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Les théologiens furent obligés de restreindre leurs principes; et, le commerce, qu'on avoit violemment lié avec la mauvaise foi, rentra, pour ainsi dire, dans le sein de la probité.

Ainsi nous devons aux spéculations des scholastiques tous les malheurs a qui ont accompagné la destruction du commerce, et à l'avarice des princes l'établissement d'une chose qui le met en quelque façon hors de leur pouvoir.

Il a fallu depuis ce temps que les princes se gouvernassent avec plus de sagesse qu'ils n'auroient eux-mêmes pensé; car, par l'événement, les grands coups d'autorité se sont trouvés si maladroits, que c'est une expérience reconnue qu'il n'y a plus que la bonté du gouvernement qui donne de la prospérité.

On a commencé à se guérir du machiavélisme, et on s'en guérira tous les jours: il faut plus de modération dans les conseils. Ce qu'on appeloit autrefois des coups d'état ne seroit aujourd'hui, indépendamment de l'horreur, que des imprudences.

Et il est heureux pour les hommes d'être dans une situation où, pendant que leurs passions leur inspirent la pensée d'être méchants, ils ont pourtant intérêt de ne pas l'être.

a Voyez, dans le corps du droit, la quatre-vingt-troisième novelle de Léon, qui révoque la loi de Basile son père. Cette loi de Basile est dans Herménopule, sous le nom de Léon, liv. III, tit. VII, §. 27.

CHAPITRE X X I.

Découvertes de deux nouveaux mondes; état de l'Europe à cet égard.

LA boussole ouvrit pour ainsi dire l'univers. On

trouva l'Asie et l'Afrique dont on ne connoissoit que quelques bords, et l'Amérique dont on ne connoissoit rien du tout.

Les Portugais, naviguant sur l'océan atlantique, découvrirent la pointe la plus méridionale de l'Afrique ils virent une vaste mer; elles les porta aux Indes orientales. Leurs périls sur cette mer et la découverte de Mozambique, de Mélinde et de Calicut, ont été chantés par le Camoëns, dont le poëme fait sentir quelque chose des charmes de l'Odyssée et de la magnificence de l'Enéide.

Les Vénitiens avoient fait jusques-là le commerce des Indes par les pays des Turcs, et l'avoient poursuivi au milieu des avanies et des outrages. Par la découverte du cap de Bonne-Espérance et celle qu'on fit quelque temps après, l'Italie ne fut plus au centre du monde commer çant; elle fut pour ainsi dire dans un coin de l'univers, et elle y est encore. Le commerce même du levant dépendant aujourd'hui de celui que les grandes nations font aux deux Indes, l'Italie ne le fait plus qu'accessoirement.

Les Portugais trafiquèrent aux Indes en conquérants: les lois gênantes a que les Hollandais imposent aujourd'hui aux petits princes indiens sur le commerce, les Portugais les avoient établies

avant eux.

La fortune de la maison d'Autriche fut prodigieuse. Charles-Quint recueillit la succession de Bourgogne, de Castille et d'Aragon; il parvint à l'empire; et, pour lui procurer un nouveau genre de grandeur, l'univers s'étendit, et l'on vit paroître un monde nouveau sous son obéissance.

Christophe Colomb découvrit l'Amérique; et, quoique l'Espagne n'y envoyât point de forces qu'un petit prince de l'Europe n'eût pu y envoyer tout de même, elle soumit deux grands empires et d'autres grands états.

Pendant que les Espagnols découvroient et conquéroient du côté de l'occident, les Portugais pous soient leurs conquêtes et leurs découvertes du côté de l'orient. Ces deux nations se rencontrèrent; elles eurent recours au pape Alexandre VI, qui fit la célèbre ligne de démarcation, et jugea un grand procès.

Mais les autres nations de l'Europe ne les laissèrent pas jouir tranquillement de leur partage: les Hollandais chassèrent les Portugais de presque toutes les Indes orientales, et diverses nations fi rent en Amérique des établissements.

a Voyez la relation de François Pyrard, part. II, chap

Les Espagnols regardèrent d'abord les terres découvertes comme des objets de conquête des peuples plus raffinés qu'eux trouvèrent qu'elles étoient des objets de commerce, et c'est là-dessus qu'ils dirigèrent leurs vues. Plusieurs peuples se sont conduits avec tant de sagesse, qu'ils ont donné l'empire à des compagnies de négociants qui, gouvernant ces états éloignés uniquement pour le négoce, ont fait une grande puissance accessoire sans embarrasser l'état principal.

Les colonies qu'on y a formées sont sous un genre de dépendance dont on ne trouve que peu d'exemples dans les colonies anciennes, soit que celles d'aujourd'hui relèvent de l'état même, ou de quelque compagnie commerçante établie dans

cet état.

L'objet de ces colonies est de faire le commerce à de meilleures conditions qu'on ne le fait avec les peuples voisins, avec lesquels tous les avantages sont réciproques. On a établi que la métropole seule pourroit négocier dans la colonie ; et cela avec grande raison, parce que le but de l'établissement a été l'extension du commerce, non la fondation d'une ville ou d'un nouvel empire.

Ainsi c'est encore une loi fondamentale de l'Europe, que tout commerce avec une colonie étrangère est regardé comme un pur monopole punissable par les lois du pays; et il ne faut pas juger de cela par les lois et les exemples

des

des anciens peuples, qui n'y sont guère applicables.

Il est encore reçu que le commerce établi entre les métropoles n'entraîne point une permission pour les colonies, qui restent toujours en état de prohibition.

Le désavantage des colonies qui perdent la liberté du commerce, est visiblement compensé par la protection de la métropole, qui la défend par ses armes, ou la maintient par ses lois.

De là suit une troisième loi de l'Europe, que, quand le commerce étranger est défendu avec la colonie, on ne peut naviguer dans ses mers que dans les cas établis par les traités.

Les nations, qui sont à l'égard de tout l'univers ce que les particuliers sont dans un état, se gouvernent comme eux par le droit naturel et par les lois qu'elles se sont faites. Un peuple peut céder à un autre la mer, comme il peut céder la terre. Les Carthaginois exigèrent, des Romains qu'ils ne navigueroient pas au-delà de certaines limites, comme les Grecs avoient exigé du roi de Perse qu'il se tiendroit toujours éloigné des côtes de la mer, de la carrière d'un cheval. a Excepté les Carthaginois, comme on voit par le traité qui termina la première guerre punique.

6 Métropole est, dans le langage des anciens, l'état qui a fondé la colonie.

c Polybe, liv. III.

d Le roi de Perse s'obligea, par un traité, de ne naviguer avec aucun vaisseau de guerre au-delà des Roches Scyanées et des isles Chélidoniennes. Plutarque, vie de Cimon,

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