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n'examine pas si l'on fait bien de donner ainsi aux richesses le prix de la vertu : il y a tel gouvernement où cela peut être très utile.

En France, cet état de la robe qui se trouve entre la grande noblesse et le peuple, qui, sans avoir le brillant de celle-là, en a tous les privileges; cet état qui laisse les particuliers dans la médiocrité, tandis que le corps dépositaire des lois est dans la gloire; cet état encore dans lequel on n'a de moyen de se distinguer que par la suffisance et par la vertu ; profession honorable, mais qui en laisse toujours voir une plus distinguée : cette noblesse toute guerriere qui pense qu'en quelque degré de richesses que l'on soit il faut faire sa fortune, mais qu'il est honteux d'augmenter son bien si on ne commence par le dissiper; cette partie de la nation qui sert toujours avec le capital de son bien; qui, quand elle est ruinée, donne sa place à un autre qui servira avec son capital encore; qui va à la guerre pour que personne n'ose dire qu'elle n'y a pas été; qui, quand elle ne peut espérer les richesses, espere les honneurs, et, lorsqu'elle ne les obtient pas, se console, parcequ'elle a acquis de l'honneur: toutes ces choses ont nécessairement contribué à la grandeur de ce royaume. Et si, depuis deux ou trois siecles, il a augmenté sans cesse sa puissance, il faut attribuer cela à la bonté de ses lois, non pas à la fortune, qui n'a pas ces sortes de constance.

CHAPITRE XXIII.

A quelles nations il est désavantageux de faire le commerce.

LES

Es richesses consistent en fonds de terre. ou en effets mobiliers: les fonds de terre de chaque pays sont ordinairement possédés par ses habitants. La plupart des états ont des lois qui dégoûtent les étrangers de l'acquisition de leurs terres; il n'y a même que la présence du maître qui les fasse valoir ce genre de richesses appartient donc à chaque état en particulier. Mais les effets mobiliers, comme l'argent, les billets, les lettres de change, les actions sur les compagnies, les vaisseaux, toutes les marchandises, appartiennent au monde entier, qui, dans ce rapport, ne compose qu'un seul état dont toutes les sociétés sont les membres : le peuple qui possede le' plus de ces effets mobiliers de l'univers est le plus riche. Quelques états en ont une immense quantité; ils les acquierent chacun par leurs denrées, par le travail de leurs ouvriers, par leur industrie, par leurs découvertes, par le hasard même. L'avarice des nations se dispute les meubles de tout l'univers. Il peut se trouver un état si malheureux qu'il sera privé des effets des autres pays, et même encore de presque tous les siens : les propriétaires des fonds de terre n'y seront que les colons des étrangers. Cet état manquera de tout, et ne

LIVRE XXI.

DES LOIS, DANS LE RAPPOrt qu'elles ont avec le COMMERCE CONSidéré dans les RÉVOLUTIONS Qu'n

A EUES DANS LE MONDE.

CHAPITRE PREMIER.

Quelques considérations générales. QUOIQUE le commerce soit sujet à de grandes révolutions, il peut arriver que de certaines causes physiques, la qualité du terrain ou du climat, fixent pour jamais sa nature.

Nous ne faisons aujourd'hui le commerce des Indes que par l'argent que nous y envoyons. Les Romains (1) y portoient toutes les années environ cinquante millions de sesterces. Cet argent, comme le nôtre aujourd'hui, étoit converti en marchandises qu'ils rapportoient en occident. Tous les peuples qui ont négocié aux Indes y ont toujours porté des métaux, et en ont rapporté des marchandises.

C'est la nature même qui produit cet effet. Les Indiens ont leurs arts, qui sont adaptés à leur maniere de vivre. Notre luxe ne sauroit être le leur, ni nos besoins être leurs besoins, Le climat né leur demande ni ne leur permet

(1) Pline, liv. VI, chap. XXIII.

presque rien de ce qui vient de chez nous. Ils vont en grande partie nus; les vêtements qu'ils ont, le pays les leur fournit convenables; et leur religion, qui a sur eux tant d'empire, leur donne de la répugnance pour les choses qui nous servent de nourriture. Ils n'ont donc besoin que de nos métaux, qui sont les signes des valeurs, et pour lesquels ils donnent des marchandises que leur frugalité et la nature de leur pays leur procurent en grande abondance. Les auteurs anciens qui nous ont parlé des Indes nous les dépeignent (1) telles que nous les voyons aujourd'hui, quant à la police, aux manieres et aux mœurs. Les Indes ont été, les Indes seront, ce qu'elles sont à présent; et, dans tous les temps, reux qui négocieront aux Indes y porteront de l'argent, et n'en rapporteront pas.

A

CHAPITRE II

Des peuples d'Afrique.

La plupart des peuples des côtes de l'Afrique sont sauvages ou barbares. Je crois que cela vient beaucoup de ce que des pays presque inhabitables séparent de petits pays qui peuvent être habités. Ils sont sans industrie; ils n'ont point d'arts; ils ont en abondance des métaux précieux qu'ils tiennent immédiate

(1) Voyez Pline, liv. VI, chap. XIX; et Strabon, liv. XV.

ment des mains de la nature. Tous les peuples policés sont donc en état de négocier avec eux avec avantage; ils peuvent leur faire estimer beaucoup des choses de nulle valeur, et en recevoir un très grand prix.

CHAPITRE III.

Que les besoins des peuples du midi sont différents de ceux des peuples du nord.

I

Ly a dans l'Europe une espece de balancement entre les nations du midi et celles du nord. Les premieres ont toutes sortes de commodités pour la vie et peu de besoins; les secondes ont beaucoup de besoins et peu de commodités pour la vie. Aux unes, la nature a donné beaucoup, et elles ne lui demandent que peu; aux autres la nature donne peu, et elles lui demandent beaucoup. L'équilibre se maintient par la paresse qu'elle a donnée aux nations du midi, et par l'industrie et l'activité qu'elle a données à celles du nord. Ces dernieres sont obligées de travailler beaucoup, sans quoi elles manqueroient de tout et deviendroient barbares. C'est ce qui a naturalisé la servitude chez les peuples du midi : comme ils peuvent aisément se passer de richesses, ils peuvent encore mieux se passer de liberté. Mais les peuples du nord ont besoin de la liberté, qui leur procure plus de moyens de satisfaire tous les besoins que la nature leur a donnés. Les peuples du nord sont donc dans

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