa Conftitution en peut être changée.

Je ne fuis point entêté des priviléges des Eccléfiaftiques: mais je voudrois qu'on fixât bien une fois leur Jurifdiction. Il n'eft point

queftion

queftion de favoir fi on a eu raifon de l'établir; mais fi elle eft établie, fi elle fait une partie des Loix du pays, & fi elle y eft par-tout relative, fi entre deux Pouvoirs que l'on reconnoît indépendans, les conditions ne doivent pas être réciproques, & s'il n'eft pas égal à un bon fujet de défendre la Juftice du Prince ou les limites qu'elle s'eft de tout tems prefcrites.

Autant que le Pouvoir du Clergé eft dangereux dans une République, autant eft-il convenable dans une Monarchie; fur-tout dans celles qui vont au Defpoftime. Où en feroient l'Espagne & le Portugal depuis la perte de leurs Loix, fans ce Pouvoir qui arrête feul la Puiffance arbitraire? Barriere toujours bonne lorsqu'il n'y en a point d'autre : car comme le Defpotifme caufe à la Nature humaine des maux effroyables, le Mal même qui le limite est un Bien.

Comme la Mer qui femble vouloir couvrir la Terre, est arrêtée par les herbes & les moindres graviers qui fe trouvent fur le rivage; ainfi les Monarques dont le Pouvoir paroît fans bornes, s'arrêtent par les plus petits obftacles & foûmettent leur fierté naturelle à la plainte & à la priere.

Les Anglois pour favoriser la liberté, ont ôté toutes les Puiffances intermédiaires qui formoient leur Monarchie. Ils ont bien raifon de conferver cette liberté; s'ils venoient à la perdre, ils feroient un des peuples les plus esclaves de la Terre.

Mr. Law, par une ignorance égale de la Conftitution Républicaine & de la Monarchique, fut un des plus grands promoteurs du Defpotifme que l'on eût encore vû en Europe. Outre les changemens qu'il fit fi brufques, fi inufités, fi inouis; il vouloit ôter les rangs intermédiaires, & anéantir les Corps politiques: il diffolvoit (a) la Monarchie par fes chimériques remboursemens, & fembloit vouloir racheter la Conftitution même.

Il ne fuffit pas qu'il y ait dans une Monarchie des rangs intermédiaires; il faut encore un dépôt de Loix. Ce dépôt ne peut être que dans les Corps Politiques, qui annoncent les Loix lorfqu'elles font faites, & les rappellent lorfqu'on les oublie. L'ignorance naturelle à la Nobleffe, fon inattention, fon mépris pour le Gouvernement Civil, exigent qu'il y ait un Corps qui faffe fans ceffe fortir les Loix de la pouffiere où elles feroient enfeve

(a) Ferdinand Roi d'Arrangon se fit Grand Maître des Ordres, & cela feul altéra la Conftitution.

lies. Le Confeil du Prince n'eft pas un dépôt convenable. Il est par fa nature le dépôt de la volonté momentanée du Prince qui exécute, & non pas le dépôt des Loix fondamentales. De plus de Confeil du Monarque change fans ceffe; il n'eft point permanent; il ne fauroit être nombreux; il n'a point à un affez haut degré la confiance du Peuple; il n'eft donc pas en état de l'éclairer dans les tems difficiles, ni de le ramener à l'obéiffance.

Dans les Etats Defpotiques où il n'y a point de Loix fondamentales, il n'y a pas non plus de dépôt de Loix. De là vient que dans ces Pays la Religion a ordinairement tant de force; c'est qu'elle forme une espece de dépôt & de permanence, & fi ce n'est pas la Religion, ce font les Coûtumes qu'on y vénere au lieu des Loix.

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CHAPITRE V.

Des Loix relatives à la nature de l'Etat Defpotique.

L réfulte de la nature du pouvoir defpotique, que l'homme feul qui l'exerce, le faffe de même exercer par un feul. Un homme à qui fes cinq Sens difent fans ceffe qu'il eft tout, & que les autres ne font rien, eft naturellement pareffeux, ignorant, voluptueux. Il abandonne donc les affaires. Mais s'il les confioit à plufieurs, il y auroit des difputes entr'eux; on feroit des brigues pour être le premier efclave; le Prince feroit obligé de rentrer dans l'administration. Il eft donc plus fimple qu'il l'abandonne à un Vizir (a) qui aura d'abord la même puiffance que lui. L'établiffement d'un Vizir eft dans cet Etat une Loi fondamentale.

