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La même raison de spiritualité qui avoit fait permettre le célibat imposa bientôt la nécessité du célibat même. A Dieu ne plaise que je parle ici contre le célibat qu'a adopté la religion! mais qui pourroit se taire contre celui qu'a formé le libertinage, celui où les deux sexes, se corrompant par les sentiments naturels mêmes, fuient une union qui doit les rendre meilleurs, pour vivre dans celle qui les rend toujours pires?

C'est une regle tirée de la nature, que plus on diminue le nombre des mariages qui pourroient se faire, plus on corrompt ceux qui sont faits; moins il y a de gens mariés, moins il y a de fidélité dans les mariages; comme lorsqu'il y a plus de voleurs, il y a plus de vols.

CHAPITRE XXII.

De l'exposition des enfants.

Les premiers Romains eurent une assez bonne police sur l'exposition des enfants, Romulus, dit Denys d'Halicarnasse (1), imposa à tous les citoyens la nécessité d'élever tous les enfants måles et les aînées des filles. Si les enfants étoient difformes et monstrueux, il permettoit de les exposer après les avoir montrés à cinq des plus proches voisins.

Romulus ne permit (2) de tuer aucun en

(1) Antiquités romaines, liv. II.—(2) Ibid.

fant qui eût moins de trois ans : par-là il concilioit la loi qui donnoit aux peres le droit de vie et de mort sur leurs enfants, et celle qui défendoit de les exposer.

On trouve encore dans Denys d'Halicarnasse (1) que la loi qui ordonnoit aux citoyens de se marier et d'élever tous leurs enfants étoit en vigueur l'an 277 de Rome: on voit que l'usage avoit restreint la loi de Romulus qui permettoit d'exposer les filles cadettes.

Nous n'avons de connoissance de ce que la loi des douze tables, donnée l'an de Rome 301, statua sur l'exposition des enfants, que par un passage de Cicéron (2), qui, parlant du tribunat du peuple, dit que d'abord après sa naissance, tel que l'enfant monstrueux de la loi des douze tables, il fut étouffé : les enfants qui n'étoient pas monstrueux étoient donc conservés, et la loi des douze tables ne changea rien aux institutions précédentes.

Les Germains (3), dit Tacite, n'exposent « point leurs enfants; et, chez eux, les bonnes « mœurs ont plus de force que n'ont ailleurs les bonnes lois. » Il y avoit donc chez les Romains des lois contre cet usage, et on ne les suivoit plus. On ne trouve aucune loi (4) ro

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(1) Liv. IX.—(2) Liv. III, de legibus.--(3) De moribus Germ.—(4) Il n'y a point de titre là-dessus dans le Digeste : le titre du Code n'en dit rien, non plus que les Novelles.

maine qui permette d'exposer les enfants: ce fut sans doute un abus introduit dans les derniers temps, lorsque le luxe ôta l'aisance, lorsque les richesses partagées furent appelées pauvreté, lorsque le pere crut avoir perdu ce qu'il donna à sa famille, et qu'il distingua cette famille de sa propriété.

CHAPITRE XXIII.

De l'état de l'univers après la destruction des

Romains.

Les réglements que firent les Romains pour augmenter le nombre de leurs citoyens eurent leur effet pendant que leur république, dans la force de son institution, n'eut à réparer que les pertes qu'elle faisoit par son courage, par son audace, par sa fermeté, par son amour pour la gloire, et par sa vertu même. Mais bientôt les lois les plus sages ne purent rétablir ce qu'une république mourante, ce qu'une anarchie générale, ce qu'un gouvernement militaire, ce qu'un empire dur, ce qu'un despotisme superbe, ce qu'une monarchie foible, ce qu'une cour stupide, idiote, et superstitieuse, avoient successivement abattu: on eût dit qu'ils n'avoient conquis le monde que pour l'affoiblir et le livrer sans défense aux barbares. Les nations gothes, gétiques, sarrasines, et tartares, les accablerent tour à tour; bientôt les peuples barbares n'eurent à détruire

que des peuples barbares. Ainsi, dans le temps des fables, après les inondations et les déluges, il sortit de la terre des hommes armés qui s'exterminerent.

CHAPITRE XXIV.

Changements arrivés en Europe par rapport an nombre des habitants.

DANS l'état où étoit l'Europe, on n'auroit pas cru qu'elle pût se rétablir, sur-tout lorsque, sous Charlemagne, elle ne forma plus qu'un vaste empire. Mais, par la nature du gouvernement d'alors, elle se partagea en une infinité de petites souverainetés; et comme un seigneur résidoit dans son village ou dans sa ville, qu'il n'étoit grand, riche, puissant, que dis-je? qu'il n'étoit en sûreté que par le nombre de ses habitants, chacun s'attacha avec une attention singuliere à faire fleurir son petit pays: ce qui réussit tellement que, malgré les irrégularités du gouvernement, le défaut des connoissances qu'on a acquises depuis sur le commerce, le grand nombre de guerres et de querelles qui s'éleverent sans cesse, il y eut dans la plupart des contrées d'Europe plus de peuple qu'il n'y en a aujour

d'hui.

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Je n'ai pas le temps de traiter à fond cette matiere; mais je citerai les prodigieuses armées des croisés, composées de gens de toute es

censeurs corrigeoient à cet égard les désordres qui naissoient, ou les empêchoient de naître. Constantin (1) ayant fait une loi par laquelle il comprenoit dans la défense de la loi Pappienne non seulement les sénateurs, mais encore ceux qui avoient un rang considérable dans l'état, sans parler de ceux qui étoient d'une condition inférieure; cela forma le droit de ce temps-là: il n'y eut plus que les ingénus compris dans la loi de Constantin à qui de tels mariages fussent défendus. Justinien (2) abrogea encore la loi de Constantin, et permit à toutes sortes de personnes de contracter ces mariages: c'est par-là que nous avons acquis une liberté si triste.

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Il est clair que les peines portées contre ceux qui se marioient contre la défense de la loi étoient les mêmes que celles portées contre ceux qui ne se marioient point du tout. Ces mariages ne leur donnoient aucun avantage(3) civil: la dot (4) étoit caduque (5) après la mort de la femme.

Auguste ayant adjugé au trésor (6) public les successions et les legs de ceux que ces lois en déclaroient incapables, ces lois parurent

(1) Voyez la loi I, au cod. de nat. lib.--(2) Novelle 117.—(3) Loi XXXVII, ff. de oper. libert., S. 7; Fragm, d'Ulpien, tit. XVI, §. 2.- -(4) Fragm. ibid. (5) Voyez ci-après le ch. XIII du liv. XXVI. --(6) Excepté dans de certains cas. Voyez les Fragm. d'Ulpien, tit. XVIII; et la loi unique, au cod. de caduc. tollend.

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