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cours de ce prince, lorsqu'elle apprend la passion d'Hippolyte pour Aricie. OEnone survient; Phedre donne un libre cours à ses jalouses fureurs, que suit bientôt l'expression du plus brûlant des remords. Comme Oreste, Phèdre voit les enfers entr'ouverts sous ses pas; mais, plus malheureuse encore que lui, au lieu d'embrasser avec joie son affreux supplice, elle recule d'épouvante devant l'image de son père, armé pour la punir. OEnone ne peut supporter ce spectacle; et celle qui a osé calomnier la vertu ne balance pas maintenant à vouloir excuser, par l'exemple des dieux eux-mêmes, l'amour incestueux de Phèdre, adorant Hippolyte sous les yeux de Thésée! A peine a-t-elle franchi ce dernier pas, qu'elle reçoit, dans les imprécations de sa maîtresse, le salaire de son double crime. Voilà de belles, de savantes combinaisons, et toutes puisées dans le cœur humain. Quand nous ne repoussons pas d'abord avec énergie une pensée coupable, on ne saurait prévoir les excès auxquels la mollesse de notre volonté, les lâches complaisances de notre cœur, peuvent nous conduire : de faiblesse en faiblesse, une faute devient par degrés un crime énorme qui mérite la mort. Il faut l'avouer, les anciens, souvent plus vrais, plus naturels, plus pathétiques encore que les tragiques français, n'ont pas d'exemples d'un art aussi profond dans les développements d'un caractère et la conduite

d'une action; mais aussi on n'y trouverait pas des taches pareilles à celles qu'il faut bien relever ici, puisque la critique des défauts donne seule du prix à l'éloge senti des beautés.

Dans l'ordre naturel des choses, et quand il n'y a point de crime en perspective comme dans Phèdre, on admettrait l'indulgence d'une nourrice qui, vaincue par une tendresse aveugle, et craignant de voir sa maîtresse s'obstiner à mourir, se laisse entraîner à flatter une passion déclarée, qu'elle n'espère pas guérir mais comment excuser, dans un sage gouverneur, les conseils d'amour que Théramène donne à son élève ? comment concevoir que le judicieux Racine ait placé dans la bouche d'un vieillard ces vers qui semblent être la traduction de quelques traits du discours d'Élise à Didon, et qui n'appartiennent qu'à une femme?

Enfin, d'un chaste amour pourquoi vous effrayer? S'il a quelque douceur n'osez-vous l'essayer? Ce qui suit est bien plus condamnable encore. Au reste, Théramène, racontant à Hippolyte les conquêtes amoureuses et les perfidies de Thésée, ne montrait pas beaucoup de prudence: non seulement on doit du respect à la pudeur de la jeunesse, mais encore il faut éviter de l'entretenir des

Ne croit-on pas entendre Elise dire à sa sœur :

Placitone etiam pugnabis amori?

passions dont la peinture a quelque chose d'empoisonné qui reste et fermente dans le cœur. Plus sage que son maître, Hippolyte interrompait des discours qui blessaient la gloire de Thésée : ce trait honore le jeune héros, mais il rabaisse le caractère de Théramène. Virgile a bien fait de substituer Élise au personnage de la nourrice; les confidences de Didon en ont bien plus de charme : mais Apollonius lui avait fourni un modèle de cet heureux changement, dans son poëme des Argo

nautes.

Médée, tout occupée de Jason, effrayée par un songe prophétique, sort de son lit, où elle a veillé la nuit entière: les pieds nus, sans autre voile qu'un long manteau, elle ouvre la porte de sa chambre, impatiente d'aller trouver Chalciope sa sœur. A peine a-t-elle franchi le seuil, que la honte la saisit; elle reste quelque temps dans le vestibule, et rentre ensuite dans son appartement. Bientôt elle en sort une seconde fois : entraînée par l'amour, la pudeur la retient; retenue par la pudeur, l'amour lui rend de nouveau sa hardiesse. Trois fois elle tenta d'exécuter son dessein, trois fois la crainte le fit évanouir. Enfin elle se précipite éperdue sur son lit, semblable à une jeune épouse que la mort a privée d'un époux avant qu'ils eussent goûté les douceurs de l'hymen, et qui, les yeux attachés sur leur couche déserte, déplore en secret

son malheur. Une esclave entre, voit les pleurs de Médée, et avertit Chalciope: celle-ci vole, interroge sa sœur, et ne peut rien obtenir; Médée n'a point la force de parler. Enfin l'amour lui inspire un artifice qui engage Chalciope elle-même à réclamer, au nom de ses enfants, que seul il seul il peut sauver, les secours de Médée pour l'étranger. A ce mot, Médée tressaille de joie; elle rougit, et, s'abandonnant à son transport: «Ma sœur, je ferai ce que vous désirez. » Voilà le cri du cœur. Elle ajoute: «Que l'aurore ne luise plus pour moi, s'il est rien dans le monde qui me soit aussi cher que vous et vos enfants! » Telles sont les illusions de l'amour, qui se trompe lui-même, ou cherche à se tromper. Médée ne voit, ne respire que Jason, quand elle parle des enfants de sa sœur.

Cette scène est vraie : les deux sœurs versant des larmes dans le sein l'une de l'autre sont plus touchantes qu'Élise et Didon. Mais les combats de la jeune Médée, qu'Apollonius a rendus avec beaucoup de grâce et de vérité, ne convenaient point à la muse sévère de Virgile; aucun artifice ne devait entrer dans le cœur de la généreuse reine de Carthage: elle avouera son amour avec peine, mais elle ne proférera pas un mensonge pour le

cacher.

Ovide nous offre ici un exemple du précepte de Boileau :

Il n'est point de serpent ni de monstre odieux
l'art imité ne puisse plaire aux yeux.

Qui par

Myrrha, effrayée du crime qu'elle a dans le cœur, veut se donner la mort. Sa nourrice s'éveille au bruit des apprêts funestes, arrache la ceinture virginale préparée pour le même usage que le diadème de Monime; elle répand des larmes, embrasse sa fille, et veut savoir la cause d'un si grand désespoir. Myrrha pleure et se tait : Bercé s'obstine à vaincre un silence qui lui semble d'un triste présage. Ses prières sont bien plus éloquentes, ses paroles ont bien plus de tendresse que celles de l'OEnone de Racine. Un dernier mot qu'elle prononce porte le trouble dans le cœur de Myrrha : déjà son secret est sur ses lèvres; mais une horreur pareille à celle de Phèdre l'arrête encore, et redouble ainsi la curiosité de Bercé, qui se précipite aux genoux de la vierge accablée de honte. Enfin Myrrha s'explique par un seul nom qui fait dresser les cheveux de Bercé sur sa tête remontrances, avis, prières, elle n'épargne rien pour vaincre un amour odieux. Myrrha n'écoute point: comme Phèdre, elle veut mourir, puisqu'elle ne peut jouir de son crime. Bercé, hors d'elle-même, promet ce bonheur coupable; elle fait plus, elle conduit la fille de Cynire à la faveur de la nuit. Cette composition est si belle, si bien conduite, si dramatique, que le poëte ne nous laisse pas penser

y

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