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vieille tombe pour ainsi dire et parcequ'il y a déja dans le commerce de l'espece nouvelle, et parceque le banquier ne peut pas tenir rigueur, ayant intérêt de faire sortir promptement l'argent vieux de sa caisse pour le faire travailler, et y étant même forcé pour faire ses paiements: d'un autre côté, la valeur de l'espece nouvelle s'éleve pour ainsi dire, parceque le banquier, avec de l'espece nouvelle, se trouve dans une circonstance où nous allons faire voir qu'il peut, avec un grand avantage, s'en procurer de la vieille. Le change se mettra donc, comme j'ai dit, entre l'espece nouvelle et l'espece vieille. Pour lors les banquiers ont du profit à faire sortir l'espece vieille de l'état, parcequ'ils se procurent par-là le même avantage que donneroit un change réglé sur l'espece vieille, c'està-dire beaucoup de gros en Hollande; et qu'ils ont un retour en change réglé entre l'espece nouvelle et l'espece vieille, c'est-à-dire plus bas; ce qui procure beaucoup d'écus en France.

Je suppose que trois livres d'espece vieille rendent par le change actuel quarante-cinq gros, et qu'en transportant ce même écu en Hollande on en ait soixante: mais avec une lettre de quarante-cinq gros on se procurera un écu de trois livres en France, lequel, transporté en espece vieille en Hollande, donnera encore soixante gros : toute l'espece vieille sortira donc de l'état qui fait la refonte, et le profit en sera pour les banquiers.

Pour remédier à cela, on sera forcé de faire

une opération nouvelle. L'état qui fait la refonte enverra lui-même une grande quantité d'especes vieilles chez la nation qui regle le change; et, s'y procurant un crédit, il fera monter le change au point qu'on aura à peu de chose près autant de gros par le change d'un écu de trois livres qu'on en auroit en faisant sortir un écu de trois livres en especes vieilles hors du pays. Je dis à peu de chose près, parceque, lorsque le profit sera modique, on ne sera point tenté de faire sortir l'espece, à cause des frais de la voiture et des risques de la confiscation.

Il est bon de donner une idée bien claire de ceci. Le sieur Bernard, ou tout autre banquier que l'état voudra employer, propose ses lettres sur la Hollande, et les donne à un, deux, trois gros plus haut que le change actuel; il a fait une provision dans les pays étrangers par le moyen des especes vieilles qu'il a fait continuellement voiturer; il a donc fait hausser le change au point que nous venons de le dire. Cependant, à force de donner de ses lettres, il se saisit de toutes les especes nouvelles, et force les autres banquiers qui ont des paiements à faire à porter leurs especes vieilles à la monnoie; et de plus, comme il a eu insensiblement tout l'argent, il contraint à leur tour les autres banquiers à lui donner des lettres à un change très haut: le profit de la fin l'indemnise en grande partie de la perte du commencement. On sent que, pendant toute cette opération,

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l'état doit souffrir une violente crise. L'argent y deviendra très rare; 1o. parcequ'il faut en décrier la plus grande partie; 2°. parcequ'il en faudra transporter une partie dans les pays étrangers; 3°. parceque tout le monde le resserrera, personne ne voulant laisser au prince un profit qu'on espere avoir soi-même. Il est dangereux de la faire avec lenteur: il est dangereux de la faire avec promptitude. Si le gain qu'on suppose est immodéré, les inconvénients augmentent à mesure.

On a vu ci-dessus que, quand le change étoit plus bas que l'espece, il y avoit du profit à faire sortir l'argent; par la même raison, lorsqu'il est plus haut que l'espece, il y a du profit à le faire revenir.

Mais il y a un cas où on trouve du profit à faire sortir l'espece, quoique le change soit au pair: c'est lorsqu'on l'envoie dans les pays étrangers pour la faire remarquer ou refondre. Quand elle est revenue, on fait, soit qu'on l'emploie dans le pays, soit qu'on prenne des lettres pour l'étranger, le profit de la monnoie.

S'il arrivoit que dans un état on fit une compagnie qui eût un nombre très considérable d'actions, et qu'on eût fait dans quelques mois de temps hausser ces actions vingt ou vingtcinq fois au-delà de la valeur du premier achat, et que ce même état eût établi une banque dont les billets dussent faire la fonction de monnoie, et que la valeur numéraire de ces billets fût prodigieuse pour répondre à la prodigieuse

valeur numéraire des actions (c'est le systême de M. Law); il suivroit de la nature de la chose que ces actions et billets s'anéantiroient de la même maniere qu'ils seroient établis. On auroit pu faire monter tout à coup les actions vingt ou vingt-cinq fois plus haut que leur premiere valeur, sans donner à beaucoup de gens le moyen de se procurer d'immenses richesses en papier : chacun chercheroit à assurer sa fortune; et, comme le change donne la voie ła plus facile pour la dénaturer ou pour la transporter où l'on veut, on remettroit sans cesse une partie de ses effets chez la nation qui regle le change. Un projet continuel de remettre dans les pays étrangers feroit baisser le change, Supposons que, du temps du systême, dans le rapport du titre et du poids de la monnoie d'argent le taux du change fût de quarante gros par écu; lorsqu'un papier innombrable fut devenu monnoie, on n'aura plus voulu donner que trente-neuf gros par écu; ensuite que trente-huit, trente-sept, etc. Cela alla si loin, que l'on ne donna plus que huit gros, et qu'enfin il n'y eut plus de change.

C'étoit le change qui devoit en ce cas régler en France la proportion de l'argent avec le papier. Je suppose que par le poids et le titre de l'argent l'écu de trois livres d'argent valût quarante gros, et que le change se faisant en papier, l'écu de trois livres en papier ne valût que huit gros; la différence étoit de quatre cinquiemes: l'écu de trois livres en papier

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valoit donc quatre cinquiemes de moins que l'écu de trois livres en argent.

CHAPITRE XI.

Des opérations que les Romains firent sur les

monnoies.

QUELQUES Coups d'autorité que l'on ait faits de nos jours en France sur les monnoies dans deux ministeres consécutifs, les Romains en firent de plus grands, non pas dans le temps de cette république corrompue ni dans celui de cette république qui n'étoit qu'une anarchie, mais lorsque, dans la force de son institution, par sa sagesse comme par son courage, après avoir vaincu les villes d'Italie, elle disputoit l'empire aux Carthaginois.

Et je suis bien aise d'approfondir un peu cette matiere, afin qu'on ne fasse pas un exemple de ce qui n'en est point un.

Dans la premiere guerre punique (1), l'as, qui devoit être de douze onces de cuivre, n'en pesa plus que deux; et, dans la seconde, il ne fut plus que d'une. Ce retranchement répond à ce que nous appelons aujourd'hui augmentation de monnoie. Oter d'un écu de six livres la moitié de l'argent pour en faire deux, ou le faire valoir douze livres, c'est précisément la même chose.

Il ne nous reste point de monument de la

(1) Pline, Hist. nat. liv. XXXIII, art. 13.

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