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des ouvriers, des vaisseaux, des machines de guerre, de se procurer des alliés, de corrompre ceux des Romains et les Romains mêmes, de soudoyer (1) les barbares de l'Asie et de l'Europe, et de faire la guerre long-temps, et par conséquent de discipliner ses troupes: il put les armer et les instruire dans l'art miljtaire (2) des Romains, et former des corps considérables de leurs transfuges: enfin, il put faire de grandes pertes et souffrir de grands échecs sans périr: et il n'auroit point péri, si, dans les prospérités, le roi voluptueux et barbare n'avoit pas détruit ce que, dans la mauvaise fortune, avoit fait le grand prince.

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C'est ainsi que, dans le temps que les Romains étoient au comble de la grandeur, et qu'ils sembloient n'avoir à craindre qu'euxmêmes, Mithridate remit en question ce que la prise de Carthage, les défaites de Philippe, d'Antiochus, et de Persée, avoient décidé. Jamais guerre ne fut plus funeste; et les deux partis ayant une grande puissance et des avantages mutuels, les peuples de la Grece et de l'Asie furent détruits, ou comme amis de Mithridate, ou comme ses ennemis. Délos fut enveloppée dans le malheur commun. Le commerce tomba de toutes parts: il falloit bien qu'il fût détruit, les peuples mêmes l'étoient. Les Romains, suivant un systême dont j'ai

(1) Voyez Appien, De la guerre contre Mithri date. (a) Ibid.

parlé ailleurs (1), destructeurs pour ne pas paroître conquérants, ruinerent Carthage et Corinthe; et, par une telle pratique, ils se seroient peut-être perdus, s'ils n'avoient pas conquis toute la terre. Quand les rois de Pont se rendirent maîtres des colonies grecques du Pont-Euxin, ils n'eurent garde de détruire ce qui devoit être là cause de leur grandeur."

CHAPITRE XIII.

Du génie des Romains pour la marine. LES Romains ne faisoient cas que des troupes de terre, dont l'esprit étoit de rester toujours ferme, decombattre au même lieu, et d'y mourir. Ils ne pouvoient estimer la pratique des gens de mer, qui se présentent au combat, fuient, reviennent, évitent toujours le danger, emploient la ruse, rarement la force. Tout cela n'étoit point du génie des Grecs (2), et étoit encore moins de celui des Romains.

Ils ne destinoient donc à la marine que ceux qui n'étoient pas des citoyens assez considé rables (3) pour avoir place dans les légions: les® gens de mer étoient ordinairement des affranchis.

Nous n'avons aujourd'hui ni la même estime pour les troupes de terre ni le même mépris

(1) Dans les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains. (2) Comme l'a remarqué Platon, liv. IV des Lois.-(3) Polybe, liv. V.

pour celles de mer, Chez les premieres (1) l'art est diminué; chez les secondes (2) il est augmenté: or on estime les choses à proportion du degré de suffisance qui est requis pour les bien faire.

CHAPITRE XIV.

Du génie des Romains pour le commerce. On n'a jamais remarqué aux Romains de ja

lousie sur le commerce: ce fut comme nation rivale, et non comme nation commerçante, qu'ils attaquerent Carthage. Ils favoriserent les villes qui faisoient le commerce, quoiqu'elles ne fussent pas sujettes: ainsi ils augmenterent, par la cession de plusieurs pays, la puissance de Marseille. Ils craignoient tout des barbares, et rien d'un peuple négociant; d'ailleurs leur génie, leur gloire, leur éducation militaire, la forme de leur gouvernement, les éloignoient du commerce.

Dans la ville, on n'étoit occupé que de guer

res,

d'élections, de brigues, et de procès; à la campagne, que d'agriculture; et, dans les provinces, un gouvernement dur et tyrannique étoit incompatible avec le commerce.

Que si leur constitution politique y étoit opposée, leur droit des gens n'y répugnoit pas moins. « Les peuples, dit le jurisconsulte Pom

(1) Voyez les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains, etc.—(2) Ibid.

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ponius (1), avec lesquels nous n'avons ni « amitié, ni hospitalité, ni alliance, ne sont point nos ennemis: cependant, si une chose qui nous appartient tombe entre leurs mains, ails en sont propriétaires; les hommes libres « deviennent leurs esclaves, et ils sont dans « les mêmes termes à notre égard.

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Leur droit civil n'étoit pas moins accablant. La loi de Constantin, après avoir déclaré bâtards les enfants des personnes viles qui se sont mariées avec celles d'une condition relevée, confond les femmes qui ont une boutique (2) de marchandises avec les esclaves, les cabaretieres, les femmes de théâtre, les filles d'un homme qui tient un lieu de prostitution, ou qui a été condamné à combattre sur l'arene. Ceci descendoit des anciennes institutions des Romains.

Je sais bien que des gens pleins de ces deux idées, l'une que le commerce est la chose du monde la plus utile à un état, et l'autre que les Romains avoient la meilleure police du monde, ont cru qu'ils avoient beaucoup encouragé et honoré le commerce; mais la vérité est qu'ils y ont rarement pensé.

(1) Leg. V, §. 2, ff. de captivis.—(2) Quæ mercimoniis publicè præfuit. Leg. I cod. de natural: liberis.

CHAPITRE XV.

Commerce des Romains avec les barbares.

LES Romains avoient fait de l'Europe, de l'Asie, et de l'Afrique, un vaste empire: la foiblesse des peuples et la tyrannie du commandement unirent toutes les parties de ce corps immense. Pour lors la politique romaine fut de se séparer de toutes les nation qui n'avoient pas été assujetties: la crainte de leur porter l'art de vaincre fit négliger l'art de s'enrichir. Ils firent des lois pour empêcher tout commerce avec les barbares. « Que personne, di<< sent (1) Valens et Gratien, n'envoie du vin, de l'huile, ou d'autres liqueurs, aux barba«res, même pour en goûter. Qu'on ne leur a porte point de l'or (2), ajoutent Gratien, Valentinien, et Théodose, et que même ce qu'ils << en ont on le leur ôte avec finesse. » Le transport du fer fut défendu sous peine de la vie (3).

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Domitien, prince timide, fit arracher les vignes dans la Gaule (4), de crainte sans doute que cette liqueur n'y attirât les barbares, comme elle les avoit autrefois attirés en Italie, Probus et Julien, qui ne les redouterent jamais, en rétablirent la plantation.

(1) Leg. Ad barbaricum, cod. quæ res exportari non debeant. (2) Leg. II, cod, de commerc. et (3) Ibid.(4) Procope, guerre des

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mercator. Perses, liv. I.

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