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Nous expliquerons mieux ceci dans le Livre fur le Commerce (a). Il n'eft ici queftion que du luxe abfolu.n

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CHAPITRE VI.

Du Luxe à la Chine.

Es raifons particulieres demandent des Loix fomptuaires dans quelques Etats. Le Peuple par la force du climat peutdevenir fi nombreux, & d'un autre côté les moyens de le faire fubfifter peuvent être fi incertains, qu'il eft bon de l'appliquer. tout entier à la culture des terres. Dans ces Etats le luxe eft dangereux, & les Loix fomptuaires y doivent être rigoureuses. Ainfi pour fçavoir s'il faut encourager le luxe ou le profcrire, on doit d'abord jetter les yeux fur le rapport qu'il y a entre le nombre du peuple, & la facilité de le faire vivre. En Angleterre le fol produit beaucoup plus de grain qu'il ne faut pour nourrir ceux qui cultivent les terres, & ceux qui procurent les vêtemens. Il

peut donc y avoir des arts, frivoles, & par conféquent du luxe. En France il croît affez de bled pour la nourriture des laboureurs & de ceux qui font employés aux Manufactures. De plus le Commerce avec les étrangers peut rendre pour des chofes frivoles tant de chofes néceffaires, qu'on n'y doit guere craindre le luxe.

A la Chine, au contraire, les femmes font fi fécondes, & l'ef pece humaine s'y multiplie à un tel point, que les terres, quel que cultivées qu'elles foient, fuffifent à peine pour la nourriture des habitans. Le luxe y eft donc pernicieux, & l'efprit de travail & d'économie y eft auffi requis que dans quelques Républiques. que ce foit (b). Il faut qu'on s'attache aux arts néceffaires, &. qu'on fuie ceux de la volupté.

Voilà l'efprit des belles Ordonnances des Empereurs Chinois.. « Nos Anciens, dit un Empereur de la famille des Tang (c), tenojent pour maxime, que s'il y avoit un homme qui ne labourât point, ou une femme qui ne s'occupât point, quelqu'un fouffroit le « froid ou la faim dans l'Empire & fur ce principe il fit

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détruire une infinité de Monafteres de Bonzes.

(a) Voy ci-deffous, Liv. XX. chap. 20. (b) Le luxe y a toujours été arrêté,

(c) Dans une Ordonnance rapportée par le P. Duhalde, Tom, II. pag. 497. Le

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Le troifieme Empereur de la vingt-unieme Dynaftie (a), à qui on apporta des pierres précieufes trouvées dans une mine, la fit fermer, ne voulant pas fatiguer fon peuple à travailler pour une chofe qui ne pouvoit ni le nourrir ni le vêtir.

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Notre luxe eft fi grand, dit Kiayventi (b), que le peuple «orne de broderies les fouliers des jeunes garçons & des filles « qu'il eft obligé de vendre ; tant d'hommes étant occupés à faire des habits pour un feul, le moyen qu'il n'y ait bien des gens qui manquent d'habits? Il y a dix hommes qui mangent le revenu des Terres contre un laboureur: le moyen qu'il n'y ait bien des gens qui manquent d'alimens?

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CHAPITRE VII

Fatale conféquence du Luxe à la Chine.

N voit dans l'Hiftoire de la Chine qu'elle a eu vingt-deux Dynafties qui fe font fuccédées, c'eft-à-dire qu'elle a éprou vé vingt-deux révolutions générales, fans compter une infinité de compterrent particulieres. Les trois premieres Dynasties Dynafties durerent affez longtems, parce qu'elles furent fagement gouvernées, & que l'Empire étoit moins étendu qu'il ne le fut depuis. Mais on peut dire: en général que toutes ces Dynafties commencerent affez bien. La vertu, l'attention, la vigilance font néceffaires à la Chine; elles y étoient dans le commencement des Dynafties, & elles manquoient à la fin. En effet, il étoit naturel que des Empereurs nourris dans les fatigues de la guerre, qui parvencient à faire def cendre du Trône une famille noyée dans les délices, confervaffent la vertu qu'ils avoient éprouvée. fi utile, & craigniffent lesvoluptés qu'ils avoient vûes fì functies. Mais après ces trois ou quatre premiers Princes, la corruption, le luxe, l'oifiveté, les dé-lices, s'emparent des fucceffeurs; ils s'enferment dans le Palais, leur efprit, s'affoiblit, leur vie s'accourcit, la famille décline; les Grands s'elévent, les Eunuques s'accréditent, en ne met fur le, Trône que des enfans, le Palais devient ennemi de l'Empire,

(a) Hift. de la Chine, vingt-unieme Dynatie dans l'Ouvrage du P. Duhalde, Tom.

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(b) Dans un difcours rapporté par le P Duhalde, Tom. II. p. 4:8.

un peuple oifif qui l'habite, ruiné celui qui travaille, l'Empereur eft tué ou détruit par un Ufurpater, qui fonde une famille, dont le troifieme ou quatrieme fucceffeur va dans le même Palais fe renfermer encore.

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CHAPITRE VIII.

De la Continence publique.

y a tant d'imperfections attachées à la perte de la vertu dans les femmes, toute leur ame en eft fi fort dégradée; ce point principal ôté en fait tomber tant d'autres, que l'on peut regarder dans un Etat populaire l'incontinence publique comme le dernier des malheurs & la certitude d'un changement dans la Conftitution.

Auffi les bons Législateurs y ont-ils exigé des femmes une certaine gravité de moeurs. Ils ont profcrit de leurs Républiques non feulement le vice, mais l'apparence même du vice. Ils ont banni jufqu'à ce commerce de galanterie qui produit l'oifiveté, qui fait que les femmes corrompent avant même d'être corrompues, qui donne un prix à tous les riens, & rabaiffe ce qui eft important, & qui fait que l'on ne fe conduit plus que fur les maximes du ridicule que les femmes entendent si bien à établir.

