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cela étoit, de certaines regles monastiques, qui obligent de vivre de poisson, seroient contraires à l'esprit du législateur même.

CHAPITRE XIV.

Des productions de la terre qui demandent plus ou moins d'hommes.

LES

Es pays de pâturages sont peu peuplés, par ceque peu de gens y trouvent de l'occupation: les terres à bled occupent plus d'hommes, et les vignobles infiniment davantage.

En Angleterre (1), on s'est souvent plaint que l'augmentation des pâturages diminuoit les habitants; et on observe en France que la grande quantité de vignobles y est une des grandes causes de la multitude des hommes.

Les pays où les mines de charbon fournissent des matieres propres à brûler ont cet avantage sur les autres, qu'il ny faut point de forêts, et que toutes les terres peuvent être cultivées.

Dans les lieux où croit le riz, il faut de grands

(1) La plupart des propriétaires des fonds de terre, dit Burnet, trouvant plus de profit en la vente de leur laine que de leur bled, enfermerent leurs possessions. Les communes, qui mouroient de faim, se souleverent: on proposa une loi agraire ; le jeune roi écrivit même là-dessus: on fit des proclamations contre ceux qui avoient renfermé leurs terres. Abrégé de l'Histoire de la réforme, p. 44 et 83.

travaux pour ménager les eaux; beaucoup de gens y peuvent donc être occupés. Il y a plus, il y faut moins de terre pour fournir à la subsistance d'une famille que dans ceux qui produisent d'autres grains; enfin la terre qui est employée ailleurs à la nourriture des animaux ysert immédiatement à la subsistance des hommes: le travail que font ailleurs les animaux est fait là par les hommes; et la culture des terres devient pour les hommes une immense manufacture.

CHAPITRE XV.

Du nombre des habitants par rapport aux arts.

LORSQU'IL y a une loi agraire et que les terres sont également partagées, le pays peut être très peuplé, quoiqu'il y ait peu d'art, parceque chaque citoyen trouve dans le travail de sa terre précisément de quoi se nourrir, et que tous les citoyens ensemble consomment tous les fruits du pays. Cela étoit ainsi dans quelques anciennes républiques.

Mais, dans nos états d'aujourd'hui, les fonds de terre sont inégalement distribués; ils produisent plus de fruits que ceux qui les cultivent n'en peuvent consommer; et, si l'on y néglige les arts et qu'on ne s'attache qu'à l'agriculture, le pays ne peut être peuplé. Ceux qui cultivent ou font cultiver, ayant des fruits de reste, rien ne les engage à travailler l'année d'ensuite: les fruits ne seroient point consom

més par les gens oisifs, car les gens oisifs n'auroient pas de quoi les acheter. Il faut donc que les arts s'établissent pour que les fruits soient consommés par les laboureurs et les artisans. En un mot, ces états ont besoin que beaucoup de gens cultivent au-delà de ce qui leur est nécessaire pour cela il faut leur donner envie d'avoir le superflu; mais il n'y a que les artisans qui le donnent.

Ces machines dont l'objet est d'abréger l'art ne sont pas toujours utiles. Si un ouvrage est à un prix médiocre, et qui convienne également à celui qui l'achete et à l'ouvrier qui l'a fait, les machines qui en simplifieroient la manufacture, c'est-à-dire qui diminueroient le nombre des ouvriers, seroient pernicieuses; et si les moulins à eau n'étoient pas par-tout établis, je ne les croirois pas aussi utiles qu'on le dit, parcequ'ils ont fait reposer une infinité de bras, qu'ils ont privé bien des gens de l'usage des eaux, et ont fait perdre la fécondité à beaucoup de terres.

CHAPITRE XVI.

Des vues du législateur sur la propagation de l'espece. Les réglements sur le nombre des citoyens dépendent beaucoup des circonstances. Il y a des pays où la nature a tout fait; le législateur n'y a donc rien à faire. A quoi bon engager par des lois à la propagation lorsque la fécondité du climat donne assez de peuple? Quelquefois

le climat est plus favorable que le terrain ; le peuple s'y multiplie, et les famines le détrui sent: c'est le cas où se trouve la Chine; aussi un pere y vend-il ses filles et expose ses enfants. Les mêmes causes operent au Tonquin (1) les mêmes effets; et il ne faut pas, comme les voyageurs arabes dont Renaudot nous a donné la relation, aller chercher l'opinion (2) de la métempsychose pour cela.

Les mêmes raisons font que dans l'isle Formose (3), la religion ne permet pas aux femmes de mettre des enfants au monde qu'elles n'aiënt trente-cinq ans: avant cet âge la prêtresse leur foule le ventre et les fait avorter.

CHAPITRE XVII.

De la Grece et du nombre de ses habitants.

CET effet, qui tient à des causes physiques dans de certains pays d'orient, la nature du gouvernement le produisit dans la Grece. Les Grecs étoient une grande nation composée de villes qui avoient chacune leur gouvernement et leurs lois. Elles n'étoient pas plus conquérantes que celles de Suisse, de Hollande, ei d'Allemagne, ne le sont aujourd'hui. Dans chaque république, le législateur avoit eu pour

(1) Voyages de Dampierre, tome III, p. 41.(2) Page 167.(3) Voyez le Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome V, part. I, p. 182 et 188.

objet le bonheur des citoyens au dedans, et une puissance au dehors qui ne fût pas inférieure à celle des villes voisines (1). Avec un petit territoire et une grande félicité il étoit facile que le nombre des citoyens augmentat et leur devînt à charge; aussi firent-ils sans cesse des (2) colonies; ils se vendirent pour la guerre, comme les Suisses font aujourd'hui: rien ne fut négligé de ce qui pouvoit empêcher la trop grande multiplication des enfants.

Il y avoit chez eux des républiques dont la constitution étoit singuliere. Des peuples soumis étoient obligés de fournir la subsistance aux citoyens : les Lacédémoniens étoient nourris par les Ilotes, les Crétois par les Périéciens, les Thessaliens par les Pénestes. Il ne devoit y avoir qu'un certain nombre d'hommes libres pour que les esclaves fussent en état de leur fournir la subsistance. Nous disons aujourd'hui qu'il faut borner le nombre des troupes réglées: or Lacédémone étoit une armée entretenue par des paysans: il falloit donc borner cette armée; sans cela les hommes libres, qui avoient tous les avantages de la société, se seroient multipliés sans nombre, et les labou reurs auroient été accablés.

Les politiques grecs s'attacherent done particulièrement à régler le nombre des citoyens.

(1) Par la valeur, la discipline et l'exercice mili. taire.-(2) Les Gaulois, qui étoient dans le même eas, firent de même.

ESPR, DFS LOIS. 3.

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