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un nouveau mal. Pendant que Rome conferva fes principes, les jugemens purent être fans abus entre les mains des Sénateurs: mais quand elle fut corrompue, à quelque Corps que ce fut qu'on tranfportât les Jugemens aux Sénateurs, aux Chevaliers, aux Tréforiers de l'Epargne, à deux de ces Corps, à tous les trois enfemble, à quelqu'autre Corps que ce fut, on étoit toûjours mal. Les Chevaliers n'avoient pas plus de vertu que les Sénateurs, les Tréforiers de l'Epargne pas plus que les Chevaliers, & ceux-ci auffi peu que les Centurions.

Lorfque le Peuple de Rome eut obtenu qu'il auroit part aux Magiftratures Patriciennes, il étoit naturel de penfer que fes flatteurs alloient être les arbitres du Gouvernement. Non: l'on vit ce Peuple qui rendoit les Magiftratures communes aux Plébéiens, élire toûjours des Patriciens. Parce qu'il étoit vertueux, il étoit magnanime; parce qu'il étoit libre, il dédaignoit le pouvoir. Mais lorsqu'il eut perdu fes principes, plus il eut de voir, moins il cut de ménagemens; jufqu'à ce qu'enfin, devenu fon propre Tyran & fon propre efclave, il perdit la force de la liberté pour tomber dans la foibleffe de la licence.

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CHAPITRE XII I.

Effet du Serment chez un Peuple vertueux.

L n'y a point eu de Peuple, dit Tite-Live (a), où la diffolution fe foit plus tard introduite que chez les Romains & où la modération & la pauvreté aient été plus long-tems ho

norées.

Le Serment eut tant de force chez ce Peuple, que rien ne l'attacha plus aux Loix. Il fit bien des fois pour l'obferver, ce qu'il n'auroit jamais fait pour la gloire ni pour la Patrie.

Quintius Cincinnatus, Conful, ayant voulu lever une Armée dans la Ville contre les Eques & les Volfques, les Tribuns s'y oppoferent. «Eh bien, dit-il, que tous ceux qui ont fait ferment au Conful de l'année précédente marchent fous mes Enfeignes (b)». Envain les Tribuns s'écrierent-ils qu'on n'étoit plus lié par ce ferment, que quand on l'avoit fait: Quintius étoit un

(a) Liv. I.

(b) Tite-Live, Liv. III.

homme

homme privé. Le Peuple fut plus religieux que ceux qui fe mêloient de le conduire; il n'écouta ni les distinctions ni les interprétations des Tribuns.

Lorfque le même Peuple voulut fe retirer fur le Mont Sacré, il fe fentit retenir par le ferment qu'il avoit fait aux Confuls de les fuivre à la guerre (a). Il forma le deffein de les tuer. On lui fit entendre que le ferment n'en fubfifteroit pas moins. On peut juger de l'idée qu'il avoit de la violation du ferment par le crime qu'il vouloit commettre.

Après la bataille de Cannes, le Peuple effrayé voulut se retirer en Sicile. Scipion lui fit jurer qu'il refteroit à Rome. La crainte de violer le ferment furmonta toute autre crainte. Rome étoit un vaiffeau tenu par deux ancres dans la tempête, la Religion & les mœurs.

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Comment le plus petit changement dans la Conflitution entraîne la ruine des principes.

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RISTOTE nous parle de la République de Carthage comme d'une République très-bien réglée. Polybe (b) nous dit qu'à la feconde guerre Punique il y avoit à Carthage cet inconvénient, que le Sénat avoit perdu prefque toute fon autorité. Tite-Live nous apprend que lorfqu'Annibal retourna à Carthage, il trouva que les Magiftrats & les principaux Citoyens détournoient à leur profit les revenus publics & abufoient de leur pouvoir. La vertu des Magiftrats tomba donc avec l'autorité du Sénat; tout coula du même principe.

On connoît les prodiges de la Cenfure chez les Romains. II y eut un tems où elle devint pefante : mais on la foutint, parce qu'il y avoit plus de luxe que de corruption. Claudius (c) l'affoiblit, & par cet affoibliffement la corruption devint encore plus grande que le luxe, la cenfure s'abolit d'elle-même (d).

(a) Tite-Liv. Liv. II.

(b) Environ cent ans après.

(a) Les Tribuns les empêcherent de faire le cens, & s'oppoferent à leur élec

() Voy. ci-deffous le Liv. XI. chap. tion. Voy. Ciceron à Atticus, Liv. IV. Let

12.

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tre X. & XV.

CHAPITRE

CHAPITRE X V.

Moyens très-efficaces pour la confervation des trois
principes.

E ne pourrai me faire entendre que lorfqu'on aura lû les qua
tre Chapitres fuivans..

JE

I

CHAPITRE XVI.

Propriétés diftinctives de la République.

Left de la nature d'une République, qu'elle n'ait qu'un petit Territoire; fans cela elle ne peut guere fubfifter. Dans une grande République, il y a de grandes fortunes, & par conféquent peu de modération dans les efprits; il y a de trop grands dépôts à mettre entre les mains d'un Citoyen; les intérêts fe particularifent; un homme fent d'abord qu'il peut être heureux grand, glorieux, fans fa Patrie, & bien-tôt qu'il peut être seul grand fur les ruines de fa Patrie.

