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lant de trouver des périls dans un divertissement qui est une image de la guerre.

Il est assurément curieux de trouver, à deux mille ans de distance, de semblables rapports entre deux époques, je pourrais dire entre deux règnes. En effet, le sang de César avait inutilement coulé aux pieds de la statue de Pompée; la mort violente du dictateur n'empêchait pas que Rome n'eût déjà un véritable roi dans Auguste; et ce roi, caché sous des noms moins odieux aux Romains, avait une cour qui ressemblait beaucoup à celle de Louis XIV. Je n'abandonnerai pas la brillante description de Virgile sans remarquer combien elle convient aussi, par la sagesse et le goût, au génie, un peu sévère, de notre langue poétique, ennemie du luxe au point de manquer parfois de richesse.

Si, dans la peinture de l'orage et dans la scène qui le suit, nous ne considérons que la rapidité, la précision et l'harmonie imitative du style, une espèce d'attendrissement, dont Fénélon ne pouvait pas se défendre en lisant les vers du poëte de Mantoue, ne nous laissera point apercevoir ce qui manque à cet épisode. Mais, en l'examinant avec les yeux de la raison, nous deviendrons plus sévères. Le poëte n'a-t-il point à se reprocher le défaut d'imagination, et je ne sais quel prestige sans illusion? Si mon jugement ne me trompe pas, le goût pourrait désirer ici une opposition entre

l'orage qui conduit Didon à l'écueil de sa vertu, et les enchantements de la grotte: on devrait y sentir la présence de Vénus, qui sème partout des fleurs sur ses pas. La séduction des lieux entre pour beaucoup dans l'amour, et il y a des conseils de volupté jusque dans l'air qu'on respire '. Quel heureux effet auraient produit ici des vers pleins de mollesse, comme ceux que j'emprunte au premier livre de l'Énéide!

At Venus Ascanio placidam per membra quietein
Irrigat; et fotum gremio dea tollit in altos
Idaliæ lucos, ubi mollis amaracus illum
Floribus et dulci adspirans complectitur umbra.
Vénus sourit, et, cueillant des pavots,
Verse à son cher Ascagne un paisible repos,
Le berce dans ses bras, l'enlève et le dépose
Sur la verte Idalie, où le myrte et la rose,
D'une haleine odorante exhalant les vapeurs,
L'environnent d'ombrage et le couvrent de fleurs.

Virgile a mérité des éloges pour avoir gardé le silence de la retenue sur ce qui se passe de mystérieux dans la grotte; mais il a pris ici les conseils d'une muse trop sévère. Comment ne nous a-t-il pas laissé sentir que les Grâces avaient présidé à l'entretien des deux amants? Après nous avoir montré Didon si brillante et si belle au moment du départ, le poëte

La grotte où se retirent Angélique et Médor pour s'entretenir de leur amour a plus de charmes dans l'Arioste.

se devait à lui-même de répandre l'illusion sur sa faute, qu'elle appelle un moment son bonheur. Quelques traits, pleins de pudeur et de charme, auraient formé d'ailleurs une opposition, vivement sentie, avec les cris de douleur poussés par les nymphes, et les auspices funestes qui accompagnent le faux hymen de Didon '. Si Racine eût osé lever le voile qui couvrait la première faiblesse de la tendre La Vallière, assurément il aurait employé d'autres

On lit dans Milton :

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« Elle dit, et dans ce fatal instant, elle éleva une main téméraire vers le fruit, le cueillit et en mangea. La nature sentit le coup qui la frappait, et, poussant un gémissement, qui du fond de son sein se répandit dans tous ses ouvrages, elle annonça par des signes funestes que tout était perdu. Au moment où Ève, pour achever la séduction, embrasse son époux, le poëte ajoute : « Dans son transport de joie, elle verse des larmes de tendresse ; elle triomphe en voyant Adam ennoblir son amour, jusqu'au point d'oser affronter, par complaisance pour elle, la colère divine et la mort. En récompense, (car c'est une telle récompense que mérite une si coupable faiblesse), elle lui présenta, d'une main libérale, la branche dont les beaux fruits excitaient l'envie; et lui, malgré son guide intérieur qui le conseillait mieux, n'hésita point de manger. Il ne fut pas séduit, il fut honteusement vaincu par les charmes d'une femme.

» La terre fut ébranlée jusqu'au fond de ses entrailles, comme éprouvant de nouvelles douleurs; la nature poussa un second gémissement: le ciel, en s'obscurcissant, fit entendre un murmure pareil à celui d'un tonnerre qui gronde sour

couleurs que celles de Virgile pour peindre une scène si vive et si tendre en même temps. Mais, pour donner plus de poids à ces réflexions, il suffira de rappeler qu'Homère a mis bien d'autres grâces dans la scène conjugale entre Jupiter et Junon, que Virgile dans les amours de la reine de Carthage et du fils d'Anchise.

M. de Châteaubriand, après avoir répandu beaucoup de charme et une profonde mélancolie sur la passion de Velléda pour Eudore, peint d'une manière extrêmement dramatique les derniers combats de la vertu de ce jeune confesseur de la foi. « Épuisé par les combats que j'avais soutenus contre moi-même, je ne pus résister au dernier témoignage de l'amour de Velléda. Tant de beauté, tant de passion, tant de désespoir, m'ôtèrent à mon tour la raison; je fus vaincu!

» Non, dis-je au milieu de la nuit et de la tempête, non, je ne suis pas assez fort pour être chrétien!

» Je tombe aux pieds de Velléda!... L'enfer donne le signal de cet hymen funeste; les esprits de ténèbres hurlent dans l'abîme; les chastes épouses des pa

dement, et laissa tomber quelques tristes larmes au moment où s'accomplissait le crime qui a infecté toute la nature humaine. Adam n'y fit point attention; il n'était occupé que du fruit dont il se rassasiait. »

L'imitation est fort belle; et l'on remarque aussi une véritable connaissance des passions, dans le poëte anglais.

triarches détournent la tête; et mon ange protecteur, se voilant de ses ailes, remonte vers les cieux'.» Cette imitation dramatique me paraît d'une grande beauté.

Milton n'a point adopté la réserve de Virgile, il a tout dit sur l'amour et même sur les mystères de l'hymen cependant, il surpasse autant le poëte latin par la pudeur des images que par la grâce des détails. Supérieur, en fécondité d'imagination, aux deux auteurs que j'ai cités, et même à Homère, leur modèle, il a fait du paradis un lieu de délices. Toutefois, le séjour de l'innocence, créé par Dieu lui-même, s'embellit encore pour applaudir à l'union céleste de deux créatures qui portent sur le front le caractère de la beauté suprème et les traces de leur céleste origine. Milton a poussé l'audace et l'art plus loin encore; il fait raconter par la jeune Ève, il montre presque à Satan ce que le poëte latin a caché avec tant de soin; et la vérité nue, mais pleine de grâce, est plus chaste que le voile dont la délicatesse de Virgile a voulu la couvrir '.

Voltaire a bien senti ce qu'on pouvait reprocher au faible et froid Enée. Il a voulu répandre quel

que intérêt sur la passion de Henri IV et de Ga

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