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AVANT-PROPOS

Si la France n'est pas encore victorieuse, elle le sera. La tâche aura été lourde et longue à accomplir, elle aura coûté autant de sang que d'argent et les sacrifices. qu'une plus grande prévoyance eût pu épargner, exigeront plus et mieux qu'une extension de nos frontières, des garanties d'avenir et des réparations.

Ces résultats nécessaires resteront en effet illusoires ou insuffisants pour le peuple français si la vie politique, économique et sociale du pays ne subit pas dans l'avenir de profondes modifications.

S'il fallait, sans tenir compte des cruelles leçons de l'heure présente, retomber dans les intrigues des partis, dans les luttes de classes, dans l'anarchie, dans cette atmosphère délétère où s'épuisaient, avant la guerre, les forces vives de la nation, la France aurait perdu rapidement le bénéfice de tant d'efforts sanglants et héroïques.

Elle aurait vaincu et ne pourrait profiter de la victoire. Il est même à craindre qu'elle ne tarderait pas, dans un explicable mais déplorable mouvement de révolte contre ceux qui n'auraient rien voulu apprendre, à se livrer à un maître.

Prévenir de si redoutables éventualités, éviter la formation d'orages susceptibles de dégénérer en cyclones, envisager l'avenir, tandis que les événements présents se déroulent, en un mot prévoir, est certes un rôle ingrat. N'est-ce pas s'exposer aux railleries et aux critiques des 397528

médiocres, incapables d'élever leur esprit au-dessus ie leurs calculs égoïstes ou de leurs intérêts personnels ?

N'importe. Il faut prévoir, car déjà ceux qui semblaint assagis, méditent d'imposer, après la victoire, à la France lassée de son effort, soucieuse de paix laborieuse, l'organisation qu'ils préparent en secret. Faut-il leur laisser le soin d'élaborer les solutions de demain ? Faut-il se réșigner, le moment venu, à accepter de discuter leurs idées avec le seul espoir de les améliorer ou de les rendre moins nocives? Ne serait-il pas prudent de préparer aussi un programme d'action hardie, voire même révolutionnaire, dans le bon sens du mot, d'action tenant compte dès évolutions de l'esprit français, des aspirations des combattants, de leur désir d'adapter les institutions et les mœurs aux leçons de la guerre ? Le progrès social, les réformes financières, la revision de lois ou d'usayes surannés, ne sont pas l'apanage d'un groupement quelconque.

Ce serait faciliter étrangement la tâche d'une minorité agissante que de se montrer incapable de créer. Qui pourrait être étonné, devant une abdication des éléments pondérés de notre pays, de l'ascension au pouvoir ou du retour aux affaires de dangereux revenants des époques les plus terribles de notre histoire ?

Ce danger qui nous menace, il faut l'écarter.

Sans doute, il serait puéril de croire qu'un simple livre put suffire. Le livre n'est qu'une modalité très relative de l'action : mais il en est souvent un des inspirateurs. Existe-t-il, au surplus, un autre instrument de propagande à l'heure où le peuple en armes ne doit écouter que la voix du canon ?

Pendant un long temps encore les réunions publiques sont et seront impossibles. Absorbée par les nouvelles de la guerre, la presse ne dispose pas des moyens matériels de répandre de simples idées. Le livre seul permet de poser des principes et de provoquer d'utiles réflexions.

Guidés par l'unique préoccupation de proposer des solutions pour les problèmes de demain, écartant résolument les tentantes suggestions de l'individualisme, de bons Français se sont donc, à mon appel, groupés en vue d'une étude de toutes les questions qui retiendront, après la victoire, l'attention de leur pays. De leur confiante collaboration qui n'a pas porté atteinte à leurs opinions personnelles, qui ne leur a imposé aucun dogme, est né cet exposé de leurs libres conceptions d'avenir. Des sentiments patriotiques communs leur ont inspiré le respect mutuel de leurs conceptions parfois divergentes, et ils ont voulu que leurs efforts, inspirés par le souci de la grandeur de la Patrie, apparaissent comme la première manifestation de cette Union sacrée pour le bien public qui devra remplacer l'Union sacrée de la Défense nationale.

Identique d'ailleurs a été leur point de départ.

La France, après la victoire, n'aura plus à souhaiter la restauration du droit violé par le traité de Francfort.

L'ère de son accroissement territorial en Europe sera close, comme le sera aussi l'ère de son expansion coloniale. Avec des frontières à l'abri de l'invasion ennemie, avec un empire africain désormais garanti contre les convoitises sournoises de l'Allemagne, avec les territoires immenses acquis dans les autres parties du monde par l'héroïsme continu de ses soldats, elle n'excitera plus ni méfiances, ni jalousies. Elle pourra remettre son épée au fourreau et elle verra s'ouvrir devant elle l'ère magnifique et pacifique de l'Organisation et de la Mise en valeur définitive de toutes les terres où flotteront ses trois couleurs symboliques.

Cette organisation rationnelle, sans faire table rase du passé, devra s'inspirer de l'expérience acquise; elle devra s'abriter derrière le bouclier solide d'une diplomatie, d'une armée et d'une marine rénovées, s'effectuer par un moteur unique mais contrôlé, au moyen d'instruments

perfectionnés et simplifiés. Ainsi sera facilitée une mise en valeur indispensable pour réparer les conséquences matérielles désastreuses de la plus meurtrière des guerres. L'outillage qu'elle exigera, le travail qui en assurera la réalisation et la production qui en résultera, modifieront heureusement les conditions de la vie de la nation.

Telles sont, du moins, les idées générales qui ont recueilli l'adhésion unanime du groupe d'amis qui m'ont, avec une généreuse ardeur, apporté leur précieux concours. Ma reconnaissance pour eux est infinie.

Et je souhaite, de toute mon âme, que l'initiative que j'ai prise serve, si peu que ce soit, mon pays.

Maurice HERBETTE.

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