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CHAPITRE IX.

De la force relative des Etats.

OUTE grandeur, toute force, toute puiffance eft relative.

Ti Il faut bien prendre garde qu'en cherchant à augmenter la

grandeur réelle, on ne diminue la grandeur refative.

Vers le mileu du Regne de Louis XIV. la France fut au plus haut point de fa grandeur relative. l'Allemagne n'avoit point encore les grands Monarques qu'elle a eus depuis. L'Italie étoit dans le même cas. L'Ecoffe & l'Angleterre ne formoient point un Corps de Monarchie. L'Arragon n'en formoit pas un avec la Caftille; les parties féparées de l'Espagne en étoient affoiblies, & l'affoibliffoient; la Mofcovie n'étoit pas plus connue en Europe que la Crimée.

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CHAPITRE X.

De la foibleffe des Etats voisins.

ORSQU'ON a pour voifin un Etat qui eft dans fa décadence, on doit bien fe garder de hâter fa ruine, parce qu'on eft à cet égard dans la fituation la plus heureuse où l'on puiffe être ; n'y ayant rien de fi commode pour un Prince, que d'être auprès d'un autre qui reçoit pour lui tous les coups & tous les outrages de la Fortune. Et il eft rare que par la conquête d'un pareil Etat on augmente autant en puiffance réelle qu'on a perdu en puiffance relative.

LIVRE DIXIE M E.

Des Loix dans le rapport qu'elles ont avec la force offenfive..

L

CHAPITRE

PREMIER.

De la force offenfive.

A force offenfive eft réglée par le Droit des gens, qui eft la
Loi politique des Nations confidérées dans le rapport qu'elles

ont les unes avec les autres.

L

CHAPITRE II.

De la Guerre.

A vie des Etats eft comme celle des hommes. Ceux-ci ont droit de tuer dans le cas de la défense naturelle; ceux-là ont

droit de faire la guerre pour leur propre confervation.

Dans le cas de la défenfe naturelle j'ai droit de tuer, parce que ma vie eft à moi, comme la vie de celui qui m'attaque est à lui de même un Etat fait la guerre, parce que fa confervation eft jufte comme toute autre confervation.

Entre les Citoyens le droit de la défense naturelle n'emporte point avec lui la néceffité de l'attaque. Au lieu d'attaquer ils n'ont qu'à recourir aux Tribunaux. Ils ne peuvent donc exercer le droit de cette défenfe que dans les cas momentanées où l'on feroit perdu fi l'on attendoit le fecours des Loix. Mais entre les Sociétés le droit de la défense naturelle entraîne quelquefois la neceffité d'attaquer, lorfqu'un Peuple voit qu'une plus longue paix, en mettroit un autre en état de le détruire, & que l'attaque eft dans ce moment le feul moyen d'empêcher cette deftruction.

Il fuit de-là que les petites Sociétés, ont plus fouvent le droit de faire la guerre que les grandes, parce qu'elles font plus fouvent dans le cas de craindre d'être détruites.

Le droit de la Guerre dérive donc de la néceffité & du Jufte` rigide. Si ceux qui dirigent la confcience, ou les Confeils des Princes ne fe tiennent pas là, tout eft perdu : & lorsqu'on se fondera fur des principes arbitraires de gloire, de bienféance, d'utilité, des flots de fang inonderont la Terre.

Que l'on ne parle pas fur-tout de la gloire du Prince; fa gloire feroit fon orgueil; c'eft une paffion & non pas un droit légitime. Il eft vrai que la réputation de fa puiffance pourroit augmenter les forces de fon Etat; mais la réputation de fa juftice les augmenteroit tout de même.

D

CHAPITRE III.

Du Droit de Conquête.

UJ Droit de la Guerre dérive celui de Conquête, qui en eft la conféquence; il en doit donc fuivre l'efprit.

Lorfqu'un peuple eft conquis, le droit que le Conquérant a fur lui fuit quatre fortes de loix, la Loi de la nature, qui fait que tout tend à la confervation des efpeces; la Loi de la lumiere naturelle, qui veut que nous faffions à autrui ce que nous voudrions qu'on nous fit; la Loi qui forme les Sociétés politiques, qui font telles que la Nature n'en a point borné la durée; enfin la Loi tirée de la chofe même. La Conquête eft une acquifition; l'efprit d'acquifition porte avec lui l'efprit de confervation & d'usage, & non pas celui de deftruction.

Un Etat qui en a conquis un autre, le traite d'une des quatre manieres fuivantes. Il continue à le gouverner felon fes Loix,

& ne prend pour lui que l'exercice du Gouvernement politique

& civil; ou il lui donne un nouveau Gouvernement politique & civil; ou il détruit la Société & la disperse dans d'autres ; ou enfin il extermine tous les Citoyens.

La premiere maniere eft conforme au Droit des gens que nous fuivons aujourd'hui; la quatrieme eft plus conforme au Droit gens des Romains: fur quoi je laiffe à juger à quel point nous fommes devenus meilleurs. Il faut rendre ici hommage à

des

Partie I.

