Page images
PDF
EPUB

femmes lient encore entre eux les individus par les aimants multipliés de filles, de sœurs, d'épouses, de mères. Elles les maintiennent par les mêmes lois qui les ont rassemblés. Leurs hordes errantes sont semblables aux antiques monuments de leurs empires, qui gisent renversés, malgré les ancres de fer qui en liaient les assises. En vain l'Océan en roule les granits dans ses flots; aucune pierre ne se délite, tant est fort le ciment naturel qui en congloméra les grains dans la carrière.

Non-seulement les femmes réunissent les hommes entre eux par les liens de la nature, mais encore par ceux de la société. Remplies pour eux des affections les plus tendres, elles les unissent à celles de la Divinité, qui en est la source. Elles sont les premiers et les derniers apôtres de tout culte religieux, qu'elles leur inspirent dès la plus tendre enfance. Elles embellissent tout le cours de leur vie. Ils leur sont redevables de l'invention des arts de première nécessité, et de tous ceux d'agrément. Elles inventèrent le pain, les boissons agréables, les tissus des vêtements, les filatures, les toiles, etc. Elles amenèrent les premières à leurs pieds les animaux utiles et timides qu'ils effrayaient par leurs armes, et qu'elles subjuguèrent par des bienfaits. Elles imaginèrent, pour plaire aux hommes, les chansons gaies, les danses innocentes, et inspirèrent à leur tour la poésie, la peinture, la sculpture, l'architecture, à ceux d'entre eux qui désirèrent conserver d'elles de précieux ressouvenirs. Ils sentirent alors se mêler à leurs passions ambitieuses l'héroïsme et la pitié. Ils n'avaient imaginé, au milieu de leurs guerres cruelles et permanentes, que des dieux redoutables: un Jupiter foudroyant, un noir Pluton, un Neptune toujours en courroux, un Mars sanglant, un Mercure voleur, un Bacchus toujours ivre; mais à la vue de leurs femmes chastes, douces, aimantes, laborieuses, ils concurent dans les cieux des divinités bienfaisantes. Remplis de reconnaissance pour les compagnes de leur vie, ils leur élevèrent des monuments plus nombreux et plus durables que des temples. Ils donnèrent d'abord, dans toutes les langues, des noms féminins à tout ce qu'ils trouvèrent de plus aimable et de plus doux sur la terre, à leurs diverses patries, à la plupart des rivières qui les arrosaient, aux fleurs les plus odorantes, aux fruits les plus savoureux, aux oiseaux qui avaient le plus de mélodie.

Mais tout ce qui leur sembla mériter dans la nature des hommages plus étendus par une beauté ou par une utilité supérieure, reçut d'eux des noms de déesses, c'est-à-dire de femmes immortelles. Elles eurent leur séjour dans les cieux, et leur département sur la terre. Ainsi ils féminisèrent et déifièrent la lumière, les étoiles, la nuit, l'aurore. Ils attribuèrent les fontaines aux naïades, les ondes azurées de la mer aux néréides, les prairies à Palès, les forêts aux dryades. Ils distribuèrent de plus grands départements à des déesses d'un plus haut rang: l'air avec ses nuages majestueux à Junon, la mer paisible à Téthys, la terre et ses riches minéraux à Cybèle, les bêtes fauves à Diane, et les moissons à Cérès. Ils caractérisèrent les puissances de l'âme, source de toutes leurs jouissances, comme celles de la nature. Ils firent des déesses des vertus qui les fortifiaient, des grâces qui les rendaient sensibles, des muses qui les inspiraient, et de la sagesse, mère de toute industrie. Enfin, ils donnèrent à la déesse qui réunissait tous les charmes de la femme le nom de Vénus, plus expressif sans doute que celui d'aucune divinité. Son père fut Saturne ou le Temps, son berceau l'Océan; pour compagnons de sa naissance elle eut les Jeux, les Ris, les Grâces; pour époux le dieu du feu, pour enfant l'Amour, et pour domaine toute la nature.