Dans une grande République, le bien commun eft facrifié à mille considérations, il eft fubordonné à des exceptions; il dépend des accidens. Dans une petite, le bien public eft mieux fenti, mieux connu, plus près de chaque Citoyen; les abus y font moins étendus, & par conféquent moins protégés..

Ce qui fit fubfifter fi long-tems Lacédémone, c'eft qu'après toutes fes guerres, elle refta toûjours avec fon territoire. Le feul but de Lacédémone étoit la liberté; le feul avantage de fa liberté, c'étoit la gloire..

Ce fut l'efprit des Républiques Grecques, de fe contenter de leurs terres, comme de leurs Loix. Athenes prit de l'ambition, & en donna à Lacédémone: mais ce fut plutôt pour commander à des Peuples libres, que pour gouverner des efclaves, plutôt pour être à la tête de l'union, que pour la rompre.. Tout fut: perdu lorfqu'une Monarchie s'éleva, gouvernement dont l'ef prit eft plus tourné vers l'aggrandiffement

Sans:

Sans des circonftances particulieres (a), il eft difficile que tout autre Gouvernement que le Républicain puiffe fubfifter dans une feule Ville. Un Prince d'un fi petit Etat, chercheroit naturellement à opprimer, parce qu'il auroit une grande puiffance & peu de moyen pour en jouir, ou pour la faire refpe&ter. Il fouleroit donc beaucoup fes peuples. D'un autre côté, un tel Prince feroit aisément opprimé par une force étrangere, ou même une force domeflique; le peuple pourroit à tous les inftans s'affembler, & fe réunir contre lui. Or, quand un Prince d'une Ville eft chaffé de fa Ville, le procès eft fini; s'il a plusieurs Villes, le procès n'eft que commencé.

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Propriétés diftinctives de la Monarchie.

N Etat Monarchique doit être d'une grandeur médiocre. S'il étoit petit, il se formeroit en République; s'il étoit fort étendu, les principaux de l'Etat, grands par eux-mêmes n'étant point fous les yeux du Prince, ayant leur Cour hors de fa Cour, affurés d'ailleurs contre les exécutions promptes par les Loix & par les mœurs, pourroient ceffer d'obéir; ils ne craindroient point une punition trop lente & trop éloignée.

Auffi Charlemagne eut-il à peine fondé fon Empire, qu'il fallut le divifer; foit que les Gouverneurs des Provinces n'obéîffent pas, foit que pour les faire mieux obéir, il fût néceffaire de partager l'Empire en plufieurs Royaumes.

Après la mort d'Alexandre, fon Empire fut partagé. Comment ces Grands de Grece & de Macédoine, libres, ou du moins Chefs des Conquérans répandus dans cette vafte Conquête, auroient-ils pû obéir?

Après la mort d'Attila, fon Empire fut diffous; tant de Rois qui n'étoient plus contenus, ne pouvoient point reprendre des

chaînes.

Le prompt établissement du pouvoir fans bornes, eft le remede, qui dans ces cas, peut prévenir la diffolution; nouveau malheur après celui de l'aggrandiffement!

(a) Comme quand un petit Souverain leur jaloufie mutuelle; mais il n'existe que Le maintient entre deux grands Etats par précairement.

Les fleuves courent se mêler dans la mer; les Monarchies vont fe perdre dans le Despotisme.

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CHAPITRE XVIIL

Que la Monarchie d'Espagne étoit dans un cas particulier.

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U'ON ne cite point l'exemple de l'Efpagne; elle prouve plutôt ce que je dis. Pour garder l'Amérique, elle fit ce que le Defpotifme même ne fait pas, elle en détruifit tous les habitans; il fallut, pour conferver fa colonie, qu'elle la tînt dans. la dépendance de fa subsistance même.

Elle effaya le defpotifme dans les Pays-Bas, & fi-tôt qu'elle: Peut abandonné, fes embarras augmenterent. D'un côté les Wallons ne vouloient pas être gouvernés par les Efpagnols, & de l'autre, les foldats Efpagnols ne vouloient pas obéir aux Offi ciers Wallons (a).

Elle ne fe maintint dans l'Italie, qu'à force de l'enrichir & de fe ruiner. Car ceux qui auroient voulu fe défaire du Roi d'Efpa-gne, n'étoient pas pour cela d'humeur à renoncer à fon argent.

CHAPITRE XIX..

Propriétés. diftinctives du Gouvernement Defpotique..

UN

N grand Empire fuppofe une autorité defpotique, dans celui qui gouverne. Il faut que la promptitude des réfolutions, fupplée à la diftance des lieux où elles font envoyées; que la crainte empêche la négligence du Gouverneur ou du Magiftrat éloigné; que la Loi foit dans une feule tête, & qu'elle change fans ceffe, comme les accidens qui fe multiplient toû jours dans l'Etat, à proportion de fa grandeur.

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(4) Voy, l'Hist. des Provinces-Unies, par M. le Clerc.

CHAPITRE

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