S

nos

nos tems modernes, à la Raifon présente, à la Religion d'aujourd'hui, à notre Philofophie, à nos mœurs.

Les Auteurs de notre Droit public, fondés fur les Hiftoires anciennes, étant fortis des cas rigides, font tombés dans de grandes erreurs. Ils ont donné dans l'arbitraire; ils ont fuppofé dans les Conquérans un Droit, je ne fçai quel, de tuer; ce qui leur a fait tirer des conféquences terribles comme le principe, & établir des maximes que les Conquérans eux-mêmes, for qu'ils ont eû le moindre fens, nont jamais prifes. Il eft clair que lorfque la Conquête eft faite, le Conquérant n'a plus le droit de tuer, puifqu'il n'eft plus dans le cas de la défense naturelle, & de fa propre

confervation.

Ce qui les a fait penfer ainfi, c'eft qu'ils ont cru que le Conquérant avoit droit de détruire la Société ; d'où ils ont conclu qu'il avoit celui de détruire les hommes qui la compofent; ce qui eft une conféquence fauffement tirée d'un faux principe. Car de ce que la Société feroit anéantie il ne s'enfuivroit pas que les hommes qui la forment duffent auffi être anéantis. La Sociéte eft l'union des hommes, & non pas les hommes; le Citoyen peut périr & l'homme refter.

Du droit de tuer dans la Conquête, les Politiques ont tiré le droit de réduire en fervitude: mais la conféquence est auffi mal fondée que le principe.

On n'a droit de réduire en fervitude, que lorsqu'elle eft néceffaire pour la confervation de la Conquête. L'objet de la Conquête est la confervation; la fervitude n'eft j'amais l'objet de la Conquête, mais il peut arriver qu'elle foit un moyen néceffaire pour aller à la confervation

Dans ce cas il eft contre la nature de la chofe que cette fervitude foit éternelle. Il faut que le peuple efclave puiffe devenir fujet. L'efclavage dans la Conquête eft une chofe d'accident. Lorfqu'après un certain efpace de tems toutes les parties de l'Etat conquérant fe font liées avec celles de l'Etat conquis, par des coûtumes, des mariages, des loix, des affociations & une certaine conformité d'efprit, la fervitude doit ceffer. Car les droits du Conquérant ne font fondés que fur ce que ces chofes-là ne font pas, & qu'il y a un éloignement entre les deux nations tel que l'une ne peut pas prendre confiance en l'autre.

Ainfi le Conquérant qui réduit le peuple en fervitude, doit toûjours fe réserver des moyens, (& ces moyens font fans nombre) pour l'en faire fortir.

Je

Je ne dis point ici des chofes vagues. Nos peres qui conquirent l'Empire Romain en agirent ainfi. Les Loix qu'ils firent dans le feu, dans l'action, dans l'impétuofité, dans l'orgueil de la victoire, ils les adoucirent; leurs Loix étoient dures, ils les rendirent impartiales. Les Bourguignons, les Gots & les Lombards vouloient toûjours que les Romains fuffent le peuple vaincu; les Loix d'Euric, de Gondebaud & de Rotharis firent du Barbare & du Romain des concitoyens (a).

A fa

CHAPITRE I V.

Quelques avantages du Peuple conquis.

U lieu de tirer du droit de Conquête des conféquences fi fatales, les Politiques auroient mieux fait de parler des avantages que ce Droit peut quelquefois apporter au peuple vaincu. Ils les auroient mieux fentis, fi notre Droit des gens étoit exactement fuivi, & s'il étoit établi dans toute la terre.

pas

Les Etats que l'on conquiert ne font pas ordinairement dans la force de leur inftitution. La corruption s'y eft introduite. Les Loix y ont ceffé d'être exécutées, le Gouvernement eft devenu oppreffeur. Qui peut douter qu'un Etat pareil ne gagnât & ne tirât quelques avantages de la conquête même, fi elle n'étoit deftructive? Un Gouvernement parvenu au point où il ne peut plus se réformer lui-même, ne perdroit pas beaucoup à être refondu. Un Conquérant qui entre chez un Peuple, où par mille rufes & mille artifices le riche s'eft infenfiblement pratiqué une infinité de moyens d'ufurper; où le malheureux qui gémit, voyant ce qu'il croyoit des abus devenir des Loix, eft dans l'oppreffion & croit avoir tort de la fentir: un Conquérant, dis-je, peut dérouter tout, & la tyrannie fourde eft la premiere chofe qui fouffre la violence.

On a vû, par exemple, des Etats opprimés par les Traitans être foulagés par le Conquérant, qui n'avoit ni les engagemens ni les befoins qu'avoit le Prince légitime. Les abus fe trouvoient corrigés fans même que le Conquérant les corrigeât.

Quelquefois la frugalité de la Nation conquérante, l'a mife

(a) Voy. le Code des Loix des Barbares, & le Livre XXVIII. ci-deffous.

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