En effet, tout objet aimable a sa vénusté, c'est-à-dire une portion de cette beauté ineffable qui engendre les amours. La plus touchante en est sans doute la sensibilité, cette âme de l'àme qui en anime toutes les facultés. Ce fut par elle que Vénus subjugua le dieu indomptable de la guerre.

O femmes, c'est par votre sensibilité que vous enchaînez les ambitions des hommes ! Partout où vous avez joui de vos droits naturels, vous avez aboli les éducations barbares, l'esclavage, les tortures, les mutilations, les croix, les roues, les bûchers, les lapidations, le hacher par morceaux, et tous les supplices cruels de l'antiquité, qui étaient bien moins des punitions d'une justice équitable, que des vengeances d'une politique féroce. Partout vous avez été les premières à'honorer de vos larmes les victimes de la tyrannie, et à faire connaitre les remords aux tyrans. Votre pitié naturelle vous donne à la fois l'instinct de l'innocence et celui de la véritable grandeur. C'est vous qui conservez et embellissez de vos souvenirs les renommées des conquérants magnanimes, dont

les vertus généreuses protégèrent les faibles, et surtout votre sexe. Tels ont été les Cyrus, les Alexandre, les Charlemagne; sans vous, ils ne nous seraient pas plus recommandables que les Tamerlan, les Bajazet, les Attila.

Vous êtes les fleurs de la vie. C'est dans votre sein que la nature verse les générations et les premières affections qui les font éclore. Vous civilisez le genre humain, et vous en rapprochez les peuples bien mieux par des mariages, que la diplomatie par des traités. Vous êtes les âmes de leur industrie et de leur navigation. C'est pour vous procurer de nouvelles jouissances que les puissances maritimes vont chercher aux Indes les plus douces et les plus riches productions de la terre et du soleil. Pline dit que déjà de son temps ce commerce se faisait principalement pour vous. Vous formez entre vous par toute la terre un vaste réseau, dont les fils se correspondent dans le passé, le présent et l'avenir, et se prêtent mutuellement des forces. Vous enchainez de fleurs ce globe, dont les passions cruelles des hommes se disputent l'empire.

O Françaises, c'est pour vous que l'Indienne donne aujourd'hui la transparence au coton et le plus vif éclat à la soie! Ce fut pour vous que les filles d'Athènes imaginèrent ces robes commodes et charmantes, si favorables à la pudeur et à la beauté, que le sage Fénelon lui-même les trouvait bien préférables à tous les costumes gênants et orgueilleux de son siècle. La mode vous en a revêtues; et elles ont ajouté à vos grâces naturelles. Mères et nourrices de notre enfance, quel pouvoir vos charmes n'ajoutent-ils pas à vos vertus! Vous êtes les reines de nos opinions et de notre ordre moral. Vous avez perfectionné nos goûts, nos modes, nos usages, en les simplifiant.

Vous êtes les juges nés de tout ce qui est décent, gracieux, bon, juste, héroïque. Vous répandez l'influence de vos jugements dans toute l'Europe, et vous en avez rendu Paris le foyer. C'est dans ses murs, à votre vue, ou par vos souvenirs, que nos soldats s'animent à la défense de la patrie : c'est dans ces mêmes murs que les guerriers étrangers, qui ont porté contre eux des armes malheureuses, viennent en foule, dans les trop courts intervalles de la paix, oublier à vos pieds tous leurs ressentiments.

Notre langue vous doit sa clarté, sa pureté, son élégance, sa douceur, tout ce qu'elle a d'aimable et de naïf. Vous avez inspiré

et formé nos plus grands poëtes et nos plus fameux orateurs. Vous protégez dans vos cercles l'écrivain solitaire qui a eu le bonheur de vous plaire, et le malheur d'irriter les factions jalouses. A vos regards modestes, aux doux sons de votre voix, le sophiste audacieux se trouble, le fanatique sent qu'il est homme, et l'athée qu'il existe un Dieu. Vos larmes touchantes éteignent les torches de la superstition, et vos divins sourires dissipent les froids arguments du matérialisme.