On dit qu'un Pape à fon élection, pénétré de fon incapacité, fit d'abord des difficultés infinies. Il accepta enfin, & livra à son neveu toutes les affaires. Il étoit dans l'admiration & difoit: "Je "n'aurois jamais crû que cela eût été fi aifé.,, Il en eft de même des Princes d'Orient. Lorfque de cette prifon, où des Eunuques leur ont affoibli le coeur & l'efprit, & fouvent leur ont laiffé ignorer leur état même; on les tire pour les placer fur le Trône; ils font d'abord étonnés : mais quand ils ont fait un Vizir, que dans leur Serrail ils fe font livrés aux paffions les plus bru

&

(a) Les Rois d'Orient ont toûjours des Vizirs, dit Mr. Chardin.

Partie L

C

tales,

tales, lors qu'au milieu d'une Cour abbatue, ils ont fuivi Icurs caprices les plus ftupides, ils n'auroient jamais crû que cela eût

été fi aifé.

Plus l'Empire eft étendu, plus le Serrail s'agrandit, & plus par conféquent le Prince eft enyvré de plaifirs. Ainfi dans ces Etats, plus le Prince a de peuples à gouverner, moins il penfe au Gouvernement; plus les affaires ly font grandes, & moins on y délibere fur les affaires.

LIVRE TROISIE M E.

Des principes des trois Gouvernemens.

A

CHAPITRE PREMIER.

Différence de la nature du Gouvernement & de fon
principe.

PRE's avoir examiné quelles font les Loix relatives à la nature de chaque Gouvernement, il faut voir celles qui le font à fon principe.

Il y a cette différence (a) entre la nature du Gouvernement & fon principe, que fa nature eft ce qui le fait être tel, & fon principe ce qui le fait agir. L'une eft fa ftructure particuliere, & Pautre les paffions humaines qui le font mouvoir.

Or, les Loix ne doivent pas être moins relatives au principe de chaque Gouvernement qu'à fa nature. Il faut donc chercher quel eft ce principe. C'eft ce que je vais faire dans ce Livre-ci.

(4) Cette diftinction eft très-importante, & j'en tirerai bien des conféquences ; elle eft la clé d'une infinité de Loix.

CHAPITRE

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dit

CHAPITRE II.

Du Principe des divers Gouvernemens.

que la nature du Gouvernement Républicain, eft que Peuple en Corps ou de certaines familles, y aient la fouveraine Puiffance: celle du Gouvernement Monarchique, que le Prince y ait la fouveraine Puiffance, mais qu'il l'exerce felon des Loix établies; celle du Gouvernement defpotique, qu'un feul y gouverne felon fes volontés & ses caprices. Il ne m'en faut pas davantage pour trouver leurs trois principes; ils en dérivent naturellement. Je commencerai par le Gouvernement Répu blicain, & je parlerai d'abord du Démocratique.

CHAPITRE III.

Du principe de la Démocratie.

L ne faut pas beaucoup de probité pour qu'un Gouvernenement Monarchique ou un Gouvernement defpotique se maintiennent ou fe foûtiennent. La force des Loix dans l'un, le bras du Prince toujours levé dans l'autre, reglent ou contiennent tout. Mais dans un Etat populaire il faut un reffort de plus, qui eft la VERTU.

Ce que je dis eft confirmé par le corps entier de l'Hiftoire, & eft très-conforme à la nature des choses. Car il eft clair que dans une Monarchie, où celui qui fait exécuter les Loix, fe juge audeffus des Loix, on a befoin de moins de vertu que dans un Gouvernement populaire, où celui qui fait exécuter les Loix fent qu'il y eft foumis lui-même, & qu'il en portera le poids.

Il eft clair encore que le Monarque, qui par mauvais confeil ou par négligence, ceffe de faire exécuter les Loix, peut aifé-: ment réparer le mal; il n'a qu'à changer de Confeil, ou fe corriger de cette négligence même. Mais lorfque, dans un Gouvernement populaire, les Loix ont ceffé d'être exécutées, comme

C 2

cela

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