Page images
PDF
EPUB

la liberté des fujets; & l'on eft forcé de les modérer, à mefure que la fervitude augmente. Cela a toujours été, & cela fera toujours. C'est une regle tirée de la nature, qui ne varie point; on la trouve par tous les pays, en Angleterre, en Hollande, & dans tous les états où la liberté va se dégradant jufqu'en Turquie. La Suisfe femble y déroger, parce qu'on n'y paie point de tributs: mais on en fait la raifon particuliere, & même elle confirme ce que je dis. Dans ces montagnes ftériles, les vivres font fi chers & le pays eft fi peuplé, qu'un Suiffe paie quatre fois plus à la nature, qu'un Turc ne paie au fultan.

[ocr errors]
[ocr errors]

Un peuple dominateur, tel qu'étoient les Athéniens & les Romains, peut s'affranchir de tout impêt, parce qu'il regne fur des nations fujettes. Il ne paie pas pour lors à proportion de fa liberté; parce qu'à cet égard il n'eft pas un peuple, mais un monarque.

Mais la regle générale refte toujours. Il y a, dans les états modérés, un dédommage

deux nations; la Hollandoife, pour le commerce de l'Europe; & la Chinoife, pour celui de l'Afie: ils tiennent dans une efpece de prifon les facteurs & les matelots, & les gênent jufqu'à faire perdre patience.

magement pour la pefanteur des tributs; c'eft la liberté. Il y a, dans les états (*) defpotiques, un équivalent pour la liberté; c'est la modicité des tributs.

Dans de certaines monarchies en Europe, on voit des provinces (†) qui, par la nature de leur gouvernement politique, font dans un meilleur état que les autres. On s'imagine toujours qu'elles ne paient pas affez, parce que, par un effet de la bonté de leur gouvernement, elles pourroient payer davantage; & il vient toujours dans l'efprit de leur ôter ce gouvernement même qui produit ce bien qui fe communique, qui fe répand au l9in, & dont il vaudroit bien mieux jouir.

CHAPITRE

XIII.

Dans quels gouvernemens les tributs font fufceptibles d'augmentation.

ON peut augmenter les tributs dans la plupart des républiques; parce que le

cito

(*) En Ruffie, les tributs font médiocres: on les a augmentés depuis que le defpotifine y eft plus modéré. Voyez l'hiftoire des Tartares, deuxieme partie.

(†) Les pays d'états.

[ocr errors]

A

citoyen, qui croit payer à lui-même, a la volonté de les payer, & en a ordinairement le pouvoir par l'effet de la nature du gouvernement.

Dans la monarchie, on peut augmenter les tributs; parce que la modération du gouvernement y peut procurer des richesfes: c'est comme la récompenfe du prince, à cause du respect qu'il a pour les loix. Dans l'état defpotique, on ne peut pas les augmenter; parce qu'on ne peut pas augmenter la fervitude extrême.

CHAPITRE XIV.

Que la nature des tributs eft relative
au gouvernement.

L'IMPÔT par tête eft plus naturel à la fervitude; l'impôt fur les marchandifes eft plus naturel à la liberté, parce qu'il fe rapporte d'une maniere moins directe à la perfonne.

Il eft naturel au gouvernement defpotique, que le prince ne donne point d'argent à la milice ou aux gens de fa cour, mais qu'il leur diftribue des terres, & par conféquent qu'on y leve peu de tributs. Que fi le prince donne de l'argent, le tri

but

but le plus naturel qu'il puiffe lever eft un tribut par tête. Ce tribut ne peut être que très-modique: car comme on n'y peut pas faire diverfes claffes confidérables, à caufe des abus qui en réfulteroient, vu l'injuftice & la violence du gouvernement, il faut néceffairement fe régler fur le taux de ce que peuvent payer les plus mifé

rables.

Le tribut naturel au gouvernement modéré, eft l'impôt fur les marchandises. Cet impôt étant réellement payé par l'acheteur, quoique le marchand l'avance, est un prêt que le marchand a déja fait à l'acheteur: ainfi il faut regarder le négociant, & comme le débiteur général de l'état, & comme le créancier de tous les particuliers. Il avance à l'état le droit que l'acheteur lui paiera quelque jour; & il a payé, pour l'acheteur, le droit qu'il a payé pour la marchandise. On fent donc que plus le gouvernement eft modé ré, que plus l'efprit de liberté regne, que plus les fortunes ont de fureté; plus il eft facile au marchand d'avancer à l'état, & de prêter au particulier des droits confidérables. En Angleterre, un marchand prête réellement à l'état cinquante ou foixante livers fterling à chaque tonneau de vin qu'il reçoit. Quel eft le marchand qui ofe

Tom. II.

D

roit

roit faire une chofe de cette efpece dans un pays gouverné comme la Turquie? & quand il l'oferoit faire, comment le pourroit-il, avec une fortune fufpecte, incertaine, ruinée ?

CES

CHAPITRE XV.

Abus de la liberté.

Es grands avantages de la liberté ont fait que l'on a abufé de la liberté même. Parce que le gouvernement modéré a produit d'admirables effets, on a quitté cette modération: parce qu'on a tiré de grands tributs, on en a voulu tirer d'exceffifs & méconnoiffant la main de la liberté qui faifoit ce préfent, on s'est adresfé à la fervitude qui refufe tout.

La liberté a produit l'excès des tributs: mais l'effet de ces tributs exceffifs eft de produire à leur tour la fervitude; & l'effet de la fervitude, de produire la diminution des tributs.

Les monarques de l'Afie ne font guere d'édits que pour exempter chaque année de tributs quelque province de leur empire (*): les manifeftations de leur volon

(*) C'est l'ufage des empereurs de la Chine.

« PreviousContinue »