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blirent un très grand nombre de colonies, que ces colonies négocierent avec les peuples barbares, qu'elles communiquerent avec leur métropole, Orcomene commença à déchoir, et elle rentra dans la foule des autres villes grecques.

les

Les Grecs, avant Homere, n'avoient guere négocié qu'entre eux et chez quelque peuple barbare; mais ils étendirent leur domination à mesure qu'ils formerent de nouveaux peuples. La Grece étoit une grande péninsule dont caps sembloient avoir fait reculer les mers; et les golfes s'ouvrirent de tous côtés comme pour les recevoir encore. Si l'on jette les yeux sur la Grece, on verra dans un pays assez resserré une vaste étendue de côtes. Ses colonies innombrables faisoient une immense circonférence autour d'elle; et elle y voyoit pour ainsi dire tout le monde qui n'étoit pas barbare. Pénétra-t-elle en Sicile et en Italie; elle y forma des nations. Navigua-t-elle vers les mers du Pont, vers les côtes de l'Asie mineure, vers celles d'Afrique; elle en fit de même. Ses villes acquirent de la prospérité à mesure qu'elles se trouverent près de nouveaux peuples: et, ce qu'il y avoit d'admirable, des isles sans nombre situées comme en premiere ligne l'entouroient encore.

Quelles causes de prospérité pour la Grece, que des jeux qu'elle donnoit pour ainsi dire à l'univers, des temples où tous les rois envoyoient des offrandes; des fêtes où l'on s'as

sembloit de toutes parts, des oracles qui faisoient l'attention de toute la curiosité humaine, enfin le goût et les arts portés à un point, que de croire les surpasser sera toujours ne les pas connoître !

CHAPITRE VIII.

D'Alexandre. Sa conquête.

UATRE évènements arrivés sous Alexandre firent dans le commerce une grande révolutior; la prise de Tyr, la conquête de l'Egypte, celle des Indes, et la découverte de la mer qui est au midi de ce pays.

L'empire des Perses s'étendoit jusqu'à l'Indus (1). Long-temps avant Alexandre, Darius (2) avoit envoyé des navigateurs qui descendirent ce fleuve, et allerent jusqu'à la mer Rouge. Comment donc les Grecs furent-ils les premiers qui firent par le midi le commerce des Indes? Comment les Perses ne l'avoient-ils pas fait auparavant? Que leur servoient des mers qui étoient si proche d'eux, des mers qui baignoient leur empire? Il est vrai qu'Alexandre conquit les Indes; mais faut-il conquérir un pays pour y négocier? J'examinerai ceci.

L'Ariane (3), qui s'étendoit depuis le golfe persique jusqu'à l'indus, et de la mer du midi

(1) Strabon, liv. XV.—(2) Hérodote, in Melpo-(3) Strabon, liv. XV.

mene.

jusqu'aux montagnes des Paropamisades, dépendoit bien en quelque façon de l'empire des Perses; mais, dans sa partie méridionale, elle étoit aride, brûlée, inculte, et barbare. La tradition (1) portoit que les armées de Sémiramis et de Cyrus avoient péri dans ces déserts; et Alexandre, qui se fit suivre par sa flotte, ne laissa pas d'y perdre une grande partie de son armée. Les Perses laissoient toute la côte au pouvoir des Ichthyophages (2), des Orittes, et autres peuples barbares. D'ailleurs les Perses (3) n'étoient pas navigateurs, et leur religion même leur ôtoit toute idée de commerce maritime. La navigation que Darius fit faire sur l'Indus et la mer des Indes fut plutôt une fantaisie d'un prince qui veut montrer sa puissance, que le projet réglé d'un monarque qui veut l'employer. Elle n'eut de suite ni pour le commerce ni pour la marine; et si l'on sortit de l'ignorance, ce fut pour y retomber.

