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LIVRE XII.

Des lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec le citoyen.

CHAPITRE PREMIER,

Idée de ce livre.

Ce n'est pas assez d'avoir traité de la liberté po

litique dans son rapport avec la constitution; i il faut la faire voir dans le rapport qu'elle a avec le citoyen.

J'ai dit que, dans le premier cas, elle est for mée par une certaine distribution des trois pou-, voirs; mais, dans le second, il faut la considérer sous une autre idée. Elle consiste dans la sûreté ou dans l'opinion que l'on a de sa sûreté.

Il pourra arriver que la constitution sera libre, et que le citoyen ne le sera point. Le citoyen pourra être libre, et la constitution ne l'être pas. Dans ces cas, la constitution sera libre de droit, et non de fait; le citoyen sera libre de fait, et non pas de droit.

Il n'y a que la disposition des lois, et même des lois fondamentales, qui forme la liberté dans son rapport avec la constitution. Mais, dans le rapport avec le citoyen, des moeurs, des manières, des exemples reçus, peuvent la faire naître, et de certaines lois civiles la favoriser, comme nous allons voir dans ce livre ci.

De plus, dans la plupart des états, la liberté étant plus gênée, choquée ou abattue, que leur constitution ne le demande, il est bon de parler des lois particulières qui, dans chaque constitution, peuvent aider ou choquer le principe de la liberté dont chacun d'eux peut être susceptible.

CHAPITRE II.

De la liberté du citoyen.

LA liberté philosophique consiste dans l'exer

cice de sa volonté, ou du moins (s'il faut parler dans tous les systêmes) dans l'opinion où l'on est que l'on exerce sa volonté. La liberté politique consiste dans la sûreté, ou du moins dans l'opinion que l'on a de sa sûreté.

Cette sûreté n'est jamais plus attaquée que dans les accusations publiques ou privées. C'est donc de la bonté des lois criminelles que dépend principalement la liberté du citoyen.

Les lois criminelles n'ont pas été perfectionnées tout d'un coup. Dans les lieux mêmes où l'on

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a le plus cherché la liberté, on ne l'a pas toujours trouvée. Aristote a nous dit qu'à Cumes les parents de l'accusateur pouvoient être témoins. Sous les rois de Romè, la loi étoit si imparfaite, que Servius Tullius prononça la sentence contre les enfants d'Ancus Marcius, accusé d'avoir assassiné le roi son beau-père b. Sous les premiers rois des Francs, Clotaire fit une loi pour qu'un accusé ne pût être condamné sans être ouï, cę qui prouve une pratique contraire dans quelque cas particulier ou chez quelque peuple barbare. Ce fut Charondas qui introduisit les jugements contre les faux témoignages 4. Quand l'innocence des citoyens n'est pas assurée, la liberté ne l'est pas non plus.

Les connoissances que l'on a acquises dans quelques pays, et que l'on acquerra dans d'autres sur les règles les plus sûres que l'on puisse tenir dans les jugements criminels, intéressent le genre humain plus qu'aucune chose qu'il y ait au monde.

Ce n'est que sur la pratique de ces connoissances que la liberté peut être fondée ; et, dans un état qui auroit là-dessus les meilleures lois possibles, un homme à qui on feroit son procès, et qui devroit être pendu le lendemain, seroit plus libre qu'un bacha ne l'est en Turquie.

a Polit. liv. II.

b Tarquinius Priscus. Voyez Denys d'Halicarnasse, liv. IV. c De l'an 560.

d Aristote, Polit. liv. II, chap. XII. Il donna ses lois à Thurium. dans la quatre-vingt-quatrième olympiade.

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CHAPITRE II I.

Continuation du même sujet.

Les lois qui font périr un homme sur la dépo

sition d'un seul témoin sont fatales à la liberté. La raison en exige deux, parce qu'un témoin qui affirme, un accusé qui nie, font un partage; ct il faut un tiers pour le vuider.

Les Grecs et les Romains exigeoient une voix de plus pour condamner. Nos lois françaises en demandent deux. Les Grecs prétendoient que leur usage avoit été établi par les dieux; mais c'est le nôtre.

CHAPITRE IV.

Que la liberté est favorisée par la nature des peines et leur proportion.

'EST le triomphe de la liberté, lorsque les lois criminelles tirent chaque peine de la nature particulière du crime. Tout l'arbitraire cesse : la peine ne descend point du caprice du législateur, mais de la nature de la chose; et ce n'est point l'homme qui fait violence à l'homme.

a Voyez Aristide, Orat. in Minervam.

b Denys d'Halicarnasse, sur le jugement du Coriolan, liv. VII.

c Minerva calculus.

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