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Dans les Indes on fe trouve très-bien du gouvernement des femmes; & il est établi que fi les mâles ne viennent pas d'une mere du même fang, les filles qui ont une mere du Sang-Royal fuccedent (a). On leur donne un certain nombre de perfonnes pour les aider à porter le poids du Gouvernement. Si l'on ajoute à cela l'exemple de la Mofcovie & de l'Angleterre, on verra qu'elles réuffiffent également & dans le Gouvernement modéré & dans le Gouvernement Defpotique.

LIVRE HUITIEM E.

De la corruption des principes des trois

Gouvernemens.

L

CHAPITRE PREMIER.

Idée générale de ce Livre.

A corruption de chaque Gouvernement commence pref
que toûjours par
celle des principes.

L

CHAPITRE I I.

De la corruption du principe de la Démocratie.

E principe de la Démocratie fe corrompt, non-feulement lorfqu'on perd l'efprit d'égalité, mais encore quand on prend l'efprit d'égalité extrème, & que chacun veut être égal à ceux qu'il choifit pour lui commander. Pour lors le peuple, ne pouvant fouffrir le pouvoir même qu'il confie, veut tout faire par lui-même, délibérer pour le Sénat, exécuter pour les Magiftrats, & dépouiller tous les Juges.

Il ne peut plus y avoir de vertu dans la République. Le peu ple veut faire les fonctions des Magiftrats; on ne les respecte

(a) Lettres édif. 14. Recueil.

donc

donc plus. Les délibérations du Sénat ne font plus pefées; on n'a donc plus d'égards pour les Sénateurs & par conféquent pour les vieillards. Que fi l'on n'a pas du refpect pour les vieillards on n'en aura pas non plus pour les peres; les maris ne méritent pas plus de déférence, ni les maîtres plus de foûmif- : fion. Tout le monde parviendra à aimer ce libertinage; la gêne du commandement fatiguera comme celle de l'obéiffance. Les femmes, les enfans, les efclaves, n'auront de foûmiffion pour perfonne. Il n'y aura plus de mœurs, plus d'amour de l'ordre, enfin plus de vertu.

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On voit dans le banquet de Xenophon une peinture bien naïve d'une République où le peuple a abufé de l'égalité. Chaque Convive donne à fon tour la raison pourquoi il eft content de lui. « Je fuis content de moi, dit Chamides, à caufe de ma pau« vreté. Quand j'étois riche, j'étois obligé de faire ma Cour aux « Calomniateurs fachant bien que j'étois plus en état de re«cevoir du mal d'eux que de leur en faire. La République me demandoit toûjours quelque nouvelle fomme; je ne pouvois m'abfenter. Depuis que je fuis pauvre j'ai acquis de l'autorité; ! perfonne ne me menace, je menace les autres; je puis m'en aller ou refter. Déja les riches fe levent de leurs places & me «cedent le pas; je fuis un Roi, j'étois esclave; je payois un tribut à la République; aujourd'hui elle me nourrit; je ne crains plus de perdre, j'efpere d'acquérir. »

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Le peuple tombe dans ce malheur, lorfque ceux à qui il fe confie, voulant cacher leur propre corruption, cherchent à le corrompre. Pour qu'il ne voie pas leur ambition, ils ne lui parlent que de fa grandeur; pour qu'il n'apperçoive pas leur avarice, ils flattent fans ceffe la fienne.

La corruption augmentera parmi les corrupteurs, & elle augmentera parmi ceux qui font déja corrompus. Le peuple fe diftribuera tous les deniers publics; & comme il aura joint à fa pareffe la geftion des affaires, il voudra joindre à fa pauvreté les amusemens du luxe. Mais avec fa pareffe & fon luxe, il n'y le tréfor public qui puiffe être un objet pour lui.

aura que

Il ne faudra pas s'étonner fi l'on voit les fuffrages fe donner pour de l'argent. On ne peut donner beaucoup au peuple fans retirer encore plus de lui: mais pour retirer de lui, il faut renverfer l'Etat. Plus il paroîtra tirer d'avantage de fa liberté, plus il s'approchera du moment où il doit la perdre. Il fe forme de

petits Tyrans qui ont tous les vices d'un feul. Bien-tôt ce qui refte de liberté devient infupportable; un feul Tyran s'éleve, & le peuple perd tout jufqu'aux avantages de fa corruption.

La Démocratie a donc deux excès à éviter, l'efprit d'inégalité, qui la mene à l'Ariftocratie ou au Gouvernement d'un feul; & l'efprit d'égalité extrème, qui la conduit au defpotisme d'un feul, comme le defpotifme d'un feul finit par la conquête.

Il eft vrai que ceux qui corrompirent les Républiques Grecques ne devinrent pas toûjours Tyrans. C'eft qu'ils s'étoient plus attachés à l'éloquence qu'à l'Art militaire: outre qu'il y avoit dans le cœur de tous les Grecs une haine implacable contre ceux qui renverfoient le Gouvernement Républicain; ce qui fit que l'Anarchie dégénéra en anéantissement, au lieu de fe changer en Tyrannie.

Mais Syracufe, qui fe trouva placée au milieu d'un grand nombre de petites Oligarchies changées en tyrannies (a), Syracufe qui avoit un Sénat (b) dont il n'eft prefque jamais fait mention dans l'Hiftoire, effuya des malheurs que la corruption ordinaire ne donne pas. Cette Ville toûjours dans la licence (c) ou dans l'oppreffion, également travaillée par fa liberté & par fa fervitude, recevant toûjours l'une & l'autre comme une tempête, & malgré fa puiffance au dehors, toûjours déterminée à une révolution par la plus petite force étrangere, avoit dans fon fein un peuple immenfe, qui n'eût jamais que cette cruelle alternative de se donner un Tyran, ou de l'être lui-même.

