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inspirant du goût pour le monde, et sur-tout pour le commerce des femmes.

Qu'on nous laisse tels que nous sommes. Nos qualités indiscretes, jointes à notre peu de malice, font que les lois qui gêneroient l'humeur sociable parmi nous ne seroient point convenables.

CHAPITRE VII.

Des Athéniens et des Lacédémoniens.

LES Athéniens, continuoit ce gentilhomme, étoient un peuple qui avoit quelque rapport avec le nôtre : il mettoit de la gaieté dans les affaires; un trait de raillerie lui plaisoit sur la tribune comme sur le théâtre. Cette vivacité qu'il mettoit dans les conseils, il la portoit dans l'exécution. Le caractere des Lacédémoniens étoit grave, sérieux, sec, taciturne. On n'auroit pas plus tiré parti d'un Athénien en l'ennuyant que d'un Lacédémonien en le divertissant.

CHAPITRE VIII.

Effets de l'humeur sociable.

PLUS les peuples se communiquent, plus ils changent aisément de manieres, parceque chacun est plus un spectacle pour un autre; on voit mieux les singularités des individus. Le climat qui fait qu'une nation aime à se communiquer fait aussi qu'elle aime à changer; et

ce qui fait qu'une nation aime à changer fait aussi qu'elle se forme le goût.

La société des femmes gâte les mœurs, et forme le goût: l'envie de plaire plus que les autres établit les parures, et l'envie de plaire plus que soi-même établit les modes. Les modes sont un objet important: à force de se rendre l'esprit frivole, on augmente sans cesse les branches de son commerce (1).

CHAPITRE IX.

De la vanité et de l'orgueil des nations. LA vanité est un aussi bon ressort pour un gouvernement que l'orgueil en est un dangereux. Il n'y a pour cela qu'à se représenter d'un côté les biens sans nombre qui résultent de la vanité; de là le luxe, l'industrie, les arts, les modes, la politesse, le goût: et d'un autre côté les maux infinis qui naissent de l'orgueil de certaines nations; la paresse, la pauvreté, l'abandon de tout, la destruction des nations que le hasard a fait tomber entre leurs mains, et la leur même. La paresse (2) est l'effet de

(1) Voyez la fable des abeilles.-(2) Les peuples qui suivent le kan de Malacamber, ceux de Carnataca et de Coromandel, sont des peuples orgueilleux et paresseux; ils consomment peu, parcequ'ils sont misérables; au lieu que les Mogols et les peuples de l'Indostan s'occupent et jouissent des commodités de la vie comme les Européens. Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome I, p. 54,

Justinien érigea (1) chez les Laziens pour faire le procès au meurtrier de leur roi leur parut une chose horrible et barbare. Mithridate (2) haranguant contre les Romains leur reproche sur-tout les formalités (3) de leur justice. Les Parthes ne purent supporter ce roi, qui, ayant été élevé à Rome, se rendit affable(4) et accessible à tout le monde. La liberté même a paru insupportable à des peuples qui n'étoient pas accoutumés à en jouir. C'est ainsi qu'un air pur est quelquefois nuisible à ceux qui ont vécu dans des pays marécageux.

Un Vénitien nommé Balbi, étant au (5) Pégu, fut introduit chez le roi. Quand celui-ci apprit qu'il n'y avoit point de roi à Venise, il fit un si grand éclat de rire qu'une toux le prit, et qu'il eut beaucoup de peine à parler à ses courtisans. Quel est le législateur qui pourroit proposer le gouvernement populaire à des peuples pareils ?

CHAPITRE III.

De la tyrannie.

IL L y a deux sortes de tyrannie; une réelle, qui consiste dans la violence du gouverne

(1) Agathias, liv. IV.—(2) Justin, liv. XXXVIII. -(3) Calumnias litium. Ibid.-(4) Prompti aditus, obvia comitas, ignotæ Parthis virtutes, nova vitia. Tacite. (5) Il en a fait la description en 1596. Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome III, part. I, p. 33.

ment; et une d'opinion, qui se fait sentir lorsque ceux qui gouvernent établissent des choses qui choquent la maniere de penser d'une nation.

Dion dit qu'Auguste voulut se faire appeler Romulus; mais qu'ayant appris que le peuple craignoit qu'il ne voulût se faire roi, il changea de dessein. Les premiers Romains ne vouloient point de roi, parcequ'ils n'en pouvoient souffrir la puissance : les Romains d'alors ne vouloient point de roi, pour n'en point souffrir des manieres. Car, quoique César, les triumvirs, Auguste, fussent de véritables -rois, ils avoient gardé tout l'extérieur de l'égalité, et leur vie privée contenoit une espece d'opposition avec le faste des rois d'alors; et quand ils ne vouloient point de roi, cela signifioit qu'ils vouloient garder leurs manieres, et ne pas prendre celles des peuples d'Afrique et d'Orient.

Dion (1) nous dit que le peuple romain étoit indigné contre Auguste à cause de certaines lois trop dures qu'il avoit faites; mais que sitôt qu'il eut fait revenir le comédien Pylade, que les factions avoient chassé de la ville, le mécontentement cessa. Un peuple pareil sentoit plus vivement la tyrannie lorsqu'on chassoit un baladin que lorsqu'on lui ôtoit toutes ses lois.

(1) Liv. LIV, p. 5§2.

l'orgueil; le travail est une suite de la vanité; l'orgueil d'un Espagnol le portera à ne pas travailer; la vanité d'un Français le portera à savoir travailler mieux que les autres.

Toute nation paresseuse est grave; carceux qui ne travaillent pas se regardent comme souverains de ceux qui travaillent.

Examinez toutes les nations, et vous verrez que dans la plupart la gravité, l'orgueil et la paresse, marchent du même pas.

Les peuples d'Achim (1) sont fiers et paresseux: ceux qui n'ont point d'esclaves en louent un, ne fût-ce que pour faire cent pas, et por ter deux pintes de riz; ils se croiroient déshonorés s'ils les portoient eux-mêmes.

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Il y a plusieurs endroits de la terre où l'on se laisse croître les ongles pour marquer que l'on ne travaille point.

Les femmes des Indes (2) croient qu'il est honteux pour elles d'apprendre à lire; c'est l'affaire, disent-elles, des esclaves qui chantent des cantiques dans les pagodes. Dans une caste elles ne filent point; dans une autre elles ne font que des paniers et des nattes, elles ne doivent pas même piler le riz; dans d'autres il ne faut pas qu'elles aillent querir de l'eau. L'orgueil y a établi ses regles, et il les fait suivre. Il n'est pas nécessaire de dire que les qualités morales ont des effets différents selon

(1) Voyez Dampierre, tome III.—(2) Lettres édių fiantes, douzieme recueil, p. 86.

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