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cette idée? Dans ces choses voulez-vous savoir si les désirs de chacun sont légitimes? examinez les désirs de tous.

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CHAPITRE X.

Diverses espèces d'esclavage.

y a deux sortes de servitude, la réelle et la personnelle. La réelle est celle qui attache l'esclavage aux fonds de la terre. C'est ainsi qu'étoient les esclaves chez les Germains, au rapport de Tacite a. Ils n'avoient point d'office dans la maison; ils rendoient à leur maître une certaine quantité de bled, de bétail ou d'étoffe : l'objet de leur esclavage n'alloit pas plus loin. Cette espèce de servitude est encore établie en Hongrie, en Bohême, et dans plusieurs endroits de la basse Allemagne.

La servitude personnelle regarde le ministère de la maison, et se rapporte plus à la personne du maître.

L'abus extrême de l'esclavage est lorsqu'il est en même temps personnel et réel. Telle étoit la servitude des Ilotes chez les Lacédémoniens; ils étoient soumis à tous les travaux hors de la maison, et à toutes sortes d'insultes dans la maison : cette ilotie est contre la nature des choses. Les peuples

a De Moribus German.

simples n'ont qu'un esclavage réel, parce que leurs femmes et leurs enfants font les travaux domestiques. Les peuples voluptueux ont un esclavage personnel, parce que le luxe demande le service des esclaves dans la maison. Or l'ilotie joint, dans les mêmes personnes, l'esclavage établi chez les peuples voluptueux, et celui qui est établi chez les peuples simples.

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Ce que les lois doivent faire par rapport à l'esclavage.

MAIS, de quelque nature que soit l'esclavage,

il faut que les lois civiles cherchent â en ôter, d'un côté, les abus; et de l'autre, les dangers.

CHAPITRE XI I.

Abus de l'esclavage.

DANS les états mahometans b, on est non-seule

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ment maître de la vie et des biens des femmes esclaves, mais encore de ce qu'on appelle leur vertu ou leur honneur. C'est un des malheurs

a Vous ne pourriez (dit Tacite sur les moeurs des Germains) distinguer le maître de l'esclave par les délices de la vie. b Voyez Chardin, voyage de Perse.

de ces pays, que la plus grande partie de la nation n'y soit faite que pour servir à la volupté de l'autre. Cette servitude est récompensée par la paresse dont on fait jouir de pareils esclaves : ce qui est encore pour l'état un nouveau malheur.

C'est cette paresse qui rend les serrails de l'Orient a des lieux de délices pour ceux mêmes contre qui ils sont faits. Des gens qui ne craignent que le travail, peuvent trouver leur bonheur dans ces lieux tranquilles. Mais on voit que par-là on choque même l'esprit de l'établissement de l'esclavage,

La raison veut que le pouvoir du maître ne s'étende point au-delà des choses qui sont de son service; il faut que l'esclavage soit pour l'utilité, et non pas pour la volupté. Les lois de la pudicité sont du droit naturel, et doivent être senties par toutes les nations du monde.

Que si la loi qui conserve la pudicité des esclaves, est bonne dans les états où le pouvoir sans bornes se joue de tout, combien le sera-t-elle dans les monarchies! combien le sera-t-elle dans les états républicains!

Il y a une disposition de la loi des Lomhards, qui paroît bonne pour tous les gouvernements. Si un maître débauche la femme de

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son esclave, ceux-ci seront tous deux libres.'

a Voyez Chardin, tome II, dans la description du marché d'Izagour.

b Liv. I, titre XXXII, §. 5.

Tempérament admirable pour prévenir et arrêter sans trop de rigueur l'incontinence des maîtres. '..

Je ne vois pas que les Romains aient eu à cet égard une bonne police. Ils lâchèrent la bride à l'incontinence des maîtres; ils privèrent même en quelque façon leurs esclaves du droit des mariages. C'étoit la partie de la nation la plus vile: mais, quelque vile qu'elle fût, il étoit bon qu'elle eût des moeurs : et de plus, en lui ôtant les mariages, on corrompoit ceux des citoyens.

LR

CHAPITRE XIII.

Danger du grand nombre d'esclaves.

E grand nombre d'esclaves a des effets différents dans les divers gouvernements. Il n'est point à charge dans le gouvernement despotique: l'esclavage politique établi dans le corps de l'état fait que l'on sent peu l'esclavage civil. Ceux que l'on appelle hommes libres ne le sont guère plus que ceux qui n'y ont pas ce titre ; et ceux-ci, en qualité d'eunuques, d'affranchis ou d'esclaves ayant en main presque toutes les affaires, la condition d'un homme libre et celle d'un esclave se touchent de fort près. Il est donc presque indifférent que peu ou beaucoup de gens y vivent dans l'esclavage.

Mais, dans les états modérés, il est très-important qu'il n'y ai point trop d'esclaves. La

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liberté politique y rend précieuse la liberté civile; et celui qui est privé de cette dernière est encore privé de l'autre. Il voit une société heureuse dont il n'est pas même partie; il trouve la sûreté établie pour les autres, et non pas pour lui; il sent que son maître a une ame qui peut s'agrandir, et que la sienne est contrainte de s'abaisser sans cesse. Rien ne met plus près de la condition des bêtes que de voir toujours des hommes libres et de ne l'être pas. De telles gens sont des ennemis naturels de la société, et leur nombre seroit dangereux.

Il ne faut donc pas être étonné que, dans les gouvernements modérés, l'état ait été si troublé par la révolte des esclaves, et que cela soit arrivé si rarementa dans les états despotiques.

CHAPITRE XIV.

Des esclaves armés.

It est moins dangereux dans la monarchie d'ar

mer les esclaves que dans les républiques. Là un peuple guerrier, un corps de noblesse, contiendront assez ces esclaves armés. Dans la république, des hommes uniquement citoyens, ne pourront guère contenir des gens qui, qui, ayant les

a La révolte des Mammelus étoit un cas particulier; c'étoit un corps de milice qui usurpa l'empire. :

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