Il y a plus: il étoit reçu (4), avant l'expédition d'Alexandre, que la partie méridionale des Indes étoit inhabitable (5); ce qui suivoit

(1) Strabon, liv. XV.—(2) Pline, liv. VI, chap. XXIII; Strabon, 1. XV.—(3) Pour ne point souiller les éléments, ils ne naviguoient pas sur les fleuves. M. Hylde, religion des Perses. Encore aujourd'hui ils n'ont point de commerce maritime, et ils traitent d'athées ceux qui vont sur mer.—(4) Strabon, 1. XV. -(5) Hérodote, in Melpomene, dit que Darius conquit les Indes. Cela ne peut être entendu que de l'Ariane: encore ne fut-ce qu'une conquête en idée. ESPR. DES LOIS. 3.

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de la tradition que Sémiramis (1) n'en avoit ramené que vingt hommes, et Cyrus que sept.

Alexandre entra par le nord. Son dessein étoit de marcher vers l'orient: mais, ayant trouvé la partie du midi pleine de grandes nations, de villes et de rivieres, il en tenta la conquête, et la fit.

Pour lors il forma le dessein d'unir les Indes avec l'occident par un commerce maritime, comme il les avoit unies par des colonies qu'il avoit établies dans les terres.

Il fit construire une flotte sur l'Hydaspe, descendit cette riviere, entra dans l'Indus, et navigua jusqu'à son embouchure. Il laissa son armée et sa flotte à Patale, alla lui-même avec quelques vaisseaux reconnoître la mer, marqua les lieux où il voulut que l'on construisît des ports, des havres, des arsenaux. De retour Patale, il se sépara de sa flotte, et prit la route de terre pour lui donner du secours et en recevoir. La flotte suivit la côte depuis l'embouchure de l'Indus, le long du rivage des pays des Orittes, des Ichthyophages, de la Caramanie, et de la Perse. Il fit creuser des puits, bâtir des villes; il défendit aux Ichthyophages (2) de vivre de poisson; il vouloit que les

(1) Strabon, liv. XV.—(2) Ceci ne sauroit s'entendre de tous les Ichthyophages, qui habitoient une côte de dix mille stades. Comment Alexandre auroit-il pu leur donner la subsistance? Comment se seroit-il fait obéir? Il ne peut être ici question que de quelques peuples particuliers. Néarque, dans

bords de cette mer fussent habitės par des nations civilisées. Néarque et Onésicrite ont fait le journal de cette navigation, qui fut de dix mois. Ils arriverent à Suse; ils Ꭹ trouverent Alexandre qui donnoit des fêtes à son ar

mée.

Ce conquérant avoit fondé Alexandrie dans la vue de s'assurer de l'Egypte : c'étoit une clef pour l'ouvrir dans le lieu même (1) où les rois ses prédécesseurs avoient une clef pour la fermer; et il ne songeoit point à un commerce dont la découverte de la mer des Indes pouvoit seule lui faire naître la pensée.

Il paroit même qu'après cette découverte il n'eut aucune vue nouvelle sur Alexandrie. Il avoit bien en général le projet d'établir un commerce entre les Indes et les parties occidentales de son empire; mais, pour le projet de faire ce commerce par l'Egypte, il lui manquoit trop de connoissances pour pouvoir le former. Il avoit vu l'Indus, il avoit vu le Nil; mais il ne connoissoit point les mers d'Arabie,

le livre Rerum indicarum, dit qu'à l'extrémité de cette côte, du côté de la Perse, il avoit trouvé les peuples moins ichthyophages. Je croirois que l'ordre d'Alexandre regardoit cette contrée, ou quelque autre encore plus voisine de la Perse.-(1) Alexandrie fut fondée dans une plage appelée Racotis. Les anciens rois y tenoient une garnison pour défendre l'entrée du pays aux étrangers, et sur-tout aux Grecs, qui étoient, comme on sait, de grands pirates. Voyez Pline, liv. VI, ch. X; et Strabon, liv. XVIII.

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