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pophages 1. Ptolomée, qui(2) nous parle d'un grand nombre de lieux entre le port des Aromates et le promontoire Raptum, laisse un vide total depuis le Raptum jusqu'an Prassum. Les grands profits de la navigation des Indes durent faire négliger celle d'Afrique. Enfin, les Romains n'eurent jamais sur cette eôte de navigation réglée : ils avoient découvert ces ports par les terres et par des navires jetés par la tempête; et comme aujourd'hui on connoît assez bien les côtes de l'Afrique et très mal l'intérieur (3),les anciens connoissoient assez bien l'intérieur et très mal les côtes.

J'ai dit que les Phéniciens, envoyés par Nécho et Eudoxe sous Ptolomée-Lature, avoient fait le tour de l'Afrique: il faut bien que, du temps de Ptolomée le géographe, ces deux navigations fussent regardées comme fabuleuses, puisqu'il place (4), depuis le sinus magnus, qui est, je crois, le golfe de Siam, une terre inconnue, qui va d'Asie en Afrique aboutir au promontoire Prassum ; de sorte que la mer des Indes n'auroit été qu'un lac. Les anciens qui

(1) Ptolomée, liv. IV, ch. IX. — (2) Liv. IV, ch. VII et VIII.—(3) Voyez avec quelle exactitude Strabon et Ptolomée nous décrivent les diverses parties de l'Afrique. Ces connoissances venoient de diverses guerres que les deux plus puissantes nations du monde, les Carthaginois et les Romains, avoient eues avec les peuples d'Afrique, des alliances qu'ils avoient contractées, du commerce qu'ils avoient fait dans les terres. ~(4) Liv. VII, ch. III.

reconnurent les Indes par le nord, s'étant avancés vers l'orient, placerent vers le midi cette terre inconnue.

CHAPITRE XI.

Carthage et Marseille.

CARTHAGE avoit un singulier droit des gens ;, elle faisoit (1) noyer tous les étrangers qui trafiquoient en Sardaigne et vers les colonnes d'Hercule. Son droit politique n'étoit pas moins extraordinaire; elle défendit aux Sardes de cultiver la terre sous peine de la vie. Elle accrut sa puissance par ses richesses, et ensuite ses richesses par sa puissance : matresse des côtes d'Afrique que baigne la Méditerranée, elle s'étendit le long de celles de l'Océan. Hannon, par ordre du sénat de Carthage, répandit trente mille Carthaginois depuis les colonnes d'Hercule jusqu'à Cerné. Il dit que ce lieu est aussi éloigné des colonnes d'Hercule, que les colonnes d'Hercule le sont de Carthage. Cette position est très remarquable: elle fait voir qu'Hannon borna ses établissements au vingt-cinquieme degré de latitude nord, c'est-à-dire deux ou trois degrés au-delà des isles Canaries, vers le sud.

Hannon, étant à Cerné, fit une autre navigation dont l'objet étoit de faire des découvertes plus avant vers le midi. Il ne prit pres

1) Eratosthene, dans Strabon, liv. XVII, p.

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que aucune connoissance du continent. L'étendue des côtes qu'il suivit fut de vingt - six jours de navigation, et il fut obligé de revenir faute de vivres : Il paroît que les Carthaginois ne firent aucun usage de cette entreprise d'Hannon. Scylax (1) dịt qu'au-delà de Cerné la mer n'est pas navigable (2), parcequ'elle y est basse, pleine de limon et d'herbes marines : effectivement il y en a beaucoup dans ces parages (3). Les marchands carthaginois dont parle Scylax pouvoient trouver des obstacles qu'Hannon, qui avoit soixante navires de cinquante rames chacun, avoit vaincus. Les difficultés sont relatives; et de plus on ne doit pas confondre une entreprise qui a la hardiesse et la témérité pour objet, avec ce qui est l'effet d'une conduite ordinaire.

C'est un beau morceau de l'antiquité que la relation d'Hannon: le même homme qui a exécuté a écrit; il ne mét aucune ostentation dans ses récits. Les grands capitaines écrivent leurs actions avec simplicité, parcequ'ils sont plus glorieux de ce qu'ils ont fait que de ce qu'ils ont dit.

(1) Voyez son Périple, art. de Carthage.—(2) Voyez Hérodote, in Melpomene, sur les obstacles que Sataspe trouva.-(3) Voyez les cartes et les relations, le premier volume des Voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, part. I, p. 201. Cette herbe couvre tellement la surface de la mer qu'on a de la peine à voir l'eau ; et les vaisseaux ne peuvent passer au travers que par un vent frais.

Les choses sont comme le style. Il ne donne point dans le merveilleux : tout ce qu'il dit du climat, du terrain, des mœurs, des manieres, des habitants, se rapporte à ce qu'on voit aujourd'hui dans cette côte d'Afrique; il semble que c'est le journal d'un de nos navigateurs.

le

Hannon remarqua (1) sur sa flotte que jour il régnoit dans le continent un vaste silence; que la nuit on entendoit les sons de divers instruments de musique; et qu'on voyoit par-tout des feux, les uns plus grands, les au tres moindres. Nos relations confirment ceci : on y trouve que le jour ces sauvages, pour éviter l'ardeur du soleil, se retirent dans les Forêts; que la nuit ils font de grands feux pour écarter les bêtes féroces; et qu'ils aiment passionnément la danse et les instruments de musique.

Hannon nous décrit un volcan avec tous les phénomenes que fait voir aujourd'hui le Vésuve; et le récit qu'il fait de ces deux femmes velues qui se laisserent plutôt tuer que de suivre les Carthaginois, et dont il fit porter les peaux à Carthage, n'est pas, comme on l'a dit, hors de vraisemblance.

Cette relation est d'autant plus précieuse qu'elle est un monument punique: et c'est par

(1) Pline nous dit la même chose en parlant du mont Atlas: Noctibus micare crebris ignibus, tibiarum cantu tympanorumque sonitu strepere, neminem interdiu cerni.

cequ'elle est un monument punique, qu'elle a été regardée comme fabuleuse; car les Romains conserverent leur haine contre les Carthaginois même après les avoir détruits. Mais ce ne fut que la victoire qui décida s'il falloit dire la foi punique ou la foi romaine.

Des modernes (1) ont suivi ce préjugé. Que sont devenues, disent-ils, les villes qu'Hannon nous décrit, et dont, même du temps de Pline, il ne restoit pas le moindre vestige? Le merveilleux seroit qu'il en fùt resté. Etoit-ce Corinthe ou Athenes qu'Hannon alloit bâtir sur ces côtes? Il laissoit dans les endroits propres au commerce des familles carthaginoises, et à la hâte il les mettoit en sûreté contre les hommes sauvages et les bêtes féroces. Les calamités des Carthaginois firent cesser la navigation d'Afrique; il failut bien que ces familles périssent, ou devinssent sauvages. Je dis plus, quand les ruines de ces villes subsisteroient encore, qui est-ce qui auroit été en faire la découverte dans les bois et dans les marais? On trouve pourtant dans Scylax et dans Polybe que les Carthaginois avoient de grands établissements sur ces côtes. Voilà les vestiges des villes d'Hannon; il n'y en a point d'autres, parcequ'à peine y en a-t-il d'autres de Carthage même.

Les Carthaginois étoient sur le chemin des

(1) M. Dodwel: voyez sa dissertation sur le Périple d'Hannon.

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