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CHAPITRE X X.

Conféquence des Chapitres précédens.

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UE fi la propriété naturelle des petits Etats, eft d'être vernés en République, celle des médiocres d'être foumis à un Monarque, celles des grands Empires d'être dominés par . un Defpote; il fuit que pour conferver les principes du Gouvernement établi, il faut maintenir l'Etat dans la grandeur qu'il avoit déja, & que cet Etat changera d'efprit, à mesure qu'on rétrécira ou qu'on étendra fes limites.

A

CHAPITRE X X I.

De l'Empire de la Chine.

VANT de finir ce Livre, je répondrois à une objection, qu'on peut faire fur tout ce que j'ai dit jufqu'ici.

Nos Miffionnaires nous parlent du vafte Empire de la Chine, comme d'un Gouvernement admirable, qui mêle ensemble dans fon principe la crainte, l'honneur & la vertu. J'ai donc pofé une distinction vaine, lorsque j'ai établi les principes des trois Gou

yernemens.

J'ignore ce que c'eft que cet honneur dont'on parle chez des Peuples, à qui on ne fait rien faire qu'à coups de bâton (a).

De plus, il s'en faut beaucoup que nos Commerçans nous donnent l'idée de cette vertu, dont nous parlent nos Miffionnaires; on peut les confulter fur les brigandages des Manda rins. (b).

D'ailleurs les Lettres du P. Parennin fur le procès que l'Empereur fit faire à des Princes du fang Néophytes (c), qui lui avoient déplû, nous font voir un plan de tyrannie conftamment fuivi, & des injures faites à la nature humaine avec regle, c'est-' à-dire de fang-froid.

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Nous avons encore les Lettres de M. De Mairan & du même P. Parennin fur le Gouvernement de la Chine. Après des quef tions & des réponses très-fenfées, le merveilleux s'eft évanoui.

Ne pourroit-il pas fe faire que les Miffionnaires auroient été trompés par une apparence d'ordre; qu'ils auroient été frappés de cet exercice continuel de la volonté d'un feul, par lequel ils font gouvernés eux-mêmes, & qu'ils aiment tant à trouver dans les Cours des Rois des Indes, parce que n'y allant que pour y faire de grands changemens, il leur eft plus aifé de convaincre les Princes qu'ils peuvent tout faire, que de perfuader aux Peuiples qu'ils peuvent tout fouffrir (a)?

Enfin il y a fouvent quelque chofe de vrai dans les erreurs mêmes. Des circonftances particulieres, & peut-être uniques, peuvent faire que le Gouvernement de la Chine, ne foit pas auffi corrompu qu'il devroit l'être. Des caufes tirées la plupart du phyfique, du climat, ont pû forcer les caufes morales dans ce pays, & faire des efpeces de prodige.

Le climat de la Chine eft tel qu'il favorife prodigieufement la propagation de l'efpece humaine. Les femmes y font d'une fécondité fi grande, que l'on ne voit rien de pareil fur la terre. La tyrannie la plus cruelle n'y arrête point le progrès de la propagation. Le Prince n'y peut pas dire comme Pharaon, opprimons-les avec fageffe. Il feroit plutôt réduit à former le fouhait de Néron, que le genre humain n'eût qu'une tête. Malgré la tyrannie, la Chine par la force du climat, fe peuplera toûjours, & triomphera de la tyrannie.

La Chine, comme tous les Pays où croît le riz (b), eft fujette à des famines fréquentes. Lorfque le Peuple meurt de faim, il fe difperfe pour chercher de quoi vivre; il fe forme de toutes parts des bandes de trois, quatre ou cinq voleurs. La plupart font d'abord exterminés; d'autres fe groffiffent, & font exterminés encore. Mais dans un fi grand nombre de Provinces & fi éloignées, il peut arriver que quelque troupe faffe fortune. Elle fe maintient, fe fortifie, fe forme en corps d'armée, va droit à la Capitale, & le Chef monte fur le trône.

Telle eft la nature de la chofe que le mauvais Gouvernement

(a) Voyez dans le P. Duhalde, comment les Miffionnaires fe fervirent de l'autorité de Canhi pour faire taire les Mandarins, qui difoient toûjours, que par les

Loix du pays, un Culte étranger ne pouvoit être établi dans l'Empire.

(b) Voy. ci-deffous le Liv. XXIII, chap. 14.

y

y eft d'abord puni. Le défordre y naît foudain, parce que ce Peuple prodigieux manque de fubfiftance. Ce qui fait que dans d'autres Pays on revient fi difficilement des abus, c'eft qu'ils n'y ont pas des effets d'abord fenfibles; le Prince n'y eft pas averti d'une maniere prompte & éclatante, comme il l'eft à la Chine.

Il ne fentira point comme nos Princes, que s'il gouverne mal, il fera moins heureux dans l'autre vie, moins puiffant & moins riche dans celle-ci. Il faura que fi fon Gouvernement n'eft pas bon, il perdra l'Empire & la vie.

