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richesses; et, s'ils avoient été jusqu'au quatrieme degré de latitude nord et au quinzieme de longitude, ils auroient découvert la côte d'Or et les côtes voisines. Ils y auroient fait un commerce de toute autre importance que celui qu'on y fait aujourd'hui, que l'Amérique semble avoir avili les richesses de tous les autres pays: ils y auroient trouvé des trésors qui ne pouvoient être enlevés par les Romains.

On a dit des choses bien surprenantes des richesses de l'Espagne. Si l'on en croit Aristote (1), les Phéniciens qui aborderent à Tartese y trouverent tant d'argent que leurs navires ne pouvoient le contenir, et ils firent faire' de ce métal leurs plus vils ustensiles. Les Carthaginois, au rapport de Diodore (2), trouverent tant d'or et d'argent dans les Pyrénées, qu'ils en mirent aux ancres de leurs navires. Il ne faut point faire de fonds sur ces récits populaires; voici des faits précis.

On voit dans un fragment de Polybe, cité par Strabon (3), que les mines d'argent qui étoient à la source du Bétis, où quarante mille hommes étoient employés, donnoient au peuple romain vingt-cinq mille dragmes par jour: cela peut faire environ cinq millions de livres par an, à cinquante francs le marc. On appeloit les montagnes où étoient ces mines les montagnes d'argent (4); ce qui fait voir que

(1) Des choses merveilleuses. --(2) Liv. VI.(3) Liv. III.—(4) Mous argentarius.

c'étoit le Potosi de ces temps-là. Aujourd'hui les mines d'Hanovre n'ont pas le quart des ouvriers qu'on employoit dans celles d'Espagne, et elles donnent plus; mais les Romains n'ayant guere que des mines de cuivre, et peu de mines d'argent, et les Grecs ne connoissant que les mines d'Attique très peu riches, ils, durent être étonnés de l'abondance de celles-là.

Dans la guerre pour la succession d'Espagne, un homme appelé le marquis de Rhodes, de qui on disoit qu'il s'étoit ruiné dans les mines d'or, et enrichi dans les hôpitaux (1), proposa à la cour de France d'ouvrir les mines des Pyrénées. Il cita les Tyriens, les Carthaginois, et les Romains. On lui permit de chercher; il chercha, il fouilla par-tout; il citoit toujours, et ne trouvoit rien.

Les Carthaginois, maîtres du commerce de l'or et de l'argent, voulurent l'être encore de celui du plomb et de l'étain. Ces métaux étoient voiturés par terre depuis les ports de la Gaule sur l'Océan jusqu'à ceux de la Méditerranée. Les Carthaginois voulurent les recevoir de la premiere main; ils envoyerent Himilcon pour former (2) des établissements dans les isles Cassitérides, qu'on croit être celles de Silley.

Ces voyages de la Bétique en Angleterre ont fait penser à quelques gens que les Carthaginois avoient la boussole: mais il est clair

(1) Il en avoit eu quelque part la direction. (2) Voyez Festus Avienus.

qu'ils suivoient les côtes. Je n'en veux d'autre preuve que ce que dit Himilcon, qui demeura quatre mois à aller de l'embouchure du Bétis en Angleterre; outre que la fameuse (1) histoire de ce pilote carthaginois, qui, voyant venir un vaisseau romain, se fit échouer pour ne lui pas apprendre la route d'Angleterre (2), fait voir que ces vaisseaux étoient très près des côtes lorsqu'ils se rencontrerent.

Les anciens pourroient avoir fait des voyages de mer qui feroient penser qu'ils avoient la boussole, quoiqu'ils ne l'eussent pas. Si un pilote s'étoit éloigné des côtes, et que pendant son voyage il eût eu un temps serein, que la nuit il eût toujours vu une étoile polaire, et le jour le lever et le coucher du soleil, il est clair qu'il auroit pu se conduire comme on fait aujourd'hui par la boussole: mais ce seroit un cas fortuit, et non pas une navigation réglée.

On voit, dans le traité qui finit la premiere guerre punique, que Carthage fut principalement attentive à se conserver l'empire de la mer, et Rome à garder celui de la terre. Hannon (3), dans la négociation avec les Romains, déclara qu'il ne souffriroit pas seulement qu'ils se lavassent les mains dans les mers de Sicile; il ne leur fut pas permis de naviguer au-delà

(1) Strabon, liv. III, sur la fin.—(3) Il en fut récompensé par le sénat de Carthage.-(3) TiteLive, supplément de Freinshemius, seconde décade, Mv. VI.

du beau promontoire; il leur fut défendu (1) de trafiquer en Sicile (2), en Sardaigne, en Afrique, excepté à Carthage: exception qui fait voir qu'on ne leur y préparoit pas un com merce avantageux.

Il y eut, dans les premiers temps, de grandes guerres entre Carthage et Marseille (3) au sujet de la pêche. Après la paix, ils firent concurremment le commerce d'économie. Marseille fut d'autant plus jalouse, qu'égalant sa rivale en industrie, elle lui étoit devenue inférieure en puissance: voilà la raison de cette grande fidélité pour les Romains. La guerre « que ceux-ci firent contre les Carthaginois en Espagne fut une source de richesses pour Marseille, qui servoit d'entrepôt. La ruine de Carthage et de Corinthe augmenta encore la gloire de Marseille; et, sans les guerres civiles, où il falloit fermer les yeux et prendre un parti, elle auroit été heureuse sous la protection des Romains, qui n'avoient aucune jalousie de son

commerce.

CHAPITRE XII.

Isle de Délos. Mithridate.

CORINTHE ayant été détruite par les Ro

mains, les marchands se retirerent à Délos : la religion et la vénération des peuples faisoient

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(1) Polybe, liv. III.-(2) Dans la partie sujette aux Carthaginois.-(3) Justin, liv. XLIII, ch. V.

regarder cette isle comme un lieu de sûreté(1); de plus, elle étoit très bien située pour le commerce de l'Italie et de l'Asie, qui, depuis l'anéantissement de l'Afrique et l'affoiblissement de la Grece, étoit devenu plus important.

Dès les premiers temps, les Grecs envoyerent, comme nous avons dit, des colonies sur la Propontide et le Pont-Euxin: elles conserverent sous les Perses leurs lois et leur liberté. Alexandre, qui n'étoit parti que contre les barbares, ne les attaqua pas (2). Il ne paroît pas même que les rois de Pont, qui en occuperent plusieurs, leur eussent (3)ôté leur gouvernement politique.

La puissance (4) de ces rois augmenta sitôt qu'ils les eurent soumises. Mithridate se trouva en état d'acheter par-tout des troupes, de réparer (5) continuellement ses pertes, d'avoir

(1) Strabon, liv. X.-(2) Il confirma la liberté de la ville d'Amise, colonie athénienue, qui avoit joui de l'état populaire même sous les rois de Perse. Lucullus, qui prit Sinope et Amise, leur rendit la. liberté, et rappela les habitants qui s'étoient enfais sur leurs vaisseaux.-(3) Voyez ce qu'écrit Appiens sur les Phanagoréens, les Amisiens, les Sinopiens, dans son livre De la guerre contre Mithridate. — (4) Voyez Appien, sur les trésors immenses que Mithridate employa dans ses guerres, ceux qu'il avoit cachés, ceux qu'il perdit si souvent par la trahison des siens, ceux qu'on trouva après sa mort. - (5) Il perdit une fois 170000 kommes, et de nouvelles armées reparurent d'abord.

ESPR. DES LOLS. 3.

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