Ainsi, sur les rivages de l'Islande, après de longs hivers, la reine des mers boréales, la montagne de l'Hécla, couronnée de volcans, vomit des tourbillons de feux et de fumées à travers des pyramides de glaces qui semblent menacer les cieux : mais lorsque le globe, au signe des Gémeaux, achève d'incliner le pôle nord vers le soleil, les vents du printemps qui naissent sous l'empire de l'astre du jour joignent leurs tièdes haleines à ses rayons ardents. Les flancs de la montagne alors se réchauffent, une chaleur souterraine s'étend sous la coupole de glace qui la surmonte, et lui refuse bientôt tout son appui. D'abord ses sommets orgueilleux se précipitent dans ses cratères brûlants, en éteignent les feux, pénètrent dans ses longs souterrains, et jaillissent autour de sa base en hautes gerbes d'eaux noires et bouillantes. Ses fondements caverneux s'affaiblissent sur leurs propres piles, glissent et s'écroulent en énormes rochers dans le sein des mers qu'ils menaçaient d'envahir. Les bruits affreux de leurs chutes, les sombres murmures de leurs torrents, les rugissements des phoques et des ours marins qui les habitaient, sont répétés au loin par les échos d'Horrillax et du Waigats. Les peuples riverains de l'Atlantique voient avec effroi ces glaciers terreux voguer, renversés, le long de leurs rivages. Entraînés par leurs propres courants, sous les formes fantastiques de temples, de châteaux, ils vont rafraîchir les mers torridiennes, et fonder, dans leurs flots attiédis, des écueils que l'hiver suivant ne reverra plus.

Cependant la montagne apparaît, à travers les brumes de ses neiges fondues et les dernières fumées de ses volcans, nue, hideuse, ses collines dégradées, et montrant à découvert ses antiques ossements. C'est alors que les zéphyrs, qui l'ont dépouillée du manteau des hivers, la revêtissent de la robe du printemps. Ils accoureut en foule des zones tempérées, portant sur leurs

ailes les semences volatiles des végétaux. Ils tapissent de mousses,' de graminées et de fleurs, ses flancs déchirés et ses plaies profondes. Les oiseaux de la terre et des eaux y déposent leurs nids. En peu d'années, de vastes bosquets de cèdres et de bouleaux sortent de ses cratères éteints. Une nouvelle adolescence la pénètre de toutes les influences du soleil, pendant un jour de plusieurs mois.

Sa beauté même s'accroît de celle des longues nuits du pôle. Quand l'hiver, à la faveur de leurs ténèbres, y relève son trône, étend sur lui son manteau d'hermine, et prépare à l'Océan de nouvelles révolutions, la lune circule tout autour, et lui renvoie une partie des rayons du soleil qui l'abandonne. L'aurore boréale le couronne de ses feux mobiles, et agite autour de lui ses drapeaux lumineux. A ce signal céleste, les rennes fuient vers de moins âpres contrées ; ils aperçoivent, à la lucur de ces clartés tremblantes, l'IIécla au milieu des mers hérissées de glaçons; et ils viennent, en bramant, chercher dans ses vallées profondes de nouveaux pâturages. Des légions de cygnes tracent autour de sa cime de longues spirales, et, joyeux de descendre sur cette terre hospitalière, fout entendre au haut des airs des accents inconnus à nos climats. Les filles d'Ossian, attentives, suspendent leurs chasses nocturnes pour répéter sur leurs harpes ces concerts mélodieux, et bientôt de nouveaux Pauls viennent chercher parmi elles de nouvelles Virginies.

« PreviousContinue »