Comme malgré les expofitions d'enfans le Peuple augmente toûjours à la Chine (a), il faut un travail infatigable pour faire produire aux terres de quoi le nourrir. Cela demande du Gouvernement une attention qu'on n'a point ailleurs. Il eft à tous les inftans intéreffé à ce que tout le monde puiffe travailler fans crainte d'être fruftré de fes peines. Ce doit moins être un Gouvernement civil qu'un Gouvernement domeftique.

Voilà ce qui a produit les reglemens dont on parle tant..On a voulu faire régner les Loix avec le Defpotifme: mais ce qui eft joint avec le Defpotifme n'a plus de force. En vain ce Defpotifme preffé par fes malheurs a-t-il voulu s'enchaîner; il s'arme de fes chaînes & devient plus terrible encore.

La Chine est donc un Etat Defpotique dont le principe eft la crainte. Peut-être que dans les premieres Dynafties, l'Empire: n'étant pas fi étendu, le Gouvernement déclinoit un peu de cet esprit. Mais aujourd'hui cela n'est pas.

(a) Voy, le Mémoire d'un Tongtou, pour qu'on défriche, Lettres édif. 21. Recueil

LIVRE NEUVIEM E.

Des Loix dans le rapport, qu'elles ont
avec la force defenfive.

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CHAPITRE PREMIER.

Comment les Républiques pourvoyent à leur fûreté.

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I une République eft petite, elle eft détruite par une force étrangere; fi elle eft grande, elle fe détruit par un vice in

térieur.

Ce double inconvénient infecte également les Démocraties & les Ariftocraties, foit qu'elles foient bonnes, foit qu'elles foient mauvaises. Le mal eft dans la chofe même; il n'y a aucune forme qui puiffe y rémédier.

Ainfi il y a grande apparence que les hommes auroient été à la fin obligés de vivre toûjours fous le Gouvernement d'un feul, s'ils n'avoient imaginé une maniere de conftitution qui a tous les avantages intérieurs du Gouvernement Républicain & la force exterieure du Monarchique. Je parle de la République fédérative.

Cette forme de Gouvernement eft une convention par laquelle plufieurs Corps politiques confentent à devenir Citoyens d'un Etat plus grand qu'ils veulent former. C'eft une Societé de Sociétés, qui en font une nouvelle, qui peut s'aggrandir par de nouveaux affociés, qui fe font unis.

Ce furent ces affociations qui firent fleurir fi long-tems le Corps de la Grece. Par elles les Romains attaquerent l'Univers, & par elles feules l'Univers fe défendit contr'eux; & quand Rome fut parvenue au comble de fa grandeur, ce fut par des affociations derriere le Danube & le Rhin, affociations que la frayeur avoit fait faire, que les Barbares purent lui résister.

C'est par-là que la Hollande (a), l'Allemagne, les Ligues (a) Elle eft formée par environ cin- unes des autres. Etat des Provinces-Unies ¿ quante Républiques toutes différentes les par Mr. Janiffon.

Suiffes,

Suiffes, font regardées en Europe comme des Républiques éter

nelles.

Les affociations des Villes étoient autrefois plus néceffaires qu'elles ne le font aujourd'hui. Une Cité fans puiffance couroit de plus grands périls. La conquête lui faifoit perdre, non feulement la puiffance exécutrice & la législative, comme aujourd'hui ; mais encore tout ce qu'il y a de propriété parmi les hommes ( a ).

Cette forte de République capable de réfifter à la force extérieure, peut se maintenir dans fa grandeur fans que l'intérieur se corrompe; la forme de cette Société prévient tous les incon

véniens.

Celui qui voudroit ufurper ne pourroit guere être également accrédité dans tous les Etats confédérés. S'il fe rendoit trop puissant dans l'un, il allarmeroit tous les autres; s'il fubjuguoit une partie, celle qui feroit libre encore, pourroit lui résister avec des forces indépendantes de celles qu'il auroit ufurpées, & l'accabler avant qu'il eût achevé de s'établir.

S'il arrive quelque fédition chez un des membres confédérés les autres peuvent l'appaifer. Si quelques abus s'introduifent quelque part, ils font corrigés par les parties faines. Cet Etat peut périr d'un côté fans périr de l'autre; la confédération peut être diffoute, & les Confédérés refter Souverains.

Compofé de petites Républiques, il joüit de la bonté du Gouvernement intérieur de chacune; & à l'égard du dehors, il a, par la force de l'association, tous les avantages des grandes Mo

narchies.

CHAPITRE I I.

Que la Conftitution Fédérative doit être compofée d'Etats de même nature, fur-tout d'Etats Républicains.

L

pe

Es Cananéens furent détruits, parce que c'étoient de tites Monarchies qui ne s'étoient point confédérées, & qui ne fe défendirent pas en commun. C'eft que la nature des petites Monarchies n'eft pas la confédération.

(a) Liberté civile, biens, femmes, enfans, temples & fepultures même.

Partie I.

R

La

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