A

CHAPITRE IIL

De l'efprit d'Egalité extrème.

UTANT que le Ciel eft éloigné de la terre, autant le véritable efprit d'égalité l'eft-il de l'efprit d'égalité extrème. Le premier ne confifte point à faire enforte que tout le monde com

(a) Voy. Plutarque dans les vies de Timoleon & de Dion.

(b) C'eft celui des fix cens, dont parle Diodore.

(c) Ayant chaffé les Tyrans, ils firent Citoyens des étrangers & des foldats mercenaires, ce qui caufa des guerres civiles, Aritate, Polit. Liv. V. chap. 3. le peu

ple ayant été caufe de la victoire fur les Athéniens, la République fut changée, ibid. Chap. 4. La paffion de deux jeunes Magiftrats, dont l'un enleva à l'autre un jeune garçon, & celui-ci lui débaucha sa femme, fit changer la forme de cette Ré, publique, ibid. Liv. VII. chap. 4.

mande,

mande, ou que perfonne ne foit commandé; mais à obéir & à commander à fes égaux. Il.ne cherche pas à n'avoir point de maîtres, mais à n'avoir que fes égaux pour maîtres.

Dans l'état de nature, les hommes naiffent bien dans l'égalité: mais ils n'y fauroient refter. La fociété la leur fait perdre, & ils ne redeviennent égaux que par les Loix.

Telle eft la différence entre la Démocratie réglée & celle qui ne l'eft pas; que dans la premiere on n'eft égal que comme Ĉitoyen, & que dans l'autre on eft encore égal comme Magiftrat, comme Sénateur, comme Juge; comme Pere, comme Mari, comme Maître.

La place naturelle de la vertu eft auprès de la liberté mais elle ne fe trouve pas plus auprès de la liberté extrème, qu'auprès de la fervitude.

CHAPITRE IV.

Caufe particuliere de la corruption du Peuple.

Es grands fuccès, fur-tout ceux auxquels le peuple contri

,

poffible de le conduire. Jaloux des Magiftrats, il le devient de lal Magiftrature; ennemi de ceux qui gouvernent, il l'eft bien-tôt de la Constitution. C'est ainfi que la victoire de Salamine fur les Perfes corrompit la République d'Athenes (a); c'eft ainsi que la défaite des Athéniens perdit la République de Syracuse (b).

Celle de Marseille n'éprouva jamais ces grands paffages de l'abaiffement à la grandeur: auffi fe gouverna-t-elle toûjours avec fageffe; auffi conferva-t-elle fes principes.

CHAPITRE V.

t

De la corruption du principe de l'Ariftocratie. 'ARISTOCRATIE fe corrompt lorfque le pouvoir des Nobles devient arbitraire : il ne peut plus y avoir de vertu dans ceux qui gouvernent, ni dans ceux qui font gouvernés.

L

(a) Arift. Polit. Liv. V. ch. 4,

Partie I.

(b) Ibid.

P

Quand

Quand les familles régnantes obfervent les Loix, c'eft une Monarchie qui a plufieurs Monarques, & qui eft très-bonne par fa nature; prefque tous ces Monarques font liés par les Loix. Mais quand elles ne les obfervent pas, c'eft un Etat de potique qui a plufieurs Defpotes.

Dans ce cas la République ne fubfifte qu'à l'égard des Nobles, & entr'eux feulement. Elle eft dans le corps qui gouverne, & Etat defpotique eft dans le corps qui eft gouverné; ce qui fait les deux corps du monde les plus défunis.

L'extrème corruption eft lorsque les Nobles deviennent héréditaires (a); ils ne peuvent plus guere avoir de modération. S'ils font en petit nombre, leur pouvoir eft plus grand, mais leur fùreté diminue; s'ils font en plus grand nombre, leur pouvoir eft moindre & leur fureté plus grande; enforte que le pouvoir va croiffant, & la fureté diminuant, jufqu'au Defpote fur la tête duquel eft l'excès du pouvoir & du danger.

Le grand nombre des Nobles dans l'Ariftocratie héréditaire rendra donc le Gouvernement moins violent: mais comme il y aura peu de vertu, on tombera dans un efprit de nonchalance, de pareffe, d'abandon, qui fera que l'Etat n'aura plus de force ni de reffort (b).

Un Ariftocratie peut maintenir la force de fon principe, files Loix font telles qu'elles faffent plus fentir aux Nobles les périls, & les fatigues du Commandement que fes délices; & fi l'Etat eft dans une telle fituation qu'il ait quelque chofe à redouter, & que la fûreté vienne du dedans, & l'incertitude du dehors.

Comme une certaine confiance fait la gloire & la fûreté d'une Monarchie, il faut au contraire qu'une République redoute quelque chofe (c). La crainte des Perfes maintint les Loix chez les Grecs. Carthage & Rome s'intimiderent l'une l'autre, & s'affermirent. Chofe finguliere! plus ces Etats ont de fùreté, plus, comme des eaux trop tranquilles, ils font fujets à fe corrompre.

(a) L'Ariftocratie fe change en Oligar

chie.

(b) Venife eft une des Républiques qui a le mieux corrigé par fes Loix les inconvéniens de l'Ariftocratie héréditaire.

(a) Justin attribue à la mort d'Epami

nondas, l'extinction de la vertu à Athenes. N'ayant plus d'émulation, ils dépenferent leurs revenus en fêtes, frequenties canam quàm caftra vifentes. Pour lors les Macédoniens fortirent de l'obfcurité, Liv. VI.

CHAPITRE

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