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De la condition des femmes dans les divers Gouvernemens.

Es femmes ont peu de retenue dans les Monarchies

Lparce que la des rangs les appellant à la Cour, elles y vont prendre cet efprit de liberté qui eft le feul qu'on tolere. Chacun fe fert de leurs agrémens & de leurs afions pour avancer fa fortune; & comme leur foibleffe ne leur permet pas l'orgueil, mais la vanité; le luxe y regne toûjours avec elles.

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Dans les Etats Defpotiques les femmes n'introduisent point

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le luxe; mais elles font elles-mêmes un objet du luxe. Elles doivent être extrèmement efclaves. Chacun fuit l'efprit du Gouvernement, & porte chez foi ce qu'il voit établi ailleurs. Comme les Loix y font féveres & exécutées fur le champ on a peur que la liberté des femmes n'y faffe des affaires. Leurs brouilferies, leurs indifcrétions, leurs répugnances, leurs penchans leurs jaloufies, leurs piques, cet art qu'ont les petites ames d'intéreffer les grandes, n'y fauroient être 'fans conféquence.

De plus, comme dans ces Etats les Princes fe jouent de la nature humaine, ils ont plufieurs femmes, & mille confidérations les obligent de les renfermer.

Dans les Républiques les femmes font libres par les Loix, & captivées par les moeurs; le luxe en eft banni, & avec lui la corruption & les vices.:

Dans les villes Grecques, où l'on ne vivoit pas fous cette Religion qui établit que chez les hommes même la pureté des moeurs eft une partie de la vertu; dans les villes Grecques où une vice aveugle régnoit d'une maniere effrénée, où l'amour n'avoit qu'une forme que l'on n'ofe dire, tandis que la feule amitié s'étoit retirée dans le mariage (a); la vertu, la fimplicité, la chafteté des femmes y étoient telles, qu'on n'a guere jamais vû de peuple qui ait eu à cet égard une meilleure police (b).

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CHAPITRE X.

Du Tribunal domeftique chez les Romains.

Es Romains n'avoient pas comme les Grecs des Magif-trats particuliers qui euffent infpection fur la conduite des femmes. Les Cenfeurs n'avoient l'oeil fur elles que comme fur le refte de la République. L'inftitution du Tribunal domeftique (c) fuppléa à la Magiftrature établie chez les Grecs (d)

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(a) Quant au vrai amour, dit Plutarque, les femmes n'y ont aucune part.,, Deuvres Morales, Traité de l'Amour, pag. 500. Il parloit comme fon fiecle. Voy. Xenophon u Dialogue, intitulé Heron.

(b) A Athenes il y avoit un Magiftrat particulier qui veilloit fur la conduite des femmes.

(c) Romulus inftitua ce Tribunal, com

me il paroît par Denis d'Halicarnasse, Liv. II. p. 96.

(d) Voy.dans Tite-Live, L. XXXIX.l'ufage que l'on fit de ce Tribunal, lors de la Conjuration des Bacchanales on appella Conjuration contre la République des Affemblées où l'on corrompoit les mœurs des femmes & des jeunes-gens.

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Le Mari affembloit les parens de la femme, & la jugeoit devant eux (a). Ce Tribunal maintenoit les mœurs dans la République. Mais ces mêmes moeurs maintenoient ce Tribunal. Il devoit juger non feulement de la violation des Loix, mais aussi de la violation des mocurs. Or pour juger de la violation des moeurs, il faut en avoir.

Les peines de ce Tribunal devoient être arbitraires, & l'étoient en effet: car tout ce qui regarde les moeurs, tout ce qui regarde les regles de la modefie, ne peut guere être compris fous un Code de Loix. Il est aifé de régler par des Loix ce qu'on doit aux autres; il eft difficile d'y comprendre tout ce qu'on fe doit à foi-même.

Le Tribunal domeftique regardoit la conduite générale des femmes mais il y avoit un crime qui, outre l'animadversion de ce Tribunal, étoit encore foûmis à une accufation publique : c'étoit l'Adultere; foit que dans une République une fi grande violation de mœurs intéreffât le Gouvernement, foit que le déreglement de la femme pût faire foupçonner celui du mari; foit enfin que l'on craignît que les honnêtes-gens même n'aimassent mieux cacher ce crime que le punir, l'ignorer que le venger.

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Comment les Inflitutions changerent à Rome avec le
Gouvernement.

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OMME le Tribunal domeftique fuppofoit des moeurs, l'ac cufation publique en fuppofoit auffi; & cela fit que ces deux chofes tomberent avec les moeurs, & finirent avec la Républi que (b).

L'établissement des Questions perpétuelles, c'est-à-dire, du partage de la Jurifdiction entre les Prêteurs, & la coûtume qui

(a) Il paroît par Denis d'Halicarnaffe, Liv. II. que l'Inftitution de Romulus étoit que dans les cas ordinaires, le mari jugeoit devant les parens de la femme, mais que dans les grands crimes, il la jugeoit avec cinq d'entr'eux. Auffi Ulpien au tit. 6. §. 9. 12. & 13. diftingue-t'il dans les jugemens

des mœurs, celles qu'il appelle graves d'avec celles qui l'étoient moins, graviores, leviores.

(b) Judicio de moribus ( quod antea quidem in Antiquis legibus pofitum erat, non. autem frequentabatur) penitùs abolito, leg. 11. Cod. de Repud.

s'introduifit

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