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LIVRE XXIII.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT avec le

NOMBRE DES HABITANTS.

CHAPITRE PREMIER.

Des hommes et des animaux, par rapport à la maltiplication de leur espece.

O Vénus! ô mere de l'Amour!

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Dès le premier beau jour que ton astre ramene
Les zéphyrs font sentir leur amoureuse haleine;
La terre orne son sein de brillantes couleurs,
Et l'air est parfumé du doux esprit des fleurs.
On entend les oiseaux, frappés de ta puissance,
Par mille sons lascifs célébrer ta présence;
Pour la belle génisse on voit les fiers taureaux
Ou bondir dans la plaine ou traverser les eaux :
Enfin les habitants des bois et des montagnes,
Des fleuves et des mers, et des vertes campagnes,
Brûlant à ton aspect d'amour et de desir,
S'engagent à peupler par l'attrait du plaisir :
Tant on aime à te suivre, et ce charmant empire
Que donne la beauté sur tout ce qui respire (1)!

ES

Les femelles des animaux ont à peu près une fécondité constante. Mais, dans l'espece

(1) Traduction du commencement de Lucrece, par le sieur d'Hesnaut,

humaine, la maniere de penser, le caractere, les passions, les fantaisies, les caprices, l'idée de conserver sa beauté, l'embarras de la grossesse, celui d'une famille trop nombreuse, troublent la propagation de mille manieres.

CHAPITRE II.

Des mariages.

L'OBLICATION naturelle qu'a le pere de nourrir ses enfants a fait établir le mariage, qui déclare celui qui doit remplir cette obligation. Les peuples (1) dont parle Pomponius Mela (2) ne le fixoient que par la ressemblance.

Chez les peuples bien policés le pere est celui que les lois, par la cérémonie du mariage, ont déclaré devoir être tel (3), parcequ'elles trouvent en lui la personne qu'elles cherchent.

Cette obligation, chez les animaux, est telle, que la mere peut ordinairement y suffire. Elle a beaucoup plus d'étendue chez les hommes: leurs enfants ont de la raison; mais elle ne leur vient que par degrés: il ne suffit pas de les nourrir, il faut encore les conduire : déja ils pourroient vivre, et ils ne peuvent pas se gou

verner.

Les conjonctions illicites contribuent peu à la propagation de l'espece. Le pere, qui a l'o

(1) Les Garamantes.-(2) Liv. I, chap. III.— (3) Pater est quem nuptiæ demonstrant.

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bligation naturelle de nourrir et d'élever les enfants, n'y est point fixé; et la mere, à qui l'obligation reste, trouve mille obstacles par la honte, les remords, la gêne de son sexe, la rigueur des lois: la plupart du temps elle manque de moyens.

Les femmes qui se sont soumises à une prostitution publique ne peuvent avoir la commodité d'élever leurs enfants. Les peines de cette éducation sont même incompatibles avec leur condition; et elles sont si corrompues qu'elles ne sauroient avoir la confiance de la loi.

Il suit de tout ceci que la continence publique est naturellement jointe à la propagation de l'espece.

CHAPITRE III.

De la condition des enfants.

C'EST la raison qui dicte que, quand il y a un mariage, les enfants suivent la condition pere; et que, quand il n'y en a point, ils ne peuvent concerner que la mere (1). ·

du

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CHAPITRE IV.

Des familles.

L est presque reçu par-tout que la femme

(1) C'est pour cela que, chez les nations qui ont des esclaves, l'enfant suit presque toujours la condition de la mere.

passe dans la famille du mari. Le contraire est, sans aucun inconvénient, établi à Formose (1), où le mari va former celle de la femme.

Cette loi, qui fixe la famille dans une suite de personnes du même sexe, contribue beaucoup, indépendamment des premiers motifs, à la propagation de l'espece humaine. La famille est une sorte de propriété: un homme qui a des enfants du sexe qui ne la perpétue pas n'est jamais content qu'il n'en ait de celui qui la perpétue.

Les noms qui donnent aux hommes l'idée d'une chose qui semble ne devoir pas périr sont très propres à inspirer à chaque famille le desir d'étendre sa durée. Il y a des peuples chez lesquels les noms distinguent les familles : il y en a où ils ne distinguent que les personnes; ce qui n'est pas si bien.

CHAPITRE V.

Des divers ordres de femmes légitimes.

QUELQUEFOIS les lois et la religion ont éta

bli plusieurs sortes de conjonctions civiles; et cela est ainsi chez les mahométans, où il y a divers ordres de femmes, dont les enfants se reconnoissent par la naissance dans la maison, ou par des contrats civils, ou même par l'esclavage de la mere, et la reconnoissance subséquente du pere.

(1) Le P. du Halde, tome I, page 165.

Il seroit contre la raison que la loi flétrît dans les enfants ce qu'elle a approuvé dans le pere: tous ces enfants y doivent donc succéder, à moins que quelque raison particuliere ne s'y oppose, comme au Japon, où il n'y a que les enfants de la femme donnée par l'empereur qui succedent. La politique y exige que les biens que l'empereur donne ne soient pas trop partagés, parcequ'ils sont soumis à un service, comme étoient autrefois nos fiefs.

Il y a des pays où une femme légitime jouit, dans la maison, à peu près des honneurs qu'a dans nos climats une femme unique: là, les enfants des concubines sont censés appartenir à la premiere femme: cela est ainsi établi à la Chine. Le respect filial (1), la cérémonie d'un deuil rigoureux, ne sont point dus à la mere naturelle, mais à cette mere que donne la loi.

A l'aide d'une telle fiction (2), il n'y a plus d'enfants bâtards; et, dans les pays où cette fiction n'a pas lieu, on voit bien que la loi qui légitime les enfants des concubines est une loi forcée, car ce seroit le gros de la nation qui seroit flétri par la loi. Il n'est pas question non plus, dans ces pays, d'enfants adultérins. Les

(1) Le P. du Halde, tome II, p. 124.-2) On distingue les femmes en grandes et petites, c'est-àdire en légitimes ou non; mais il n'y a point une pareille distinction entre les enfants. C'est la grande doctrine de l'empire, est-il dit dans un ouvrage chinois sur la morale, traduit par le même pere, p. 140.

RSPR. DES LOIS. 3.

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